LA DÉDIABOLISATION DE FAÇADE DE MARINE LE PEN
Par Jacques BENILLOUCHE
Reprise d’un article du 11 décembre 2015, qui a pris peu de rides, paru sur
Slate.fr
Marine Le Pen a affirmé sa volonté de rompre avec
l'antisémitisme originel de son parti, s'attirant ainsi les faveurs d'une
partie de la communauté. Lorsque, contre toute attente, j’avais été le premier
journaliste israélien à franchir en 2006 la porte du «Paquebot»,
l’ancien quartier général du FN à Saint-Cloud, les dirigeants s’étaient étonnés
que j’aie demandé à interroger la fille plutôt que le père. Marine Le Pen,
encore débutante politiquement à l’époque, se cherchait une place entre un
Jean-Marie Le Pen omniprésent et des prétendants qui lorgnaient la place de
calife. J’avais senti, sans trop y croire alors, que Marine le Pen représentait
l’avenir du parti. Elle avait accepté sans hésitation, non seulement d’être
interviewée par un Juif, mais d’être enregistrée pour éviter, en ce qui me
concerne, toute accusation de mauvaise transcription de ses propos.
Cliquer sur la suite pour entendre l'interview de Marine Le Pen
J’avoue qu’elle avait acquis rapidement les
techniques médiatiques car, après une heure d’entretien, je n’avais pas eu
l’impression d’avoir été en face d’une ogresse. Elle gardait une assurance
certaine dans ses propos et savait manier le verbe avec pondération sans
jamais, malgré quelques questions difficiles, perdre son sang-froid. Elle avait
gardé, tout au long de notre entretien, sa courtoisie, qui avait justement
attiré ma méfiance. Dès ma première question sur l'antisémitisme, elle avait
immédiatement condamné l’image, déformée selon elle, d’un parti qualifié d’antisémite,
de raciste et de xénophobe. Son objectif était de pointer du doigt la
diabolisation dont le FN était l’objet.
Cela a d'ailleurs été, depuis lors, une constante
dans sa démarche politique. Elle a agi pour donner du FN une image opposée à
celle véhiculée par les agissements et les paroles de son père : l'image d'un
parti comme les autres. Les collaborateurs dont elle s’est entourée ont
continué à peaufiner cette stratégie, aidée par la mise à l’écart des gourous
extrémistes historiques tels Bruno Gollnisch, de militants de sensibilité «alternationiste
et anti-technocratique» comme Jean-Claude Martinez ou d’ultras de l’Algérie
française comme Roger Holeindre.
Elle avait vite compris, contrairement à son père, que l’antisémitisme était une tare capable de la bloquer dans son ascension et dont elle devait se défaire. Elle a donc tranché dans le vif en éradiquant les antisémites de son parti, les anciens collabos de l’occupation et les scories de l’OAS. Elle n'a pas couru après le vote juif, qui n’existe pas en France dans une communauté de 100.000 votants, chiffre fortement négligeable par rapport au corps électoral. Mais sa position sur l’islam ou l’immigration devenait secondaire face au verrou idéologique d’un antisémitisme qui, selon elle, empêchait les électeurs, juifs et non-juifs, de voter pour le Front national.
Le paquebot, ancien quartier général du FN, lieu de l'interview |
Dès qu’elle en a eu conscience, elle n’a pas hésité
à condamner ouvertement les propos de son père pour séduire ceux qui voyaient
en elle le seul rempart capable de protéger la communauté juive contre
l’antisémitisme islamique. Elle y est bien parvenue en inspirant un groupe
d’autodéfense juif à qui elle avait réservé une salle au «Paquebot».
Elle m’avait fait le «tour du propriétaire» et avait tenu à me faire
visiter la salle réservée aux jeunes juifs nationalistes qui avaient rejoint le
FN, et qui se sont ensuite organisés dans le cadre d'une association de défense. Ces militants ont été formés au départ par les cadres du FN puis ont
pris leur autonomie.
Elle avait tenu à souligner que lorsque son père
avait déclaré à Rivarol en janvier 2005 que «l’occupation allemande en
France n’a pas été particulièrement inhumaine», elle avait déserté les
réunions du bureau exécutif et du bureau politique du FN pour marquer son
opposition à cette énième déclaration sur la Shoah. Cette prise de position
l’avait mise dans la lumière des médias en créant une forte curiosité envers la
rébellion contre son père. Ce ne fut pas son seul exemple de prise de position
tranchée. En février 2011, elle avait estimé que ce qui s’était passé dans les
camps représentait le «summum de la barbarie». Ensuite, en avril 2014,
elle avait qualifié de «faute politique» la déclaration de son père
contre Patrick Bruel («On fera une fournée la prochaine fois»).
