Des
commentaires récents de dirigeants turcs et arabes indiquent que Bachar el Assad
est en passe d'être réhabilité à petits pas. Malgré les accusations de
crimes de guerre, les obstacles à l'acceptation internationale tombent. Nombreux
sont les organisations ou responsables politiques qui voudraient voir les
auteurs réels ou supposés de crime de guerre traduits devant la Cour pénale
internationale de la Haye. L’autorité palestinienne à l’instar de divers médias
a cru bon d’en faire partie, pour accuser Israël et détourner l’attention de
son incurie et sa déliquescence.
Très officiellement le ministre Émirati des Affaires
étrangères a rencontré le président syrien. Recep T. Erdogan, ennemi de longue
date d’Assad, a déclaré qu’il pourrait bientôt rencontrer le président syrien
et ses alliés russes, après la récente réunion tripartite de Moscou avec
participation turque.
L’évolution régionale
Pendant des années,
la Syrie a bénéficié du soutien Émirati. Oman a maintenu des relations malgré
la guerre. Fin décembre 2018, les Émirats et Bahreïn ont rouvert leur
ambassade, fermée en 2011. Depuis fin 2018, le soutien au gouvernement d'Assad
s'est progressivement renforcé. On notera au passage la grande amitié naissante
d’Israël avec les Émirats et l’intérêt que cette relation pourrait avoir dans
ses rapports futurs avec Damas.
Avant 2011, Erdogan et Assad se
rencontraient régulièrement. En septembre 2021 les ministres de l’Energie
d’Égypte, du Liban, de Syrie décidaient que le Liban importerait du gaz égyptien
et de l’électricité jordanienne via la Syrie.
C’est une réhabilitation de facto. Courant
octobre 2021, le souverain jordanien, qui avait appelé Assad à démissionner en
2011, lui téléphone, or les deux pays avaient repris une collaboration sécuritaire
et économique depuis quelques mois.
En vue de la dernière réunion de la Ligue arabe en
Algérie, l’Irak, le Liban, Oman, l’Algérie demandaient la réintégration de la
Syrie, mais sans obtenir satisfaction. Elle aurait eu valeur de blanchiment mais
reste soumise au feu vert des États Unis, de l’Europe et de la Turquie l’allié
caméléon, membre de l’Otan, très présente dans le conflit syrien. La récente
réunion à Moscou, pourrait apporter un changement. La Russie fait pression pour
une amélioration des relations turco-syrienne. La Turquie veut absolument
maintenir sa position dans le nord, dans le secteur d’Idlib soumis à des
bombardements incessants du régime et aux secteurs qualifiés de zones de
sécurité par Ankara.
Bombardements du regime à Idlib, bastion de la resistance |
Les diplomates peuvent se rencontrer mais le dernier mot
restera aux militaires en matière sécuritaire. Le régime d'Assad continue de bombarder des civils à
Idlib, tenue par l'opposition. Ce dernier
territoire contrôlé par les rebelles en Syrie, est protégé par la Turquie, tout
comme d'autres zones plus petites du nord de la Syrie. Il est peu probable
que la Turquie veuille abandonner ces secteurs de sitôt.
Les prochaines élections turques de juin
Erdogan veut utiliser la guerre en Syrie comme un
argument sécuritaire qui renforcerait sa popularité mise à mal en raison de la
crise économique que traverse le pays. Pour ce faire, il justifie sa position
en arguant de la présence de groupes syro-kurdes considérés par son
gouvernement comme terroristes. Or on ne peut imaginer une quelconque réconciliation
entre la Turquie et ces groupes, quand on sait comment Ankara fait tout pour éliminer
le parti kurde de la vie publique. Ce qui semble beaucoup moins perturber les
opinions publiques et médias internationaux que les élections démocratiques
israéliennes. Mais il y a aussi la question des 3,5 millions de réfugiés
syriens en Turquie que de nombreux électeurs souhaitent voir repartir. Leur départ
servirait la propagande turque.
Selon l'ONU 90% des Syriens vivent dans la pauvreté |
Le monde libre voulait éliminer Assad. Il est toujours
aux commandes dans un monde arabe en pleine évolution. Son opposition est
inexistante. Reste qu’une très large partie du pays est détruite. N’avait-on
jamais imaginé que l’Arabie Saoudite achèterait du pétrole russe pour ensuite
le revendre ? C’est inédit et pourtant réel.
On peut imaginer deux niveaux de réconciliation, régional
avec les pays arabes et l’autre plus complexe avec le monde occidental. Les
pays de l’UE ne sont pas tous sur la même position. Certains ont des liens
anciens avec Damas. De plus la question des migrants via ces pays est désormais
une préoccupation majeure. L’exploration gazière a presque débouché sur un
conflit armé. A moins de concessions syriennes importantes, les sanctions
pourraient être levées. Mais on ne s’attend à rien de tel. L’impact de la
guerre en Ukraine a rassemblé l’UE et Washington, donc pas de réconciliation
possible avec un allié de la Russie. «Nous ne normaliserons pas et nous ne
soutenons pas d'autres pays qui normalisent leurs relations avec le régime
d'Assad», a déclaré le porte-parole du département d'État américain le 5
janvier.
Ce qui pourrait changer la situation
Le 9 janvier, le Conseil de sécurité de l'ONU a approuvé à l'unanimité la résolution 2672 prolongeant la fourniture d'aide humanitaire transfrontalière au nord-ouest de la Syrie pour six mois. Beaucoup ont été surpris par l’approbation de Moscou. Au fil des ans, la Russie a menacé à plusieurs reprises de mettre son veto aux résolutions précédentes, l’Occident a largement cédé à ses exigences. De ce point de vue, le vote de ce mois semble être un signe de la volonté de Joe Biden de maintenir sa position face à la Syrie malgré le défi russe en Ukraine. Moscou n'a même pas eu recours à sa tactique habituelle d’abstention lors du vote final pour signaler son mécontentement face au mécanisme. La volonté russe d'approuver cette nouvelle prolongation est plus en lien avec l'avancement de la normalisation entre la Turquie et le régime d'Assad qu'avec l'aide aux civils, qui resteront otages des exigences russes si rien n'est fait avant le prochain vote cet été (6 mois).
L'aide transfrontalière restera
liée aux exigences politiques et sécuritaires croissantes de la Russie en
Syrie, Cela résulte des efforts continus de Poutine pour réunir le président
turc et le président syrien pour un sommet ce printemps. Moscou reste
attaché à son objectif principal en Syrie : normaliser les relations
internationales ou, au moins, régionales avec le régime syrien.
L’accord de la
Russie est un bon exemple. À l'époque, certains ont salué le résultat
comme une victoire significative de l'administration Biden. Pourtant,
Moscou n'a approuvé le mécanisme qu’après avoir obtenu des concessions
substantielles sur l'application des sanctions aux projets de «relèvement
rapide» en Syrie et à d'autres initiatives qui profitent au régime d'Assad.
On n’emploie pas encore le terme de réintégration. De fait, l'allégement des
sanctions et une normalisation plus large restent aujourd'hui les priorités de
la Russie. Contrairement à une opinion largement diffusée par les médias et les
dirigeants politiques, Moscou est loin d’être mis hors-jeu. La partie n’est pas
terminée et on comprend d’autant mieux l’extrême prudence du gouvernement israélien
de ne pas créer de tension avec l’ours du Kremlin qui pourrait s’avérer
contre-productive pour les intérêts supérieurs du pays.
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