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lundi 6 janvier 2020

La victoire relative de Netanyahou


LA VICTOIRE RELATIVE DE NETANYAHOU

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            

          Si l’on applique la notion de démocratie à la lettre, la victoire de Netanyahou est éclatante avec 72,5% des votants; les chiffres sont incontestables. Mais si l’on analyse le détail du scrutin, on constate que tout est relatif. D’une part l’ensemble du pays soit 6.400.000 électeurs, n’a pas participé à cette élection mais uniquement les militants du Likoud ayant leur cotisation à jour, soit 41.000.  Ainsi Netanyahou a été élu avec 29.725 voix ce qui relative cette victoire «éclatante». Il lui faut à présent se présenter devant l’ensemble des électeurs pour obtenir la confirmation de cette victoire et là est la question, ou plutôt le problème. Quant à Gideon Saar, qui symbolisait l’alternance, il n’a fait qu’illusion car les idolâtres de Netanyahou, toujours nombreux, lui gardent leur confiance, souvent par crainte de l’aventure.



            Le Likoud n’a pas voulu évoluer pour résoudre la crise politique; il ne fait que prolonger l’impasse politique face à une opposition qui se recompose pour être plus efficace. La déperdition des voix dans un scrutin à la proportionnelle intégrale impose des regroupements, d’abord pour convaincre, ensuite pour gagner. Netanyahou a effectivement reçu «un mandat renouvelé et énorme» mais le défi est encore plus intense. Le vote prouve qu'il peut compter sur ses militants inconditionnels mais près du quart d’entre eux, l’élite du Likoud dans les beaux quartiers, a marqué sa volonté de changement, ce qui sonne comme un avertissement sans frais. Ces déçus pourraient reconsidérer leur vote initial.
            Les séfarades incultes politiquement ont continué à promouvoir l’homme qui sait casser de «l’arabe», sans réellement se douter qu’ils votent économiquement contre leurs intérêts. Plus ils sont dans la classe défavorisée et plus ils donnent leurs voix aux ultra-libéraux qui ne font qu’une bouchée de la plèbe. Netanyahou drague sa clientèle en majorité dans les allées du Souk Hacarmel de Tel-Aviv et de Mahane Yéhouda de Jérusalem auprès des marchands de légumes qui lui font sa publicité. Même s'ils vivent auprès des Arabes, ils les détestent par principe alors qu’ils sont en communauté de destin. Depuis que Menahem Begin leur a permis d’exister en 1977 et de relever la tête face à une élite ashkénaze, ils se sont offerts au Likoud sans aucune hésitation.

Gantz- Yaalon

            Benny Gantz se trouve vivifié face à un adversaire qu’il ne craint plus : «Il semble que l'accusé Netanyahou, qui mène l'État d'Israël sur la voie de la corruption, continuera de diriger le Likoud. Ces élections exigent que nous placions un miroir devant le parti Netanyahu et fassions le choix de l'unité, de la dignité et de la réconciliation interne». Il aurait eu plus de problème avec Gideon Saar, symbole du renouveau, de la jeunesse et même d’un nouveau nationalisme pur et dur. Gantz semble vouloir axer sa campagne autrement, certainement pas comme candidat «anti-Bibi». Il a décidé de muscler ses propositions pour se donner plus de crédibilité et se concentrer sur les vraies valeurs.
            Il a vite assimilé la politique puisqu'il s’est transformé en organisateur de la recomposition de la gauche pour qu’elle soit plus efficace à ses côtés et qu’elle évite la déperdition de ses voix.  Il a donc invité dans sa liste, parmi le top-10, Orly Levy-Abecassis, leader de Gesher, qui a longtemps été encartée au Likoud, et dont la place est effectivement plus adaptée au centre. Elle pèse trois à quatre sièges.

