Deux éminents dirigeants parmi d’autres
au sein de la plus petite des minorités en France, l’un, au titre du CRIF, l’autre,
au titre de la religion, dirons-nous de la spiritualité, ont jugé pertinent de
prendre formellement position contre un possible candidat à la prochaine élection
présidentiel. Même si leur fonction respective leur assigne, à priori, un rôle
de représentation, comme cela figure dans leurs attributions, sinon de
représentativité, l’un et l’autre ont franchi une ligne rouge. La France est
une république laïque, on ne cesse de le rappeler à ceux et celles qui
voudraient l’instrumentaliser. Chacun peut y exercer en privé, dans son
intimité sa religion. Ce qui s’arrête justement dans cette intimité. Or les
deux interventions en question, éventuellement d’autres, outrepassent cette
limite et cette intimité. Ils ont cru pouvoir s’exprimer au nom d’une
communauté, laquelle ne leur a jamais donné mandat pour parler politique en
leur nom. Comme le disait à son époque Talleyrand : Ce n’est pas une erreur mais une faute. Ici
elle est même double.
La petite communauté juive, très
minoritaire, actuellement de l’ordre de 550.000 personnes adultes et enfants
compris, est aussi diverse dans ses choix politiques que le reste de la
population française. Les individus qui la constituent sont assez responsables
et au fait des problèmes pour effectuer leur propre choix. Ils ne sont pas un
troupeau auquel on indique quelle est la direction à suivre.
Ensuite, si l’on considère que le
communautarisme n’a pas sa place en France pour toutes les raisons qui ont été
exposées et qui le sont quotidiennement, cet écart fautif est l’exemple
caractéristique de ce qui se passe dans le vote communautaire. C’est une régression,
car présenter la communauté juive bien intégrée, comme un groupe communautaire
monolithique et univoque, ce qu’elle n’est pas, c’est la ranger au même niveau
précisément de ces communautés à qui on dicte le vote.
Enfin, c’est créer un nouveau
problème qui va nourrir l’antisémitisme rampant dont la France souffre depuis
des décennies. C’est donner du grain à
moudre à tous ceux qui pouvaient encore avoir une hésitation sur ce que sont
les Juifs dans ce pays. Vous voyez bien, c’est encore et toujours la même
chose ! Le naturel revient au galop.
A propos de l’assimilation dont il
est question au quotidien, faut-il rappeler le célèbre discours prononcé le 23
décembre 1789 par le révolutionnaire Stanislas de Clermont-Tonnerre (1757-1792)
qui exprime bien la conception française de la Nation
: «Tous les individus, quelle que soit leur profession ou leur religion,
sont des citoyens égaux. Mais rien ne doit faire écran entre les individus et
la Nation. Aucune nation particulière ne peut se constituer au sein de la
grande Nation : ce serait mettre à mort la volonté générale, donc la
souveraineté. Dès lors qu’une brigue influence la conception de la loi, la
volonté n’est plus générale, le peuple n’est plus libre. Ainsi, rien ne
justifie l’exclusion de certaines professions, comme celle des comédiens, de la
citoyenneté. Rien ne justifie l’exclusion des Juifs non plus. Les Juifs doivent
avoir tous les droits en tant qu’individus, ils ne doivent avoir aucun droit
particulier en tant que fidèles d’une religion».
Tous ceux qui veulent s’exprimer au nom de la communauté juive de France
devraient d’abord s’inspirer de ce discours qui conserve toute son actualité.
Il ne s’agit pas ici de baisser la tête ou de raser les murs. Au contraire il
s’agit bien d’avoir pleine conscience de la responsabilité que chaque individu
doit avoir et du respect qu’il doit porter à son prochain et aux lois, dont la
laïcité doit en rester l’épine dorsale et le pilier.
9 commentaires:
Pour 2022, la question n est tellement l'existence ou pas d un vote juif mais plutôt celle de la candidature d'un juif qui sert d'alibi et de caution pour libérer définitivement la parole de l'extrême droite et qui fait progresser celle-ci à 35%. Grâce à lui certains sont confortés dans l ignoble idée qu'en 1940 Petain était le meilleur ami des juifs français....
