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jeudi 23 juillet 2020

Dans les pays arabes, les islamistes au pouvoir perdent du terrain


DANS LES PAYS ARABES, LES ISLAMISTES AU POUVOIR PERDENT DU TERRAIN

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

Islamistes tunisiens

C’est une constante dans les pays arabes. Dès que les islamistes participent au pouvoir dans un pays qui les accueille ou les tolère, ils font preuve d’une telle capacité de nuisance qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de chercher à imposer brutalement leur idéologie, parfois avec succès. Une fois qu’ils sont en place, il devient difficile de les déloger. Mais la situation semble changer puisque l'on constate un certain reflux.



Al-Sissi avec l'islamiste Morsi

En Égypte, le président Al-Sissi avait pris des mesures contre les islamistes au pouvoir pour les éliminer de la gouvernance avant que la situation ne se dégrade complètement et qu’ils n’investissent toutes les institutions du pays. Ils sont aujourd'hui hors d'état de nuire en Egypte.
Depuis que le Hezbollah est entré au gouvernement au Liban, avec la complicité du général chrétien Aoun, la situation économique s’est dégradée et la situation politique se trouve à nouveau dans une impasse totale. Le chaos s’est installé ; les milices contrôlent tout, face à une armée mal équipée. Le gouvernement libanais dépend du bon vouloir d’Hassan Nasrallah. La forte puissance militaire de la milice lui permet de se maintenir malgré la contestation qui gagne le Liban. Alors pour atténuer la grogne, cette puissance extra-étatique a décidé de se «libaniser» pour s’impliquer de plus en plus dans les questions politiques et économiques internes afin de mieux protéger ses arrières.

C’est aussi le cas de la Tunisie qui a vu aux dernières élections du 6 octobre 2019 le parti islamiste Ennahda arriver en tête avec 52 sièges sur 217. Les puristes diront que c’est la conséquence de la démocratie puisque le peuple a décidé et a voté en toute connaissance de cause. C’est son choix et il en assume les conséquences même si les islamistes ont tendance à changer les règles du jeu pour éliminer toute concurrence. En Tunisie, les islamistes ont été les réels détenteurs du pouvoir même s’ils n’apparaissaient pas au devant de la scène. Dans un rôle d’observateur actif, le président de l’assemblée nationale et leader d’Ennahda, Rached Ghannouchi, a la hantise que son parti soit isolé du reste des formations politiques. En effet, après la révolution, alors que les islamistes étaient capables de gouverner tous seuls, ils ont préféré impliquer avec eux d’autres formations, aux orientations différentes, voire opposées, pour donner naissance à la tristement célèbre «Troïka».
Dirigeants de la troïka, de gauche à droite : Rached Ghannouchi et le chef du gouvernement Hamadi Jebali (Ennahdha), le président de la République Moncef Marzouki (CPR) et le président de l'assemblée constituante Mustapha Ben Jaafar (Ettakatol).

          Ennahda a donc gardé cette tendance à se cacher derrière les autres, soi-disant au nom du consensus mais souvent pour leur faire porter le chapeau en cas d’échec. Cependant, le réveil est rude pour eux car les politiques tunisiens se rendent compte aujourd’hui qu’il leur est  possible de gouverner sans eux. Malgré leur prédominance à l’Assemblée, l’ARP, ils sont sur le point d’être écartés du pouvoir au profit de l’axe pro-Kaïs Saïed, composé du Tayar, du mouvement Achaâb de Tahya Tounes et, du bloc d’Al Islah. Dans le pire scénario, voire le pire cauchemar, les islamistes Ennahda se retrouvent donc isolés et stigmatisés dans l’amère réalité de la perte du pouvoir.

En Turquie, Erdogan a été adroit car il a procédé par petites touches jusqu’à écarter définitivement, d’abord le danger des militaires puis ensuite le risque d’une opposition structurée. Il détient tous les pouvoirs et impose l’islamisme à tous les degrés non seulement chez lui, mais dans d’autres pays arabes pour recréer l’Empire ottoman en Syrie, en Libye, en Irak et même à Djibouti. Il vient dans un acte médiatique, d’islamiser l’ancien cathédrale Sainte-Sophie.
Mohamed VI et le premier ministre


Au Maroc, le roi a décidé de composer avec un parti islamique qualifié de «modéré», le PJD (Parti de la Justice et du Développement) après sa victoire, au lendemain du printemps arabe, aux élections législatives de novembre 2011, en obtenant 107 sièges sur les 395 constituant la chambre basse marocaine. Le 29 novembre 2011, le secrétaire général du PJD, Abdel-Ilah Benkiran, avait été nommé chef du gouvernement par le roi Mohammed VI. Il a été remplace en 2017 par Saad-Eddine El Othmani lui aussi islamiste. Il est vrai que la situation de l’islam politique dans le champ marocain est particulière en raison de la qualité de «Commandeur des Croyants», reconnue à la personne royale dans la Constitution de 2011.

