NASRALLAH
CONSCIENT DE SON ISOLEMENT
Par
Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
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Pour dynamiser ses troupes,
Nasrallah avait besoin d’un symbole fort après les déconvenues auxquelles il
est soumis de la part de différents bords. Il a choisi d’apparaitre personnellement à un meeting à Beyrouth alors que,
depuis septembre 2012, il se contentait de discours retransmis par vidéos. Il a
effectivement pris des risques car il sait qu’il reste toujours la cible des
israéliens et de leurs drones mais il a voulu montrer qu’il n’était pas un
couard.
Il a donc quitté son bunker souterrain pour s’adresser à son public,
protégé derrière un énorme pupitre de bois qui laissait à peine entrevoir son
visage. Conscient de son isolement, il a choisi le contact direct avec ses amis islamistes pour prouver que son mouvement restait encore fort.
Les critiques à son encontre viennent d’abord de son propre bord car
certains militants contestent l’intérêt d’avoir engagé des troupes en Syrie. Le
Hezbollah libanais a perdu plus d’une centaine de combattants en huit mois et
certainement plus, si l’on considère que ces chiffres ont été volontairement
minimisés car de nombreux enterrements ont été décidés de nuit, pour ne pas
prêter le flanc à la critique. Certains responsables au sein du mouvement
s’élèvent pour fustiger l’implication du Hezbollah en Syrie alors qu’ils
auraient voulu combattre les soldats israéliens. Ils ne comprennent pas que le
Hezbollah libanais préfère aller tuer des musulmans sunnites, des civils pour
la plupart, pour venir en aide au dictateur syrien.
Critiques libanaises
Mais c’est au Liban que les critiques deviennent de plus en plus acerbes.
Les langues se délient et la peur change de camp. Bachar Al-Assad ne fait plus
la loi au Liban et n’est plus en état d’envoyer ses sbires éliminer ceux qui
s’opposent à lui. Les hommes politiques libanais se sentent donc en sécurité pour
analyser objectivement la situation et pour faire des choix en toute liberté.
Le Chef du Courant patriotique libre libanais (CPL), Michel Aoun, allié du
Hezbollah a engagé des pourparlers avec l'ambassade saoudienne à Beyrouth. Il
est prêt à arrêter son appui au Hezbollah libanais, en échange d'argent et de
promesses politiques, comme la participation à un gouvernement sans le
Hezbollah. Les évolutions en Syrie ne sont pas étrangères à ces voltefaces. En
effet, la présence du Hezbollah en Syrie a provoqué de profondes oppositions
parmi les adversaires politiques du Liban qui sont soutenus par l’Arabie
saoudite.
Nasrallah
a mal accepté qu'Ayman el-Zawahiri, son compagnon dans le
terrorisme, lance contre lui une violente diatribe : «Le soulèvement djihadiste
en Syrie a révélé le vrai visage de l'exécutant du projet iranien en Syrie,
Hassan Nasrallah, et fait tomber le masque derrière lequel il s'est longtemps
caché». Le chef d'Al-Qaeda a stigmatisé la notion de la Wilayat al-Fakih, qui
signifie la primauté des religieux sur les politiques, qui est le pilier du
régime iranien où le guide suprême garde la main haute sur les affaires
publiques : «Nasrallah n'est qu'un exécutant du projet iranien consistant
à imposer la Wilayat al-Fakih à la nation islamique par les massacres,
l'oppression, la torture, les violations des droits et le soutien au plus
corrompu, au plus oppresseur et au plus criminel des régimes». Il s'agissait d'un discours de l'hôpital
qui se moque de la charité.
Nabih Berri |
Les liens se fracturent aussi entre Chiites. Depuis la fin de la guerre
civile en 1990, la communauté chiite libanaise se partage politiquement entre Amal et
Hezbollah. Mais malgré une alliance de façade, on se souvient que le chef d'Amal et du
Parlement libanais et surtout grand allié du Hezbollah, Nabih Berri, s'était
félicité selon WikiLeaks de l'offensive israélienne en 2006 contre le parti chiite, la
qualifiant «d’excellent moyen de détruire ses aspirations militaires et de
miner ses ambitions politiques».
Nasrallah sait qu’il a aussi perdu son
influence auprès de certains chiites libanais qui ne soutiennent plus le
Hezbollah. Dans la banlieue de Beyrouth,
dans le quartier chiite de Chiyah, nombreux sont ceux qui ne cachent plus leur
défiance vis-à-vis du Hezbollah parce son soutien au régime de Damas était
insupportable ; ils envisagent donc de creuser dans une autre direction,
plus laïque.
Discours vidéo du Saad Hariri |
La charge la plus virulente est venue de l’ancien premier ministre Saad
Hariri, qui s’est adressé depuis son lieu d’exil : «Cette année, je me
vois contraint de communiquer avec vous à distance, à cause des circonstances
qui m’ont été imposées. Que Dieu maudisse ceux qui nous ont conduits à cette
situation». Hariri n’a pas hésité à attaquer de front le Hezbollah qu’il
accuse d’être responsable de la montée de la tension depuis plusieurs années et
de s’être «arrogé des droits d’État en matière de décisions d’avenir».
Selon lui, la logique de la stratégie de défense ne tient plus la route,
d’autant que les armes du Hezbollah sont devenues, après la guerre de juillet
2006, «un outil pour exercer des pressions politiques sur les autres
parties. Ces armes ont provoqué la naissance de nouveaux groupes armés qui
prétendent qu’ils ont le droit de posséder à leur tour des armes. Ces armes ne
pourront jamais constituer un dénominateur commun entre les Libanais».
