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dimanche 8 mars 2015

LE DILEMME DES JUIFS DE RUSSIE



LE DILEMME DES JUIFS DE RUSSIE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


           
          Boris Nemtsov, le chef de l’opposition abattu à Moscou, représente à lui seul le dilemme des Juifs de Russie.  Il a été assassiné en plein centre-ville, à quelques encablures du Kremlin, près de son appartement à Bolshaya Ordinka, qui est situé dans la même rue que l’ambassade d’Israël. Il s’agit peut-être d’un hasard mais les Russes, pragmatiques, ne connaissent pas le hasard. L’endroit du meurtre a été choisi parce qu’il fallait qu’il soit un symbole, une sorte de message à la communauté juive qui a été forcée d’abandonner ses pratiques religieuses sous le régime soviétique mais qui renoue progressivement avec ses traditions.



Juif converti


            Nemtsov est né juif, fils d’une mère juive, mais il a toujours estimé qu’il était vain, sinon dangereux, de s’intégrer à la communauté juive car cela risquait de nuire à son ascension sociale et politique. Il avait ainsi refusé de faire partie du Congrès juif russe créé en 1996. Le Congrès juif russe unit les Juifs les plus influents et les plus prospères de Russie, des agents de l'Etat de haut standing, des hommes d'affaires, les acteurs de la science et de la culture. Il avait même décidé, à l’instar de nombreux dirigeants politiques et économiques juifs,  de se convertir à l’orthodoxie russe, non pas par conviction mais par opportunisme. Cette conversion leur permettait de camoufler leur judéité comme certains Juifs d’Allemagne au 19ème siècle qui espéraient ainsi s’ouvrir à la culture européenne. Comme aussi des Juifs français célèbres qui ont rejoint le christianisme au lendemain de la guerre : Fabius, Debré et Bloch-Dassault.  

Boris Nemtsov avait estimé qu’il convenait de s’affilier à cette Église qui devenait de plus en plus présente dans le paysage politique russe. Il faisait partie de ceux qui se convertissaient en pensant favoriser ainsi une intégration à la haute administration politique ou économique.  L’Église avait compris l’opportunité qui s’ouvrait à elle et elle contacta tous les Juifs parvenus à de hauts postes pour les convaincre de se convertir à l’Église d’État. Elle avait réussi à les persuader que c’était le meilleur moyen pour eux de se protéger des antisémites. Ces Juifs ne prenaient d'ailleurs aucun risque puisque, selon la loi israélienne et la Halakha, ils étaient toujours considérés comme Juifs car la conversion n’est pas reconnue par les rabbins. De nombreux convertis russes ont d’ailleurs rejoint l’État d’Israël au nom de la Loi du Retour.

            Mais pour les Russes, les Juifs sont des pionniers de la liberté et des adeptes de la démocratie et, comme ils lorgnent de plus en plus vers Israël, il fallait frapper les esprits en tuant un Juif près de l’ambassade israélienne. D’une pierre, deux coups : Juif ou Israélien. Même s’ils se convertissent, les Juifs restent au fond d’eux-mêmes profondément juifs. Ils ont du mal à se défaire de racines qui les animent. On l’a vu avec le cardinal Lustiger dont l'esprit était torturé à vie par cette double allégeance et qui a demandé à mourir aussi en Juif grâce à la bénédiction du Kaddish au-dessus de son cercueil.
Obsèques de Lustiger


Vérité et liberté

Nemtsov n’a pas renié totalement sa religion ; il en était même très imprégné, peut-être inconsciemment. Quand on lui demandait pourquoi il avait rejoint le camp de l’opposition et des dissidents, il répondait invariablement : «Nous sommes juifs, nous devons nous battre pour la vérité et la liberté». Il a le mieux compris que son nouveau lien avec l’Église orthodoxe était artificiel et qu’il ne pouvait pas lui apporter la sécurité parce qu’il souffrirait toujours de discrimination.

Les «autres» pouvaient toujours le retrouver comme tous les convertis retrouvés par les nazis à l’image d’Édith Stern. En religion Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, née le 12 octobre 1891 à Breslau, dans l'Empire allemand, déportée le 2 août 1942, internée au camp d'Auschwitz, elle fut mise à mort le 9 août 1942. Philosophe et théologienne allemande juive, elle avait choisi de devenir religieuse carmélite mais la mort ne l’a pas épargnée.