cheikh Abdeslam Yassine



A ce jour, l’entente était parfaite dans le pays mais les islamistes, insatiables, se sont divisés au Maroc parce que certains voulaient plus d’islam fondamentaliste. Alors un autre mouvement islamiste «Al Adl wal Ihsan» milite pour l’abolition de la monarchie. Fondé en 1973 par le cheikh Abdeslam Yassine, il a évolué depuis le décès de son fondateur en 2012, et il s’efforce à présent de capitaliser sur le mécontentement populaire. Il est dans la mouvance des Frères musulmans et il cherche à noyauter le PJD au pouvoir pour créer des troubles et acquérir le pouvoir par la violence. Le Maroc a pris la mesure de la menace, et il s’emploie à fragiliser les structures de l’organisation, avant peut-être de dissoudre le mouvement.
Les islamistes se sont toujours construits face à des régimes autoritaires. Vainqueurs des élections dans plusieurs pays arabes, souvent face à des dictatures, ils cherchent difficilement à concilier leurs idéaux avec les réalités du monde actuel. L’élection de Mohamed Morsi, membre des Frères musulmans, à la présidence égyptienne le 30 juin 2012, puis la victoire politique du parti Ennahda en octobre 2011 en Tunisie avaient a mis en avant le rôle des mouvements islamistes. Mais le printemps arabe s’est transformé en hiver islamiste face à l’émergence d’une nouvelle génération de fanatiques religieux. Ils doivent leur succès politique facile au discrédit des partis politiques traditionnels qu’ils ont infiltrés. Ils se présentaient alors comme des hommes neufs puisqu’ils avaient réussi à garder leurs distances avec les anciens régimes pour profiter de l’ouverture politique après la grande vague de protestation de 2011.
Mais la transition fut souvent trop rapide au point que les mouvements islamistes n’étaient pas prêts à accepter le pouvoir. Il leur était difficile de migrer d’un mouvement religieux à un parti structuré de gouvernement. Ils craignaient aussi de s’aliéner une population qui les vénérait et une grande partie de la classe politique. Des dissensions internes apparurent entre des islamistes prudents et les fondamentalistes impatients. Ce fut le cas du parti tunisien Ennahda, vainqueur des premières élections libres, qui avait refusé de prendre la tête du gouvernement pour maintenir un consensus national. Il restait cependant le grand inspirateur du pouvoir. Cela lui permettait d’éviter d’affronter les fondamentalistes impatients, les révolutionnaires déçus et les partisans de la laïcité.
Les Frères musulmans ne sont pas structurés comme Al-Qaida qui exerce un contrôle mondial sur toutes ses branches. Ils ont dû partager les voix de l’électorat avec d’autres mouvements sachant paradoxalement que les salafistes ont toujours été hostiles à la démocratie. Les «modérés» ont vite été dépassés par les radicaux qui voulaient aller plus loin en imposant la charia. Alors effectivement ils étaient à l’aise pour dénoncer la corruption et la répression mais ils ont vite compris qu’ils devaient avoir le pouvoir pour imposer leur vision morale de l’islam.
Cependant, l’exercice du pouvoir impose des exigences et des règles. Les islamistes ont dû se confronter au réalisme économique qui leur imposait d’emprunter de l’argent au FMI ou à la Banque mondiale afin de renflouer leur économie, alors que la charia interdit toutes sortes d’intérêts. Le problème d’Israël est aussi devenu un problème fondamental sur le plan diplomatique. Puis la querelle s’est installée entre les partisans du développement économique et ceux qui ceux qui veulent imposer immédiatement les valeurs culturelles islamiques. Alors, ils ont dû mettre une sourdine à la guerre Sainte et ils ont dû composer avec les principes de la démocratie.
Frères musulmans de Jordanie

Mais dans certains pays arabes le réveil a été brutal lorsque les hommes politiques ont constaté la capacité de nuisance des islamistes au pouvoir, préoccupés à concilier leurs idéaux avec les réalités du monde actuel. La roue tourne. La Cour de cassation jordanienne a dissous la branche locale des Frères musulmans classée comme «terroriste» par les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite et l'Égypte, mais soutenue à l'inverse par la Turquie et le Qatar. Les islamistes sont devenus illégaux dans le royaume. Après avoir boycotté les législatives en 2013, la confrérie, qui promeut la fusion du religieux et du politique, était revenue en force au Parlement lors des élections de 2016 en remportant 16 sièges sur 130.
            Ainsi en Tunisie, en Égypte, en Jordanie et au Maroc, le reflux des islamistes est acté. Seuls le Hezbollah résiste au Liban car, contrairement aux autres, il dispose d’une puissance de feu qui décourage ceux qui veulent l’éliminer. Seul Israël peut mettre un terme à son omnipuissance.  Il existe cependant un risque induit pour les Occidentaux. Les islamistes, écartés de la gouvernance dans les pays arabes, pourraient noyauter les pays faibles européens.

1 commentaire:

Avraham NATAF a dit…

Bon article qui couvre le Monde Arabe; le Pouvoir, en permanence entre les mains des fonctionnaires, ne peut rien changer aux réalités; naissances galopantes, chômage, manque de logements et espoir dans l'immigration. L'Islamisme se nourrit de la misère.