Monsieur Moritz,
N’est-il pas étrange que l’historien Georges Bensoussan puisse écrire dans son ouvrage : « Un exil français », à la page 206, concernant l’Affaire Dreyfus :
« L’alliance israélite universelle en particulier, qui dans son bulletin dresse méthodiquement, pays par pays, la liste des persécutions et des calomnies dont les Juifs sont victimes dans le monde, garde le silence sur l’acmé de la crise antisémite dans la France de 1898. »
Suit un témoignage de Daniel Halévy publié en 1910 :
« On ignorait, et un prudent instinct conseillait de toujours ignorer. La sentence était rendue, on la tenait pour bonne. On croyait, mais faiblement, étant mal exercé à croire. Il est probable que nombre de Juifs, mieux exercés à connaître les coups de l’antisémitisme, pensaient différemment. Ils n’en disaient rien, épargnant à des amis, même intimes, l’expression d’un avis qui eut ennuyé, déplu. Le procès Dreyfus était exclu, par un très curieux, tout silencieux accord, de ces conversations parisiennes qui n’excluent rien. »
Puis un témoignage de Léon Blum dans ses "Souvenirs sur l’Affaire" de 1935 :
« …En thèse générale, les Juifs avaient accepté la condamnation de Dreyfus comme définitive et comme juste. Ils ne parlaient pas de l’affaire entre eux… Les Juifs ne voulaient pas qu’on pût croire qu’ils défendaient Dreyfus parce que Dreyfus était juif. Ils ne voulaient pas qu’on put imputer leur attitude à une distinction ou à une solidarité de race… »
Et que dire du mémorendum adressé en novembre 1940 au Maréchal Pétain par Jacques Heilbronner, alors vice-président du Consistoire qui explique que les problèmes sont apparus avec l’arrivée des Juifs étrangers qui « commencent à envahir notre sol » ?
« De là il a résulté « un antisémitisme normal, dont les victimes sont aujourd’hui précisément les vieilles familles françaises de religion israélite. »
Cité par l’historien Saul Friedländer dans son étude « Les Années d’extermination » qui continue :
« Au cours des mois suivants, le chef du Consistoire et un certain nombre de ses collègues multiplièrent les suppliques aussi vaines qu’avilissantes. Les messages et visites continuèrent obstinément à ignorer le destin des Juifs étrangers et à plaider la cause des seuls israélites français. »
Voilà des rappels historiques qui je l’espère, couperont court aux discours de ceux qui voudraient vous chercher querelle sur la position que vous assumez, ici, avec beaucoup de courage.
Bien à vous,
M.A.
En théorie vous avez raison mais en théorie seulement . Car l’inquiétude de nombreux juifs et par conséquent de leurs institutions tient au fait qu’Éric Zemmour tient des propos et des affirmations qui vont bien au-delà de la simple politique d’immigration. Comment autoriser cet individu à injurier la famille Sandler en les mettant en adéquation avec leur bourreau au prétexte qu’ils sont enterrés en Israël et qu’a ce titre ils ne se sentiraient pas français . Comment admettre ses fantasmes sur Pétain qui aurait sauvé les juifs français.
Au-delà s’il était élu Eric Zemmour aspirant à être plus français que les français de souche pourrait répondre à une demande extrémiste qui considérerait comme exclues de la société toutes autres communautés dont la sienne.
C’est dans ce contexte que le grand rabbin Korsia et le CRIF ont pris la parole pour nous faire part à juste titre des intentions qui dépasseraient le futur candidat d’aujourd’hui.
Je pense qu’ils ont une une vision plus réaliste que certains.
Bien cordialement
Je suis évidemment très sensible aux contributions que vous avez bien voulu faire. Au risque de ne pas partager la dernière opinion émise, je renouvelle mon propos. Quelle que soit la position des personnalités qui se sont exprimé, elles n'ont aucune autorité pour le faire à titre collectif. Puisqu'il est question de théorie et de pratique, je lui opposerais la r&alité. Chaque citoyen, abstraction faite de ses croyances peut s'exprimer à titre personnel. Il en va autrement s'il s'agit d'un parti qui a précisément une vocation politique. Ces deux interventions sont clairement communautaires. La question n'est pas de commenter les déclarations, la pertinence des remarques ou polémiques.Faut il attendre de ces éminentes personnalités qu'elles prétendent dicter le vote d'une communauté qui est la plus petite de France ? Faut il relancer un motif nouveau - pour certains - d'etre ou de devenir antisémites ? Croyez vous vraiment que les citoyens juifs sont à ce point dans l'incapacité d'avoir leur propre jugement ? Croyez vous qu'ils ne sont pas capables de réfléchir et de décider pour et par eux mêmes ? C'est leur faire injure et les rabaisser pour en faire un vote communautaire.
Merci Mme ARNAUD pour vos commentaires toujours enrichissants, le plus souvent pertinents. Point de courage ici, mais du bon sens.
@francis
Faut-il se taire avant qu’il soit trop tard? Oui les juifs français appartiennent à leur communauté au moins par l’esprit et c’est précisément parce que nous avons des élus laïcs et religieux que nous sommes en droit d’entendre leurs voix. Entendre n’est pas forcément suivre mais être prévenu.
Bien naïf celui qui peut se croire français de confession juive comme le prétend Zemmour. Nous sommes juifs français car tel est le regard porté sur nous, qu’on le souhaite ou pas. À ce sujet je ne vous ferais pas l’injure de vous rappeler que le CRIF a été créé en 1944 pour sauver les juifs des griffes nazies. Aujourd’hui c’est de Zemmour dont il est question, le danger est autre mais il existe et c’est du devoir des chefs communautaires de nous en avertir. Quant à ceux pour qui ces avertissements dérangeraient il ne faudrait pas oublier que l’antisémite trouvera toujours de quoi alimenter sa haine.