Orly levy-Abécassis

            Il s’agit d’une séfarade affirmée, certes née en Israël, mais de parents marocains qui ont beaucoup souffert, comme tous leurs semblables, durant les premières années de leur installation, envoyés dans des zones de développement, loin de toute civilisation, avec un père maçon qui a réussi. Orly Levy apportera sa pierre dans la liste Kahol-Lavan car elle n’a pas renié ses origines ; elle ne vit pas dans les beaux quartiers de Bavli, mais dans le kibboutz Mesilot près de Beit Shean, fief de son père syndicaliste devenu ministre des affaires étrangères, en pleine zone «périphérique». Quand elle parle de la misère, elle la côtoie tous les jours, dans certains quartiers abandonnés par le gouvernement parce qu’il s’intéresse avant tout à la haute technologie qui n’occupe que 10% de la population israélienne.
            Il s’agit, bien sûr, d’une femme alors que la liste du Likoud ne comporte que 5 places dans les 25 premières et que la liste Blanc-Bleu en comporte légèrement plus, 9 sur 25. Les politiciens machos peuvent s’en donner à cœur joie puisqu’aucune loi ne leur impose la parité hommes-femmes.
            Il s’agit d’une femme courageuse car elle a préféré quitter la place où elle était sûre d’être réélue pour se frotter seule aux autres listes machistes. Mais elle avait compris que les acteurs sécuritaires se trouvant dans toutes les listes, les élections de 2019 se gagneraient sur les problèmes économiques et sociaux.
            Il s’agit d’une femme qui n’est pas née avec une cuillère d’argent dans la bouche. Elle a d’abord fait son service militaire dans l'armée de l'air israélienne puis a ensuite obtenu un diplôme en droit. Avant d'entrer en politique, elle avait travaillé comme modèle et comme animatrice de télévision, pour «s’amuser» en attendant de tracer sa voie politique.
            Il s’agit d’une femme qui sait ce que représente la famille concrètement. Elle est mariée et mère de quatre enfants qu’elle a réussi à élever tout en poursuivant une carrière politique ; elle est en effet députée depuis 2009 ce qui lui donne une légitimité politique.
            Il s’agit d’une femme dont les arguments politiques dérangent au point d’être brimée par les sondeurs qui ne proposent jamais son nom aux sondés.
            Il s’agit d’une femme de convictions car elle ne court pas après les honneurs. Elle a boudé le Likoud parce qu’elle n’avait aucune chance de voir son programme appliqué et ensuite Israël Beitenou où les primaires l’avait placée en tête. Quand Lieberman avait accepté d’entrer au gouvernement de Netanyahou sans aucune garantie que les mesures économiques et sociales qu’elle prônait soient appliquées, elle a quitté un parti qu’elle tenait de ses bras depuis le départ des militants russes historiques.

            Il s’agit d’une femme qui a perdu le sens de l’orientation politique et géographique. Pour elle la droite et la gauche sont des notions périmées quand la population souffre, quand les familles ont du mal à joindre les deux bouts, quand les gens, qui vivent au bout du monde à gauche, sont abandonnés par leurs dirigeants, quand certaines personnes âgées ont du mal à se faire soigner car la médecine nécessite beaucoup d’argent, et quand les zones périphériques sont discriminées par manque d’hôpitaux et de médecins de qualité.
            Il s’agit certes d’une femme qui a fait ses premières classes politiques à droite mais son action est purement sociale. Les Travaillistes en étaient conscients puisqu’ils ont fait liste commune avec elle.
            Il s’agit d’une femme qui n'est pas novice en politique, qui a été présidente de la Commission des droits de l’enfant à la Knesset et qui la première avait tiré la sonnette d’alarme au sujet des membres de la secte Lev Tahor, créée par l’israélien Shlomo Helbrans, qui avait défrayé la chronique au Québec. Plusieurs témoignages faisaient état au sein de ce groupe d’actes de violence, de mariages forcés et de maltraitance des enfants avec de véritables lavages de cerveau imposés aux plus jeunes. 
            Il s’agit d’une femme qui, une fois élue, n’oubliera pas ses électeurs. Parce que le social intéresse les deux bords, elle est Gantz-compatible si on lui donne une charge à la hauteur de ses convictions et de ses compétences. On manque en politique de quarantenaires de ce calibre capables enfin de secouer le cocotier des vieux machos irréductibles.

            Voilà pourquoi la victoire de Netanyahou est toute relative. Face à l’entêtement des militants du Likoud, l’opposition s’est raffermie mais l’incertitude du 2 mars demeure toujours.

1 commentaire:

Jean-Marc ILLOUZ a dit…

Une analyse utilement nuancée du futur champ de bataille électoral de mars 2020 et de sa sociologie en mouvement
Et un vivifiant portrait de femme de fer et d’avenir. Orly Levy-Abecasis
Quadragenaire expérimentée qui refuse de laisser s’accumuler les misères sociales,
sous le tapis si mediatique des questions sécuritaires!
Au prix parfois de sa carrière politique: bien rare!