DANS LES PAYS ARABES, LES ISLAMISTES AU POUVOIR PERDENT DU TERRAIN
Par Jacques BENILLOUCHE
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Islamistes tunisiens |
C’est une constante dans les
pays arabes. Dès que les islamistes participent au pouvoir dans un pays qui les
accueille ou les tolère, ils font preuve d’une telle capacité de nuisance qu’ils
ne peuvent pas s’empêcher de chercher à imposer brutalement leur idéologie, parfois avec succès. Une fois qu’ils
sont en place, il devient difficile de les déloger. Mais la situation semble
changer puisque l'on constate un certain
reflux.
Al-Sissi avec l'islamiste Morsi |
En Égypte, le président Al-Sissi
avait pris des mesures contre les islamistes au pouvoir pour les éliminer
de la gouvernance avant que la situation ne se dégrade complètement et qu’ils
n’investissent toutes les institutions du pays. Ils sont aujourd'hui hors d'état de nuire en Egypte.
Depuis que le Hezbollah est
entré au gouvernement au Liban, avec la complicité du général chrétien Aoun, la
situation économique s’est dégradée et la situation politique se trouve à
nouveau dans une impasse totale. Le chaos s’est installé ; les milices
contrôlent tout, face à une armée mal équipée. Le gouvernement libanais dépend
du bon vouloir d’Hassan Nasrallah. La forte puissance militaire de la milice
lui permet de se maintenir malgré la contestation qui gagne le Liban. Alors pour
atténuer la grogne, cette puissance extra-étatique a décidé de se «libaniser»
pour s’impliquer de plus en plus dans les questions politiques et
économiques internes afin de mieux protéger ses arrières.
C’est aussi le cas de la Tunisie
qui a vu aux dernières élections du 6 octobre 2019 le parti islamiste Ennahda
arriver en tête avec 52 sièges sur 217. Les puristes diront que c’est la
conséquence de la démocratie puisque le peuple a décidé et a voté en toute
connaissance de cause. C’est son choix et il en assume les conséquences même si
les islamistes ont tendance à changer les règles du jeu pour éliminer toute
concurrence. En Tunisie, les islamistes ont été les réels détenteurs du pouvoir
même s’ils n’apparaissaient pas au devant de la scène. Dans un rôle
d’observateur actif, le président de l’assemblée nationale et leader d’Ennahda,
Rached Ghannouchi, a la hantise que son parti soit isolé du reste des
formations politiques. En effet, après la révolution, alors que les islamistes étaient
capables de gouverner tous seuls, ils ont préféré impliquer avec eux d’autres
formations, aux orientations différentes, voire opposées, pour donner naissance
à la tristement célèbre «Troïka».
Dirigeants de la troïka, de gauche à droite : Rached Ghannouchi et le chef du gouvernement Hamadi Jebali (Ennahdha), le président de la République Moncef Marzouki (CPR) et le président de l'assemblée constituante Mustapha Ben Jaafar (Ettakatol). |
Ennahda a donc gardé cette tendance à se cacher derrière les autres, soi-disant au nom du consensus mais souvent pour leur faire porter le chapeau en cas d’échec. Cependant, le réveil est rude pour eux car les politiques tunisiens se rendent compte aujourd’hui qu’il leur est possible de gouverner sans eux. Malgré leur prédominance à l’Assemblée, l’ARP, ils sont sur le point d’être écartés du pouvoir au profit de l’axe pro-Kaïs Saïed, composé du Tayar, du mouvement Achaâb de Tahya Tounes et, du bloc d’Al Islah. Dans le pire scénario, voire le pire cauchemar, les islamistes Ennahda se retrouvent donc isolés et stigmatisés dans l’amère réalité de la perte du pouvoir.
En Turquie, Erdogan a été adroit
car il a procédé par petites touches jusqu’à écarter définitivement, d’abord le
danger des militaires puis ensuite le risque d’une opposition structurée. Il
détient tous les pouvoirs et impose l’islamisme à tous les degrés non seulement
chez lui, mais dans d’autres pays arabes pour recréer l’Empire ottoman en
Syrie, en Libye, en Irak et même à Djibouti. Il vient dans un acte médiatique,
d’islamiser l’ancien cathédrale Sainte-Sophie.
Mohamed VI et le premier ministre |
Au Maroc, le roi a décidé de
composer avec un parti islamique qualifié de «modéré», le PJD (Parti de
la Justice et du Développement) après sa victoire, au lendemain du printemps
arabe, aux élections législatives de novembre 2011, en obtenant 107 sièges
sur les 395 constituant la chambre basse marocaine. Le 29 novembre 2011, le
secrétaire général du PJD, Abdel-Ilah Benkiran, avait été nommé chef du
gouvernement par le roi Mohammed VI. Il a été remplace en 2017 par Saad-Eddine El Othmani lui aussi islamiste. Il est vrai que la situation de l’islam
politique dans le champ marocain est particulière en raison de la qualité de «Commandeur
des Croyants», reconnue à la personne royale dans la Constitution de 2011.
cheikh Abdeslam Yassine |
A ce jour, l’entente était
parfaite dans le pays mais les islamistes, insatiables, se sont divisés au
Maroc parce que certains voulaient plus d’islam fondamentaliste. Alors un autre
mouvement islamiste «Al Adl wal Ihsan» milite pour l’abolition de la
monarchie. Fondé en 1973 par le cheikh Abdeslam Yassine, il a évolué depuis le
décès de son fondateur en 2012, et il s’efforce à présent de capitaliser sur le
mécontentement populaire. Il est dans la mouvance des Frères musulmans et il cherche à noyauter le PJD au pouvoir pour créer des troubles et
acquérir le pouvoir par la violence. Le Maroc a pris la mesure de la menace, et
il s’emploie à fragiliser les structures de l’organisation, avant peut-être de
dissoudre le mouvement.