Mais Marine le Pen ne fait qu’illusion car elle est
loin de faire l’unanimité dans son parti. Si sa stratégie a été élaborée par
ses nouveaux experts pour amener à elle le maximum d’électeurs, trop nombreux
sont les militants dont les déclarations sont empreintes de racisme. Fin 2013,
un cadre du FN avait ainsi lancé à Nadia Portheault, tête de liste FN à
Saint-Alban (Haute-Garonne), d’origine algérienne : «Toi et tes enfants,
vous êtes bons pour le four». De même, Marine le Pen n’avait pas réussi à
masquer les propos racistes et antisémites avérés d’une centaine de candidats
FN aux départementales de 2015. Elle a échoué à canaliser des militants qui
font preuve d’un record d’intolérance quant aux origines, aux couleurs de peau,
à la religion et même à la culture de certains Français. Si le Front national
arrive au pouvoir dans une ou plusieurs régions, ces militants qui n’aiment pas
les musulmans et qui détestent les Juifs et les immigrés feront tache et
viendront ternir le plan com' de leur présidente.
L’arrivée à la tête du parti de Marine le Pen n’a
pas atténué les préjugés de militants imperméables aux stratégies politiques.
Ils ont certes changé : on compte parmi eux plus d’islamophobes que
d’antisémites. Ils voient dans les Français de confession musulmane des
citoyens pas comme les autres et ont modulé leurs sentiments à l’égard des
Juifs. Mais l’antisémitisme du FN est ancré dans l’ADN du parti et Marine le
Pen aura beaucoup de mal à extraire le mal de la racine.
Les stéréotypes anti-juifs, accumulés au fil du
temps, ne se sont pas estompés : antijudaïsme chrétien, antisémitisme nazi à
base raciale, pouvoir excessif des Juifs, accusations de communautarisme,
double allégeance à base d’antisionisme, déni de pleine citoyenneté... La
Guerre des Six-Jours a aggravé cette liste pour générer une nouvelle
judéophobie masquée derrière la critique d’Israël et appuyée sur la défense de
la cause palestinienne. Les soutiens de Marine le Pen ne la suivent pas et il
existe un décalage entre son discours et celui de ses militants. «Les
citoyens juifs de France ont-ils besoin de consignes de vote ?»
Ce qui est nouveau, en revanche, c'est que les
francophones israéliens sont nombreux à soutenir Marine Le Pen, influant
directement sur le raisonnement des Français de religion juive, puis sur les
électeurs non-juifs. De nombreux sites deviennent des relais du FN, et cela ne
date pas de ces élections. Pour la présidentielle 2012, le 500e parrain de
Marine Le Pen fut un Franco-Israélien, Sylvain Semhoun, élu de l'Assemblée des
Français de l'étranger sur la circonscription d'Israël et ancien délégué UMP en
Israël. En France, le président du Crif, Roger Cukierman, avait créé la
polémique en février 2015 en qualifiant Marine Le Pen «d’irréprochable
personnellement» (tout en précisant que son parti était «à éviter»,
avant de rectifier son propos initial), suscitant des réactions dans toute la
classe politique.
En fait, la communauté juive, en France et en
Israël, prête de plus en plus l'oreille aux idées du parti de Marine Le Pen. La
politique anti-arabe du FN permet à certains Juifs de ne plus se cacher d’être
frontistes ; ils s’en glorifient même, alors qu’ils étaient nombreux à raser
les murs il y a quelques années. Cette évolution montre que le travail de
Marine Le Pen a porté ses fruits. Il s’agit d’un symbole : si les Juifs
acceptent de voter pour le FN, alors le caractère «républicain» du parti
serait avéré.
Certains n’hésitent plus à condamner les propos du
Crif, qui appelle, pour le second tour des régionales, «à voter massivement
pour faire barrage au Front national, parti xénophobe et populiste». Ils
estiment que «les Français juifs savent tous ce qu’ils veulent et feront ce
qu’ils doivent faire». Nombreux sont ceux qui ne veulent plus interdire le
vote pour Marine le Pen et s’expriment de manière détournée en écrivant qu’ils
refusent «toute orientation partisane et que les citoyens français sont
suffisamment matures pour voter en conscience». C’est le cas en particulier
du site Europe Israël, dont le président a publié une lettre ouverte intitulée «Les
citoyens juifs de France ont-ils besoin de consignes de vote?», laissant
clairement entendre que le vote FN n’était pas interdit.
Ils ne se rendent pas compte que cette prise de position est un
encouragement masqué à voter pour Marine le Pen. La présidente du Front
national veut faire croire que son parti est nouveau alors qu’il est identique
en tous points à l’ancien.
http://www.slate.fr/story/111291/electeurs-juifs-dediabolisation-fn
1 commentaire:
Non seulement le RN est identique à l’ancien FN, mais en outre le programme de ce parti, économique, de politique étrangère, etc, nous mènerait à un déclassement et un appauvrissement dont les juifs comme les autres subiraient de lourdes conséquences, sans compter l’antisémitisme qui s’affirmerait très vite.
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