Alors, donc, en suivant votre argumentation, PieXII aurait eut raison de ne pas se mêler de la politique d’un pays voisin. Et Mgr. Saliège outrepassait sa fonction quand il s’adressa à ses fidèles. Je ne peux vous suivre sur votre chemin.
De plus, Z. falsifie l’histoire juive à plusieurs reprises, et les responsables de la communauté ont le devoir de souligner son révisionnisme.
Mais surtout, Z. facilite le retour d’une extrême droite nauséabonde, que même Marine Lepen s’efforçait d’écarter, et oui les responsables juifs clairvoyants ont le droit d’alerter les juifs et de mettre en lumière les dangers d’une telle politique.
Et enfin, il ne s’agit pas de brandir une excommunication dissuasive ! Vous êtes libre de faire ce que vous voulez dans le secret de l’isoloir.
Je respecte tous les commentaires, même si je ne les partage pas. La position que je prends ne signifie en rien que je partage l'idéologie de ceux qui la propage, que cela soit clair. En revanche je ne pense pas qu'il y ait une analogie avec les positions prises en son temps, nous étions en 1940/45 par Pie XII ou le très courageuse cardinal Saliège. C'est la plupart du temps un anachronisme que de vouloir rapprocher des événements, des individus du passé avec ceux du présent.Je ne crois pas qu'on puisse mettre sur le même plan les deux personnages que vous citez et ceux d'aujourd'hui. Il ne m'avait pas échappé que le CRIF était issu du Comité général de défense juive crée en 1943. Il fédère plus de 60 associations de tendances et obédiences diverses dirons nous. Je persiste à croire qu'avant de s'attaquer à un individu, il faut combattre son idéologie. L'expérience contemporaine montre que s'attaquer seulement à un individu ne débouche pas sur la neutralisation de son idéologie. Pour aller un peu plus loin. Il faut combattre toutes les idéologies extrêmes, l'extrême gauche qui soutient l'Islamo-gauchisme en fait partie, les associations identitaires idem. Donc on ne peut s'arrêter à un seul individu.Ca n'a pas empêché JM Le Pen, ensuite sa fille d'être au second tour de l'élection présidentielle. L'antisémitisme n'a pas diminué. C'est plutôt le contraire qui se produit. La diversité est telle que certains Juifs sont hostiles à Israël, d'autres adhérent au BDS. Mais si vous pensez que les Juifs de France tireront un avantage de telles déclarations purement politiques, je ne peux que respecter votre opinion. Je partage votre conclusion, qui s'inscrit dans mon propos : chacun votera dans le secret de l'isoloir. Donc rien de nouveau sous le soleil.
Cordialement,
Je demande d’avance pardon à ceux à qui une nouvelle intervention de ma part pourrait déplaire, mais comment ne pas essayer de comprendre ce qui se passe ici, entre M. Moritz et ses contradicteurs ?
Comment ne pas comprendre que M. Moritz se situe résolument en 2021 où il va y avoir une élection de la plus haute importance pour l’avenir du peuple français, en France. Alors que ses contradicteurs choisissent délibérément de faire comme s’ils étaient encore en 1940 où on pourrait, cette fois, combattre le nazisme qu’on n’avait pas vu venir dans les années 1930, persuadé qu’on était qu’il n’y avait aucun danger de guerre puisque le peuple allemand était, croyait-on, majoritairement pacifiste.
Zemmour, quoiqu’on soit en droit d’en penser, et quels que soient les doutes qu’on puisse avoir sur sa façon de mener sa « campagne », est dans ce contexte, la cible idéale qu’on peut charger de tous les maux : nazi (avec moustache et désigné par une cible sur ses affiches), révisionniste, islamophobe, raciste, anti-féministe et que sais-je encore, il n’y a plus que la crise du Covid dont on n’a pas encore eu l’idée de le tenir pour responsable !
L’ennui c’est que ce combat, pour le moins biaisé, permet de garder le silence sur la manifestation qui, elle aussi a eu lieu à proximité du Bataclan, aux cris d’Allah Akbar, où certains politiques de gauche se sont illustrés, écharpe tricolore en bandoulière. De même que personne n’aura le mauvais goût de demander des comptes à Raquel Garrido de LFI, qui reproche à Zemmour d’empêcher la « réconciliation avec les terroristes », alors qu’aujourd’hui même Zemmour est assigné devant les tribunaux pour appels à la haine.
C’est ce « deux poids-deux mesures » qui commence à interpeler les électeurs des classes populaires, de quelque confession à laquelle ils appartiennent, qui pourrait finir par créer la surprise en 2022.
Bonsoir,
Merci M. Moritz pour la pondération de votre article.
Cordialement,
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