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lundi 6 janvier 2020

L'Ukraine, terre de refuge pour les djihadistes



L’UKRAINE, TERRE DE REFUGE POUR LES DJIHADISTES

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            
Abou Omar Al-Shishani

        À la suite d'une opération spéciale conjointe du SBU (service de sécurité de l'Ukraine) avec des services spéciaux étrangers dans la région de Kiev, l'un des principaux dirigeants de l'organisation terroriste Daesh a été arrêté. Un citoyen géorgien, surnommé Al Bara Shishani, occupait le poste d'émir de Jamaat Ahadun Ahad dans la province de Lattaquié en Syrie. Ce groupe mineur de rebelles, composé d'étrangers et de Syriens, a combattu dans la guerre civile syrienne et était dirigé par Abou Omar Al-Shishani. Cet ancien sergent de l'armée géorgienne a été commandant de Daesh en Syrie. 





Al Bara Shishani

        En 2013 Al-Bara, qui avait occupé l'un des postes les plus élevés de Daesh, émir militaire adjoint d'Abou Omar al-Shishani, et un nombre important de combattants ont quitté Lattaquié pour rejoindre Daesh en 2016. Après l'élimination de ce dernier, Al Bara Shishani est parti pour la Turquie, où il a continué de coordonner les activités de l'organisation terroriste.
            Né Cezar Tokhosashvili, Al Bara Shishani est parmi les originaires de la région des gorges de Pankisi, dans le nord de la Géorgie. Ce territoire montagneux a des liens étroits avec la Tchétchénie, située de l'autre côté de la frontière avec la Russie, à 40 miles au nord. La plupart des 10.000 habitants de Pankisi appartiennent à quelques clans ethniques tchétchènes ; plusieurs centaines de réfugiés se sont déplacés ici à la suite des conflits qui s'y sont déroulés. «Shishani» est la traduction arabe de «Tchétchène».
            Al Bara Shishani était réputé pour l'extrême terreur qu’il faisait régner. En tant que vice-ministre de la guerre de Daesh, et chef d'une unité chargée des «opérations spéciales» et de la surveillance, ce commandant d'origine géorgienne était responsable des exécutions de «non-croyants», de décapitations publiques et d’opérations terroristes à l'étranger. Il avait été considéré comme mort à la suite d’une frappe aérienne fatale en Syrie. Mais des détails ont été révélés sur sa miraculeuse résurrection. Il avait utilisé un faux passeport pour se rendre en Turquie puis en Ukraine en 2018 où il a vécu sans problème pendant deux ans.  Sur la base de faux documents, il avait réussi à légaliser son séjour. Mais il s’avère qu’il a continué à coordonner les activités des unités spéciales depuis Kiev. 
Al Bara Shishani au tribunal

             Il a fait surface il y a trois ans lorsqu'il a été arrêté et présenté à un juge dans la ville bucolique d'Ouzhgorod, dans l'ouest de l'Ukraine. Il était alors difficile de savoir exactement ce qu'il faisait dans les Carpates - la plupart de ses camarades de cette époque sont maintenant morts. Une expertise a confirmé l’identité du détenu. Il est en cours d'extradition.
            Cette réapparition démontre que l'Ukraine est devenue le foyer improbable pour les dirigeants de Daesh échappant au califat. En effet, près de 200 des jeunes hommes de Pankisi sont partis se battre en Syrie entre 2012-15, pour rejoindre des unités combattant Bachar el-Assad au sein de l'armée syrienne libre ; mais certains se sont ensuite retrouvés chez Daesh. Les habitants des gorges de Pankisi savaient tout sur la carrière terroriste d'Al Bara Shishani. Enfin ces jeunes l'ont suivi alors qu'il décampait à Lattaquié, dans l'ouest de la Syrie, en 2012 ; puis en 2015, quand il a rejoint Daesh.
Combattants tchetchenes de Daesh

