LE BEST-OF DES ARTICLES LES PLUS LUS DU SITE, cliquer sur l'image pour lire l'article


 

lundi 11 novembre 2019

Les Chiites se révoltent contre l'Iran sous le regard passif des Occidentaux



Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            


          L’Iran a tout fait pour étendre son hégémonie au Moyen-Orient sous prétexte de défendre les musulmans chiites, brimés selon lui ; une excuse pour placer ses pions dans les territoires arabes. Les Iraniens ont investi l'Irak, le Liban, une partie de la Syrie et bien sûr le Yémen. La lèpre rose sur la carte. Mais les événements d’Irak et du Liban démontrent, un comble, que les chiites sont ceux qui dirigent les manifestations de masse contre la domination iranienne dans ces deux pays.




            Bagdad est envahi par les manifestants qui transforment le centre-ville en un véritable champ de bataille, avec ses nombreux morts, dans la passivité totale des Occidentaux tandis que les manifestations anti gouvernementales sont réprimées dans le sang. Les forces de l’ordre usent de balles réelles. Alors qu’un seul mort à Gaza mobilise tous les médias et tous les gauchistes dans le monde, ailleurs les morts arabes n’ont aucune valeur humaine. Selon les manifestants, la police utilise des gaz lacrymogènes et des bombes de désencerclement. Tout au long de la journée, un ballet d’ambulances et de taxis transportent les civils blessés qui se sont battus à bout de bras, avec des pavés. Les manifestants sont unanimes à confirmer que des miliciens iraniens, à la solde du pouvoir, sont à l’origine des violences. Habillés de noir et la tête recouverte de cagoule, ils tirent sur les manifestants.
            Ces manifestations ont été déclenchées le 1er octobre pour réclamer le départ d’une classe politique, aux affaires depuis des années, jugée corrompue et incompétente. Les administrations et les écoles sont bloquées.  Des chiites, qui font partie de l’axe d’influence de l’Iran, dirigent les manifestations de masse contre la domination iranienne en Irak et au Liban. Ils protestent contre l’échec du gouvernement qui n’a pas apporté la prospérité malgré la richesse pétrolière du pays et la neutralisation de Daesh. Les démonstrations se sont propagées à travers tout l’Irak tandis que l’Iran est tenu pour responsable de tous les maux que subit le pays.

            En effet, le général Qassem Soleiman, maître des lieux, a créé en 2016 les Forces de mobilisation populaires (PMF) constituées de milices iraniennes en soutien au pouvoir, et a installé le président du Parlement, le président et le premier ministre actuels. Il dirige de fait la sécurité à Bagdad. Dès le début des manifestations le général a déployé ses tireurs d’élite pour réprimer les manifestants irakiens. Bien que la majorité du pays soit chiite, elle défend ses intérêts nationaux plutôt que son idéologie religieuse. Il s’agit en fait d’un conflit latent qui perdure depuis plus d’un an à Bassorah, ville riche en pétrole, depuis que l’Iran a coupé la ligne électrique de la région. Par réaction, les habitants ont brûlé des drapeaux et le consulat iraniens et ont même attaqué le siège des milites inféodées à l’Iran.
            Aujourd’hui les manifestations sont les plus violentes depuis la chute de Saddam Hussein. Alors qu’à Karbala on fêtait les quarante ans du siège de l’ambassade américaine à Téhéran, les Irakiens ont attaqué le consulat d’Iran en remplaçant le drapeau par un drapeau irakien, un véritable symbole. Les forces de l’ordre ont tué trois manifestants. Dans le sud du pays, des dizaines de bâtiments du PMF ont été incendiés, en particulier ceux d’Asaib Ahl al Haq et Badr tandis que les manifestants ont débaptisé la rue Khomeiny en rue «des martyrs de la révolution d’octobre».



            Les Irakiens ne désarment pas malgré leurs 250 morts. On attend toujours les manifestations de soutien dans les rues françaises sous l’égide des Mélenchon et consorts mais Israël n’étant pas impliqué, cela n’intéresse personne. Le général iranien Soleimani fait la pluie et le beau temps en Irak au point de s’opposer au renvoi du premier ministre irakien Abdel Abdul Mahdi. Il a soutenu les forces du PMF qui ont refusé d’intégrer l'armée nationale. Bien sûr ces milices agissent de manière autonome en percevant des taxes illégales aux points de contrôle, prélevant plus de 300.000 dollars par jour.  Elles passent en contrebande du carburant de Bassora en s’ingérant dans les ports et en saisissant des avoirs de l'État. Il s’agit d’un État dans l’État inspiré par les méthodes du Hezbollah qui infiltre les services de santé et de l’éducation pour favoriser l’allégeance de la population par le biais de favoritisme allant jusqu’à refuser de soigner les sunnites.
            La même révolte a éclaté au Liban pour condamner la corruption et la mauvaise gestion économique. Plusieurs membres chiites ont rejoint l’appel en faveur d’une refonte de l’ensemble du système politique allant jusqu’à incendier les bureaux du Hezbollah à Nabatiyeh, et pour cause. Les sanctions américaines contre le Hezbollah ont réduit les financements iraniens qui représentent 70% du budget ce qui a conduit la milice libanaise à rogner sur les salaires de ses combattants et sur les services sociaux. Deux millions de manifestants ont envahi les rues du Liban, un pire cauchemar pour le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a envoyé dans ses forteresses traditionnelles Tyr et Nabatiyeh, ses milices armées pour terroriser les manifestants qui n’ont dû leur salut qu’à la protection des forces armées libanaises.

            Le Hezbollah a gangrené la politique libanaise en pénétrant les services officiels de l'État et de la sécurité, et grâce au général Aoun, il a remporté avec ses alliés 70 des 128 sièges du Parlement aux dernières élections de quoi peser sur la formation de tout gouvernement. On craint la réédition de 2008 où les troubles ont conduit à la saisie armée de Beyrouth par le Hezbollah qui a injecté des milliards de dollars en Syrie et envoyé des milliers de combattants pour écraser toute rébellion.


Iran juin 2009

            On se souvient que le 12 juin 2009 des milliers d’électeurs, doutant de la validité du scrutin qui a placé Ahmadinejad en tête, avaient contesté le bilan économique et ses prises de positions diplomatiques douteuses. Des dizaines de milliers de manifestants refusent les résultats et descendent dans les rues des grandes villes iraniennes en criant «où est mon vote ?»,  slogan du mouvement vert. Arrêtés et torturés, ces manifestants écologiques pacifiques ont contesté les résultats pendant neuf mois puis certains ont été contraints de fuir l’Iran. Cela donne une idée de la façon de l’Iran de gérer les manifestations. 
            Mais ce grand soulèvement a été ignoré par le président Obama qui a refusé d’exprimer sa solidarité avec les manifestants et qui a interdit à la CIA d’intervenir car à l’époque il était déjà en pourparlers secrets avec l’Iran. On ignore cependant si Donald Trump aidera cette révolution autrement qu’avec des tweets. Il n’est pas certain que les révoltes au Liban et en Irak puissent survivre à la réaction brutale des Iraniens et de leurs milices. Il est vrai que l’opposition n’est pas suffisamment organisée et qu’aucun leader charismatique n’émerge pour prendre en main l’avenir de la révolution. Mais le fait que les Chiites se révoltent contre leurs protecteurs iraniens prouve que le ver est dans le fruit.

Aucun commentaire: