Connaissez-vous Josep Borrell ? De son nom complet Josep Borrell i
Fontelles, c’est le Haut Représentant de l’Union Européenne pour les affaires
étrangères et la politique de sécurité : autant dire qu’il occupe un poste
éminemment stratégique à Bruxelles, où il est par ailleurs Vice-Président de la
Commission. Ses paroles ont du poids, avec toujours la part relative entre ce
qui résulte d’un consensus collectif, et des propos personnels reflétant une
personnalité et une sensibilité.
Funérailles de Fahrizadeh |
Il a réagi après l’annonce de l’élimination de Mohsen
Fahrizadeh-Mahabadi, responsable du programme nucléaire iranien. Et c’était en
termes plutôt vifs, si on se réfère au texte complet du communiqué (1) : «Le
27 novembre 2020 à Absard, en Iran, un responsable du gouvernement iranien et,
selon les informations, un de ses gardes du corps, ont été tués dans une série
d'attaques violentes. Il s'agit d'un acte criminel et qui va à l'encontre du
principe de respect des droits de l'homme que défend l'UE. Le Haut Représentant
exprime ses condoléances aux membres de la famille des personnes qui ont été
tuées, tout en souhaitant un prompt rétablissement à toute autre personne qui
aurait pu être blessée. En ces temps d’incertitude, il est plus important que
jamais que toutes les parties restent calmes et exercent le maximum de retenue
afin d’éviter une escalade qui ne peut être dans l’intérêt de personne».
Passons sur la dernière phrase, où il n’y a rien à redire : il est
tout à fait normal que l’U.E souhaite qu’il n’y ait pas d’escalade entre Israël
– auteur implicite de l’opération – et l’Iran. Mais que penser du reste, qui
est ahurissant ? Comme l’a écrit dans une tribune Eldad Beck, correspondant
pour l’Europe du quotidien Israël Hayom (2), «Borrell n’a pas cru bon
de citer Mohsen Fahrizadeh-Mahabadi ni son rôle central dans le développement
du programme nucléaire militaire iranien. Il a parlé d’un fonctionnaire
gouvernemental iranien, et a adressé ses condoléances aux familles des victimes
de cette attaque et ses vœux de rétablissement aux blessés».
Ajoutons que la mention du «principe du respect des droits de
l’Homme que défend l’U.E» est le comble de l’hypocrisie. Et cela, à
plusieurs titres :
- D’abord, de quoi
s’agit-il ? Un scientifique, certainement de haut niveau, s’est dévoué corps et
âme pour servir un régime islamiste totalitaire engagé depuis des décennies
dans la maitrise de l’arme nucléaire. L’avenir dira si son élimination – dans
une série ayant compris d’autres cibles – aura un impact réel sur ce programme,
et s’il dissuadera d’autres de le remplacer, ou simplement de continuer. Mais
ce n’était pas un opposant politique, et la mention des «droits de l’homme»
est particulièrement incongrue.
- Justement, l’Union
Européenne n’est pas particulièrement loquace pour dénoncer le régime iranien
sur ce plan-là. Un pays où on emprisonne des femmes qui refusent de sortir
voilées ; qui torture et fait pendre ses opposants ; qui détient le record du
monde par habitant en termes d’exécutions ; où la milice du régime n’hésite pas
à mitrailler les manifestants comme cela s’est vu ces dernières années, est
bien le dernier à mériter que l’on brandisse ces fameux «droits» à
propos de l’assassinat de l’un de ses dirigeants.
- Ensuite, la
mention des «droits de l’homme» est entièrement hypocrite, de la part
d’une Union engagée - par États membres interposés - dans la guerre contre le
terrorisme islamiste : du Mali au Moyen-Orient, les armées occidentales, et
française en particulier, ont procédé à des éliminations ciblées de chefs
djihadistes ; les Américains le font depuis longtemps, les drones s’étant
révélés une arme redoutable dans cette stratégie, mais pas uniquement : on se
souvient du concert de louanges ayant accompagné l’annonce par Barack Obama de
l’exécution d’Oussama Ben Laden par un commando d’élite; et un mauvais esprit
rappellerait ici les critiques indignées que l’on pouvait lire dans la presse
parisienne après les «assassinats» de chefs terroristes palestiniens du
Djihad islamique ou du Hamas, qualifiés alors «d’exécutions extra-judiciaires».
On imagine ici la réaction indignée de Josep Borrell s’il lisait
une telle analogie : «Comment, comparer un gouvernement à une organisation
terroriste !». Seulement on dépasse ici le Tartuffe de Molière pour
rentrer dans une peinture de l’absurde. Je ne sais pas quelle est la distance
précise entre les bureaux du Haut Représentant de l’Union Européenne à
Bruxelles, et le tribunal d’Anvers où a débuté en novembre un procès pour
terrorisme, mais au pays de Magritte on est réellement en plein surréalisme :
comme le relate un article du Figaro (3), on y juge un diplomate iranien
et ses trois complices présumés pour avoir projeté un attentat à l'explosif visant
un rassemblement d'opposants au régime de Téhéran, près de Paris à l'été 2018.
Et sans même penser à cette affaire, les attentats déjoués ou réussis préparés
par la République islamique depuis des décennies sont bien connus : assassinats
d’opposants ; campagne terroriste en France dans les années 80 ; attentats
contre la communauté juive et
l’ambassade d’Israël en Argentine, et tant d’autres. Josep Borrell, à son
niveau, ignore-t-il que l’Iran finance et arme le Hamas, organisation reconnue
terroriste par l’Union Européenne ? Et ceci sans parler du Hezbollah.
Après avoir évoqué le théâtre classique et la peinture belge,
revenons à la réalité du Moyen-Orient. Oui, il y a une guerre de «basse
intensité» entre Israël et l’Iran, mais la faute à qui ? Qui l’a déclarée,
au premier jour de la révolution de 1979 ? Qui vocifère, menace, promet
l’apocalypse à l’entité sioniste presque chaque jour dans ses médias
officiels ? S’il ne s’agissait que de paroles, ou du refus d’avoir des relations
apaisées, ce serait une affaire mineure : par exemple, les Israéliens n’ont
jamais fait la guerre aux pays arabes les plus extrêmes dans leur hostilité,
comme l’Algérie. Ils ne s’en sont jamais pris, non plus, au Pakistan sous le
prétexte qu’il avait l’arme nucléaire, pour la simple raison que ce lointain
pays - foncièrement hostile - n’a jamais entrepris d’action concrète contre
lui.
Mais la réalité aveuglante est que l’Iran des mollahs est le seul
pays du voisinage à avoir défini et mis en œuvre une stratégie cohérente et
efficace pour les effacer de la carte : nouveaux types d’armements,
systématiquement conçus pour terroriser la population civile avec des missiles
de tous types ; encerclement au Nord par le Hezbollah et au Sud par le Hamas ;
présence militaire en Syrie, alimentée par «l’autoroute chiite»
traversant l’Irak, et constituée soit de Gardiens de la Révolution, soit de proxys
chiites venus participer à la guerre sainte. On le sait, Israël bombarde
régulièrement les bases iraniennes sur le sol syrien ou les convois d’armements ;
mais cette guerre n’est pas encore gagnée.
Rohani dans une usine nucléaire |
L’arme nucléaire est, bien sûr, l’étage du dessus de ce colossal
ouvrage monté, brique par brique, par le régime de Téhéran pour en finir avec
le «cancer sioniste». Il faudrait plusieurs articles pour débattre de la
bonne stratégie pour éviter ce cauchemar, et cela ne peut être détaillé dans
celui-ci. Mais juste un rappel, de simple bon sens : il ne s’agit pas du seul
cauchemar des Israéliens : c’est aussi celui des Monarchies du Golfe, et cela
explique largement la normalisation engagée officiellement avec les Émirats
Arabes Unis et le Bahreïn. C’est aussi celui de tous les pays occidentaux, qui
le disent officiellement tout en étant divisés sur le moyen de l’éviter :
inspections de l’AIEA et engagements iraniens définis dans l’accord de 2015 ;
pressions et sanctions économiques pour l’administration sortante de Donald
Trump, qui s’en est retirée en 2018 ; et beaucoup d’incertitudes, encore, pour
la voie que prendront les Américains avec l’entrée de Joe Biden à la Maison
Blanche.
Pour finir, quelques mots à propos de Josep Borrell i Fontelles,
pour reprendre son patronyme complet. Âgé de 73 ans, ce ministre espagnol n’est
certainement ni une brute, ni un imbécile. Il a commencé une carrière
d’universitaire et de scientifique, puis s’est engagé en politique dans le
P.S.O.E (Parti socialiste et ouvrier espagnol) auquel il est resté fidèle
jusqu’à présent (4). Un temps ministre, il a fait ensuite surtout une carrière
européenne, d’abord au Parlement de Strasbourg dont il fut le président de 2004
à 2007. Puis, rompu à l’International, il est devenu ministre des affaires
étrangères de son pays au moment du retour des socialistes au pouvoir, en 2018.
Il a donc certainement une bonne connaissance de la réalité du monde extérieur,
associée à une sensibilité à la fois de Gauche et pro-Européenne ce que l’on ne
saurait lui reprocher : qu’il ait été heurté par la politique de Netanyahou et
son allié Donald Trump n’est ni étonnant, ni un tort, mais n’excuse pas ce
dernier numéro de Tartuffe.
Mais justement, quel est son positionnement par rapport à l’État
juif ? Dans un article très documenté du Times of Israël en date du 4
juillet 2019 (5), Raphaël Ahren écrit notamment : «Les responsables israéliens
suivent avec méfiance la passation de fonctions à l’Union européenne, où
quelqu’un qui a récemment lancé l’idée d’une reconnaissance unilatérale de
l’État palestinien et qui a exprimé son ferme soutien à l’Iran a été désigné
comme prochain responsable de sa politique étrangère». Et l’article donne
une série d’éléments effectivement fort inquiétants : ainsi les propos de Josep
Borrell sur la déshumanisation de la société israélienne, qui vont
largement au-delà de la critique d’un gouvernement ; un message chaleureux de
félicitations adressée à la République Islamique d’Iran, à l’occasion de son
40ème anniversaire et alors que des centaines de manifestants venaient d’être
massacrés ; un constat lâche et sincère à la fois («L’Iran veut anéantir Israël,
ce qui n’est pas nouveau. Il faut vivre avec») ; son appel à une
reconnaissance immédiate d’un État palestinien, sans traité de paix et en
rompant ainsi la règle européenne de l’unanimité.
Le plus triste, peut-être, est l’évolution progressive de ce grand
diplomate au fil des années. L’article de Raphaël Ahren donne aussi des
informations étonnantes : en 1969, la première visite de Josep Borrell en
Israël où il travailla dans un kibboutz ; et des propos très chaleureux tenus
lors d’une visite officielle, cette fois en 2005, lors d’un discours à la
Knesset, en particulier ceci : «Je souhaite réaffirmer l’engagement et la
responsabilité particulière de l’Europe pour l’existence d’Israël en tant qu’État
juif et en tant que démocratie vivant en sécurité et en paix avec ses voisins».
Que s’est-il passé en quinze ans ? Interrogeons-nous, la réponse ne doit pas
être simple.
1 : Communiqué officiel de l'U.E
2 : Propos rapportés d'Eldad Beck
4 commentaires:
Très bon article. Où comment les jeunes européens qui viennent travailler dans les kibboutzim et sont enthousiastes, tournent avec le temps en ennemis d'Israël et adorateurs du régime des mollahs.
L'article jette une lumière crue et oh combien instructive sur les limites et les insuffisances de la politique étrangère inexistante de l'UE. Le Haut représentant seul au milieu de 27 ministres des AE et autant de chefs d'état croit devoir être en permanence dans la surenchère, l'excès et le monde des apparences pour exister. Il le fait à l'inverse mesure de son impuissance et par là, celle de l'UE. Merci Mr Corcos
Excellent article et commentaires appropriés. Juste à l'intention de Mr Moritz, une petite remarque typographique : dans les expressions suivantes -- l'état des lieux, l'état d'esprit, l'état de santé, l'état des lieux, etc. -- le mot "état" s'écrit avec une minuscule. Par contre contre on écrira "les Etats-Unis", "un coup d'Etat", le secrétaire d'Etat". Et là, on mettra une majuscule. (Tout cela sans aucune idôlatrie de la langue de Molière...)
Je ne peux que souscrire à votre observation qui m' mis dans tous mes états ! Voilà ce qui arrive quand on confond vitesse et précipitation. Mea culpa maxima !
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