D’après Saad Hariri, l’armée
libanaise devrait être la seule institution à défendre la souveraineté, les
frontières et l’indépendance du Liban : «Donnons à l’armée et aux
forces de sécurité le droit de défendre le Liban et de préserver l’unité
nationale et éloignons-la des conflits interconfessionnels. Au lieu d’appeler
les Libanais à combattre en Syrie, nous devons plutôt leur demander de se
réconcilier au Liban». Il a rejeté la possibilité d’un gouvernement d’union
nationale avec le Hezbollah car «nous ne pourrons plus accepter la formule
armée-peuple-résistance, de même que nous refusons d’accorder une couverture à
ceux qui ont fait couler le sang en Syrie».
Poursuivant sur la lancée du chef du courant du Futur
Saad Hariri, le président des Forces libanaises (FL) Samir Geagea a dénoncé le
4 août la politique et les positions du Hezbollah, estimant que ce dernier fait
fi de la sécurité, la souveraineté et la stabilité du Liban. «Ceux qui
veulent la stabilité du pays n'envoient pas chaque jour des drones vers Israël
et ne s'engagent pas dans une guerre destructrice avec l'ennemi. Chaque personne est libre d'avoir ses
priorités, pourquoi Hassan Nasrallah veut-il imposer ses propres priorités ?»
L’État et l’armée libanaise
Le président libanais Michel Sleiman a abondé dans le même sens que
l’ancien premier ministre, à l’occasion de la fête de l’armée, alors qu’il
faisait preuve jusque-là d’une certaine réserve et d’une certaine soumission au
Hezbollah. Il a soulevé deux points fondamentaux, l’urgence d’une
stratégie de défense à cause de l’implication du Hezbollah en Syrie, et la
formation d’un gouvernement neutre : «Il est temps que l’État et l’armée
soient les décideurs de l’utilisation de nos capacités de défense». Il
semble s’être libéré de la tutelle syrienne car il n’est pas allé par quatre
chemins pour souligner l’impact négatif sur le Liban et sur la mission de
l’armée de l’implication du Hezbollah dans la guerre en Syrie.
Le président de la République libanaise s’était déjà montré excédé par les dérives
des miliciens du Hezbollah qui font concurrence à ses forces armées et qui
suscitent des représailles sur le pays de la part de la Syrie. Mais il a eu le
courage, cette fois, d’exprimer ses griefs, avec beaucoup de vigueur, sachant pourtant
qu’il n’est pas à l’abri d’un quelconque attentat comme le démontre le tir de
roquettes sur le palais présidentiel et sur le quartier général de l’armée.
Mobiliser les militants
Face à toutes ces attaques venant de différents horizons, Hassan Nasrallah s'est trouvé contraint de prendre la parole pour mobiliser
ses troupes et pour ancrer l’existence de son mouvement dans le paysage libanais. Mais ses dérapages
volontaires à l’encontre d’Israël apparaissent aujourd’hui comme une preuve de
faiblesse, sinon d’isolement politique. Sachant que seul ce sujet était payant,
il a centré son discours sur «la Palestine qui doit être rendue dans sa
totalité à son peuple. Nous, les chiites de Ali ben Abi Taleb, affirmons que
nous n’abandonnerons jamais la Palestine». Il sait que ce thème fait
consensus auprès des pays arabes et qu'il peut lui valoir quelques sympathies. Cependant, il semble cependant moins mobilisateur que par le passé.
Mais à l’instar de ses mentors et alliés iraniens, il persiste à vouloir rayer Israël
de la carte de la région avec une outrance dans ses fanfaronnades, tout en se
parant du costume de défenseur des palestiniens. Les deux leaders palestiniens
à Ramallah et à Gaza n’ont pas cru devoir réagir face à un étranger qui se mêle de
leurs affaires. Ils sont pourtant bien placés pour savoir qu’on ne peut pas rayer
facilement l’État juif de la carte et que Nasrallah use de surenchères démesurées à son
seul profit.
Beyrouth la nuit |
Mais Nasrallah n'a pas assimilé le rêve libanais. Les Libanais ont trop vécu la guerre pour l'aimer. Ils sont faits de la même trempe que les Israéliens car ils aiment
la vie, le progrès, la civilisation et le modernisme dont les barbus islamistes
veulent priver. Ils savent surtout qu’ils risquent de payer cher toute
tentative d’impliquer Israël dans un conflit parce que le Liban sortira détruit
tandis que le leader du Hezbollah restera en toute lâcheté et en toute sécurité dans son bunker.
Les Libanais savent aussi mesurer la force de Tsahal à laquelle
ni le Hezbollah et ni l’armée régulière libanaise ne pourraient se confronter. Saad
Hariri l’a compris dans une sorte de mea culpa tardif alors qu’il aurait pu,
lorsqu’il était en fonctions, avoir le courage, celui d’Anouar Al-Sadate ou de
Bachir Gémayel, pour signer enfin une paix avec Israël avec qui il n’a aucun
contentieux.
Bachir Gemayel |
Au Liban les cartes ont changé et le nationalisme de la population, excédée
par tant d’aventurisme, a définitivement rejeté le Hezbollah qui cherche à présent, par tous les moyens, à sortir de son isolement. Le discours de Nasrallah ne semble plus avoir les vertus mobilisatrices de l'époque glorieuse où il imposait sa politique et ses diktats. John Kerry a peut-être perçu cette évolution qui l'a poussé à envisager sérieusement le dialogue entre Israéliens et Palestiniens.
2 commentaires:
J'avais demandé à un libannais chrétien pourquoi il ne faisait pas la paix avec Israël; il m'a demandé : "Et les palestiniens, qu'est-ce que j'en fait ?"; je lui ai répondu, "vous les intégrez à la nation !" il m'a répondu : "Je vous en prie, gardez vos ordures chez vous ! "
Merci pour cette analyse !
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