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lundi 14 décembre 2020

Bahrein, le côté obscur du nouvel ami d'Israël par Francis MORITZ

 

BAHREIN, LE CÔTÉ OBSCUR DU NOUVEL AMI D’ISRAËL


Par Francis MORITZ

Roi du Bahreïn

          On a coutume de dire qu’on ne choisit pas sa famille mais qu’on choisit ses amis. Rien n’est moins sûr en politique, car les enjeux stratégiques, financiers, militaires, prennent le pas sur la morale, la justice. Bref, il est parfois gênant d’explorer les coins et recoins mais mieux connaître ses amis a aussi des avantages. Le royaume attend la visite du premier ministre israélien pour rendre encore plus officielle la normalisation dont certains contours restent encore assez flous, au moment où le gouvernement de Manama annonce qu’il n’acceptera pas l’importation de produits de Judée-Samarie provenant des territoires occupés par Israël, histoire de créer une ambiance.



Polémique sur les relations du roi d'Espagne et Bahrein

Il faut savoir que l’image à l’étranger du royaume est si mauvaise qu’il dépense des sommes considérables pour se payer les services de lobbyistes à Washington. En y regardant de plus près, le nouvel ami d’Israël n’est pas une démocratie, mais un État policier où la minorité sunnite règne sur la majorité chiite. 

Depuis que le roi Hamad Bin Isa Khalifa a maté dans le sang les velléités démocratiques du printemps arabe, c’est le règne de la peur. D’après les infos de l’époque, les manifestations auraient réuni de l’ordre de 100.000 personnes soit un cinquième de la population. En fait, proportionnellement plus que dans n’importe quel autre pays du printemps arabe. L’objectif était alors de rappeler au roi ses promesses en vue de l’établissement d’une monarchie constitutionnelle.

En février 2011 déjà, les habitants occupèrent pendant des semaines la place des Perles au centre de Manama. Le conflit avec les chiites remonte loin dans le passé. Ces derniers considèrent que le pouvoir les traite en citoyens de deuxième classe. Ce conflit n’est pas d’ordre religieux car les exigences du pouvoir sont exclusivement d’ordre politique.  Pour mémoire, ce furent des troupes en provenance d’Arabie Saoudite et des Émirats qui mirent fin dans le sang aux manifestations.  Au même titre que certains notables chiites soutiennent le monarque, il y a aussi des sunnites du côté de l’opposition. Alors que cette ile n’est pas plus grande qu’un département européen (765 km2), on y trouve dès 1934 une présence occidentale avec son cortège d’habitudes, vente d’alcool, lieux de détente y compris pour les voisins saoudiens, embryons de syndicats.

Avant la normalisation, le rabbin et le roi


Curiosité pour l’époque, une synagogue dédiée aux 30 Juifs du pays. Depuis le royaume, toujours désireux d’améliorer son image, a même envoyé une ambassadrice juive à Washington. Alors que la société civile était très active avant la répression, le pays de la peur est devenu celui du silence, car toute critique ou opposition peut couter la vie. Dans le classement de Reporters sans frontières, ce pays occupe la 169ème place juste avant l’Arabie Saoudite. Sur le plan militaire, Bahreïn est le port d’attache de la V° flotte américaine, c’est dire son importance stratégique qui l’exonère des critiques des États-Unis. Depuis 2004 on y organise chaque année un grand prix de formule-1, histoire de se donner une image forte dans les médias occidentaux. Le point d’orgue a bien entendu été la normalisation avec Israël qui lui vaut toutes les louanges dans le monde occidental, avec quelques exceptions.

La situation intérieure reste relativement complexe. On s’est beaucoup focalisé sur le rapport de force entre la famille régnante et la majorité chiite, alors qu’il existe aussi des groupes islamistes d’obédience sunnite opposés au régime. Les dérives autoritaires et sectaires du régime ont encouragé l’éclosion d’un islamisme sunnite, pendant que les autorités, depuis 2011, ont consacré beaucoup d’efforts à s’assurer du concours des Frères musulmans et des salafistes contre ces groupes sunnites. Tant les Frères musulmans que les Salafistes ont tenté de se désassocier de la politique du pouvoir, sans y parvenir clairement, Ils ont donc largement perdu de leur poids comme en témoignent leurs mauvais résultats aux élections de 2014 et 2018.