 Le pouvoir russe estime que sous l’impulsion de l’Ambassade d’Israël, de nombreux Juifs reviennent à leur religion, à leur culture enfouie dans les mémoires et à leur judaïsme.  Boris Nemtsov a payé pour eux, pour s’être senti toujours juif malgré la sécularisation imposée par les Soviétiques. Mais cet assassinat pourrait être le signal pour les convertis russes de ne plus déguiser leurs origines et d'afficher ouvertement leur croyance. Le mal, le sacrifice d’un homme, peut ainsi générer le bien, le réveil des consciences juives en Russie.


9 commentaires:

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

Où avez-vous pris que l'esprit du cardinal Lustiger "était torturé à vie" par ce que vous appelez sa "double allégeance" ?
Si Jean-Marie Lustiger a voulu "la bénédiction du Kaddish au-dessus de son cercueil" ne serait-ce pas plutôt pour signifier à la face du monde qu'il reconnaissait ses racines juives, et affirmer ainsi, solennellement, que celles-ci n'étaient nullement antinomiques - bien au contraire - avec sa foi chrétienne ?

Très cordialement.

Jacques BENILLOUCHE a dit…

Chère Marianne,

C'est ce qui ressort de la biographie de Henri Tincq de Slate. Certes, le mot "torturé" est peut-être trop fort mais il n'a jamais cessé d'être en échange permanent avec les Grands Rabbins, Sirat en particulier. Le judaïsme était toujours présent dans sa conscience

sitbon guy a dit…

Nemtsov juif, je l'ignorais. Merci de me l'avoir appris. En Russie, personne ne me l'avait jamais signalé, alors qu'on sait que je suis attentif à cette dimension. Curieusement, à Moscou, on parle peu de ce "détail", on l'écrit encore moins. Pour eux, évoquer la judéité, c'est déjà suspect d'antisémitisme. On y pense, on ne le dit pas sauf pour le stigmatiser.
Dès la fin des années 80, les Russes se sont convertis en masse à l'orthodoxie. J'ai assisté à un baptême collectif d'une centaine de personnes dans un fleuve. Les juifs l'ont fait comme les autres.C'était une façon d'effacer le communisme et de se retrouver dans la nation russe. Pas du tout de dissimuler ses origines connues de tous.

Bernard ALLOUCHE a dit…

Monseigneur Lustiger en tant que grand théologien a voulu approfondir son étude sur la religion juive pour mieux comprendre la continuité en la religion catholique.
Évitons d'imaginer que le judaïsme est tellement exceptionnel que l'on ne peut s'en détacher.
Cet homme a eu très jeune une révélation pour la religion catholique et si il y a réflexion a avoir c'est surtout sur le fait que venant de famille juive religieuse sa conversion au christianisme en période tumultueuse a aussi été partagé par sa sœur.
BA

Unknown a dit…

Je pense que pour la Halacha, un Juif converti n'est plus juif. C'est ce qu'a dit le grand Rabbin d'Israel a Lustiger après que le celui-ci lui a dit qu'il se sentait Juif.
Il peut bien sur se reconvertir.
Qu'en pensez-vous ?
Bien cordialement.
Georges Brandstatter

Jacques BENILLOUCHE a dit…

Selon la définition religieuse, la judéité est inaltérable, n'étant pas une « confession » mais un droit de naissance ou d'adhésion nationale.

Toutefois, les apostats sont mis au ban de la société et ne peuvent généralement plus réaliser les mitzvot collectives.

Marianne ARNAUD a dit…

C'est peut-être l'endroit et le moment de risquer à s'enhardir et de dire qu'en montrant à quel point il était resté attaché à ses origines juives, le cardinal Lustiger avait peut-être voulu permettre à ses frères juifs de réfléchir à un dilemme autrement plus grave pour eux, à savoir, leur avenir démographique. Selon le bureau central des statistiques (CBS) israélien, les Juifs seraient au nombre de 13,855 millions de par le monde, à mettre en parallèle avec les 1,1 milliards de catholiques qui savent très bien ce que leur religion doit à la religion juive.

Avraham NATAF a dit…

Pourquoi penser uniquement que cet attentat est une affaire russe et oublier la possibilité tchetchene ou djihadiste HN

Hubschou a dit…

Il est utile de lire le livre de Sarah Feinstein, "les discriminés" qui explique le parcours de ceux qui , en Union Soviétique, portaient dans leur passeport la nationalité juive. Je ne crois pas à l'incidence juive ou israélienne dans cet assassinat politique. Mais plutôt l'affirmation de mouvements russes qui veulent l'annexion de l'Ukraine orientale à laquelle s'opposait Nemtsov.