Les islamistes se sont toujours construits
face à des régimes autoritaires. Vainqueurs des élections dans plusieurs pays
arabes, souvent face à des dictatures, ils cherchent difficilement à concilier
leurs idéaux avec les réalités du monde actuel. L’élection de Mohamed Morsi,
membre des Frères musulmans, à la présidence égyptienne le 30 juin 2012, puis
la victoire politique du parti Ennahda en octobre 2011 en Tunisie avaient a mis
en avant le rôle des mouvements islamistes. Mais le printemps arabe
s’est transformé en hiver islamiste face à l’émergence d’une nouvelle
génération de fanatiques religieux. Ils doivent leur succès politique facile au discrédit des partis politiques traditionnels qu’ils ont infiltrés.
Ils se présentaient alors comme des hommes neufs puisqu’ils avaient réussi à
garder leurs distances avec les anciens régimes pour profiter de l’ouverture
politique après la grande vague de protestation de 2011.
Mais la transition fut souvent
trop rapide au point que les mouvements islamistes n’étaient pas prêts à
accepter le pouvoir. Il leur était difficile de migrer d’un mouvement religieux
à un parti structuré de gouvernement. Ils craignaient aussi de s’aliéner une population qui les vénérait
et une grande partie de la classe politique. Des dissensions internes
apparurent entre des islamistes prudents et les fondamentalistes impatients.
Ce fut le cas du parti tunisien Ennahda, vainqueur des premières élections
libres, qui avait refusé de prendre la tête du gouvernement pour maintenir un
consensus national. Il restait cependant le grand inspirateur du pouvoir. Cela
lui permettait d’éviter d’affronter les fondamentalistes impatients, les
révolutionnaires déçus et les partisans de la laïcité.
Les Frères musulmans ne sont pas
structurés comme Al-Qaida qui exerce un contrôle mondial sur toutes ses
branches. Ils ont dû partager les voix de l’électorat avec d’autres mouvements
sachant paradoxalement que les salafistes ont toujours été hostiles à la
démocratie. Les «modérés» ont vite été dépassés par les radicaux qui
voulaient aller plus loin en imposant la charia. Alors effectivement ils
étaient à l’aise pour dénoncer la corruption et la répression mais ils ont vite
compris qu’ils devaient avoir le pouvoir pour imposer leur vision morale de
l’islam.
Cependant, l’exercice du pouvoir
impose des exigences et des règles. Les islamistes ont dû se confronter au
réalisme économique qui leur imposait d’emprunter de l’argent au FMI ou à la
Banque mondiale afin de renflouer leur économie, alors que la charia interdit toutes
sortes d’intérêts. Le problème d’Israël est aussi devenu un problème
fondamental sur le plan diplomatique. Puis la querelle s’est installée entre
les partisans du développement économique et ceux qui ceux qui veulent imposer
immédiatement les valeurs culturelles islamiques. Alors, ils ont dû mettre une
sourdine à la guerre Sainte et ils ont dû composer avec les principes de la
démocratie.
Frères musulmans de Jordanie |
Mais dans certains pays arabes
le réveil a été brutal lorsque les hommes politiques ont constaté la capacité
de nuisance des islamistes au pouvoir, préoccupés à concilier leurs idéaux avec
les réalités du monde actuel. La roue tourne. La Cour de cassation jordanienne a
dissous la branche locale des Frères musulmans classée comme «terroriste»
par les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite et l'Égypte, mais soutenue à
l'inverse par la Turquie et le Qatar. Les islamistes sont devenus illégaux dans
le royaume. Après avoir boycotté les législatives en 2013, la confrérie, qui
promeut la fusion du religieux et du politique, était revenue en force au
Parlement lors des élections de 2016 en remportant 16 sièges sur 130.
Ainsi
en Tunisie, en Égypte, en Jordanie et au Maroc, le reflux des islamistes est
acté. Seuls le Hezbollah résiste au Liban car, contrairement aux autres, il
dispose d’une puissance de feu qui décourage ceux qui veulent l’éliminer. Seul
Israël peut mettre un terme à son omnipuissance. Il existe cependant un risque induit pour les Occidentaux. Les
islamistes, écartés de la gouvernance dans les pays arabes, pourraient noyauter
les pays faibles européens.
1 commentaire:
Bon article qui couvre le Monde Arabe; le Pouvoir, en permanence entre les mains des fonctionnaires, ne peut rien changer aux réalités; naissances galopantes, chômage, manque de logements et espoir dans l'immigration. L'Islamisme se nourrit de la misère.
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