En conséquence, comme dans la plupart des pays arabes producteurs de pétrole, ces islamistes sunnites ont réduit leurs revendications, en s’intégrant dans un bloc sunnite. Ce qui ne pourra qu’accélérer leur perte d’influence dans la vie du royaume. Ce recul a été amplifié par l’échec des islamistes sunnites en général, celui des Frères musulmans en Égypte notamment et par extension par les crises diplomatiques avec le Qatar et la Turquie.

Quel peut être l’avenir du royaume avec son nouvel ami Israël, cette normalisation va- t-elle changer le mode de vie des habitants ? Il semble y avoir une timide évolution vers plus de démocratie. En 2016, la volonté du gouvernement, de séparer religion et vie politique et d’écarter les groupes islamistes qu’ils soient sunnites ou chiites, s’est traduite par une loi interdisant à un prédicateur d‘être membre d’un parti politique ou de participer à des activités politiques. Il subsiste à date une rhétorique anti-chiite propagée par des groupes islamistes salafistes voire même djihadistes. Pendant que les groupes islamistes sunnites ont pratiqué une politique de concessions réciproques avec les autorités, échangeant des avantages politiques contre des avantages économiques. De tout cela il ressort que la communauté sunnite, islamistes inclus, bénéficie d’avantages disproportionnés par rapport à la population chiite majoritaire.

Israël peut trouver des aspects avantageux à cette complexité, car il s’agira d’un test grandeur nature. On peut même imaginer que c’est une ambiguïté voulue par Israël et l’Arabie saoudite, de vérifier ce que pourront être les attitudes des populations à majorité chiites. S’il est vrai que les dirigeants ont pris position, il est beaucoup moins évident que les citoyens partagent leur choix. C’est également un test eu égard au grand voisin iranien. Jusque-là Téhéran disposait de son satellite aux frontières d’Israël, le Hezbollah. Désormais il restera à voir, autre test, comment l’Iran réagit avec ses voisins qui deviennent de facto tête de pont israélienne, quand bien même ne voudrait-on pas le clamer. 

Visite du roi saoudien à Bahrein

Ce qui apparaît à la lumière des plus récents évènements, c’est que les clefs de Bahreïn comme des Émirats se trouvent à Riad, qui opère une évolution officielle très lente et très prudente en sa qualité de grand parrain tant de Bahreïn que des Émirats. Le fait que ce pays ne normalise pas officiellement ses relations avec Israël peut être considéré comme la confirmation d’une connivence avec Israël car il lui permet incontestablement de conserver une relative flexibilité dans sa position et ouvre un maximum d’options vis à vis des différents interlocuteurs arabes, sunnites, chiites et, last but not least, l’Autorité Palestinienne. N’oublions pas que ce pays a aussi ses difficultés internes avec des groupes qui contestent le pouvoir.

De fait c’est une normalisation par procuration via ces deux États sous sa protection. Il n’en reste pas moins qu’accepter le survol de son territoire par des avions israéliens civils et sans doute militaires, accepter une liaison internet par fibre entre les deux pays, sont d’incontestables signes d’une reconnaissance de facto. En politique, il n’est nul besoin d’afficher toutes ses affinités, pour ne pas dire amitiés, dès lors que les objectifs sécuritaires sont en jeu. C’est ce qu’on peut qualifier de reconnaissance mutuelle d’intérêts à défaut de normalisation. C’est un pas déterminant dans le changement en cours au Moyen-Orient.

 

1 commentaire:

Marianne ARNAUD a dit…

Et comme disait déjà Voltaire, je crois : "Mon Dieu gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m'en charge."