            C'était aussi un secret de polichinelle qu'un autre garçon local, Ahmed Chatayev, unijambiste et armé - a également joué un rôle clé dans la conversion d'Al Bara Shishani en Daesh. Chatayev a ensuite été accusé d'avoir coordonné l'attentat de juin 2016 contre l'aéroport d'Istanbul. Cependant, son implication n'a jamais été confirmée de manière concluante mais en 2017, il s'est fait exploser lors d'un raid policier dans la capitale géorgienne, Tbilissi. 
         Il est évident que les militants circulaient librement chez eux. Ainsi en 2013 Chatayev a pu rentrer à Pankisi malgré un avis de recherche d'Interpol. Il semble qu’il ait eu certaines complicités, en particulier celle de Yuriy Lutsenko, ministre de l'Intérieur de Kiev, qui deviendra plus tard célèbre en tant que procureur «égoïste et corrompu» au centre du scandale de la destitution de la Chambre dans les relations de Donald Trump avec l'actuel président ukrainien Volodymyr Zelensky. Chatayev a été arrêté via Interpol à la demande de Moscou. La police a également trouvé des instructions et des photographies de cadavres sur son téléphone portable. Malgré cela, il n'a jamais été extradé vers la Russie et a été autorisé à rentrer chez lui en Géorgie. 
Ahmed Chatayev

            Les autorités ukrainiennes ont depuis longtemps créé des trous dans leurs systèmes juridiques et répressifs. Le bénéficiaire habituel est le crime organisé, qui se nourrit du flux de fausses pièces d'identité et de contrebande. Mais le régime laxiste a également créé une vulnérabilité évidente au terrorisme international. Les États-Unis ont été particulièrement frustrés par l'incapacité de Kiev à arrêter le commerce des faux passeports. L'obtention de faux passeports était à un moment une affaire extrêmement facile et bon marché. Cela a changé avec l'introduction des passeports biométriques en 2015, ce qui a réduit le nombre de pièces illégales. Mais plusieurs entreprises continuent de fonctionner à partir du darknet - avec des vrais passeports coûtant environ 5.000$.
            Cela revêt une importance évidente pour la sécurité européenne, puisque l'Ukraine bénéficie désormais de voyages sans visa avec la plupart des pays de l'UE. Alors que les faux passeports peuvent être identifiés assez facilement, les passeports authentiques délivrés par une autorité reconnue ne le peuvent pas. Tout cela facilite les séjours des milliers de militants islamiques post-soviétiques à la recherche de destinations. La Tchétchénie est le terreau fertile du djihadisme.
          L'Ukraine offre également plusieurs avantages par rapport à d’autres pays : la langue russe commune, le chaos de la guerre, le manque de professionnalisme des services de sécurité locaux et le faible risque d'extradition vers des pays comme la Russie.  Ainsi, des centaines d'anciens combattants de Daesh se sont réfugiés en Ukraine, une fois arrivés en Ukraine, ils rencontrent rarement des problèmes avec les autorités. Ce fut le cas d’Al Bara Shishani qui a séjourné deux ans à Kiev. La corruption dans tous les organes de l'État - police, tribunaux, procureurs - ouvre la porte aux abus. Les autorités ukrainiennes ne l’ont pas dénoncé quand elles l'ont découvert. Ce n’est que le 15 novembre que la CIA et le ministère géorgien de l'Intérieur se sont joints à l'opération de son arrestation le 15 novembre. 
            Seulement, cette présence présumée de djihadistes en Ukraine n’est pas sans conséquence pour l’Union européenne qui, en 2015, et malgré les réserves de la France et de l’Allemagne, a décidé d’exempter les ressortissants ukrainiens disposant d’un passeport biométrique désireux de séjourner dans l’espace Schengen à demander un visa. D'ailleurs de nombreux tchétchènes ont participé à des attentats à Paris et certains ont été abattus par la police.

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