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dimanche 19 janvier 2020

Israël mars 2020 : la course est lancée


 ISRAËL MARS 2020 : LA COURSE EST LANCÉE

Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps
            

          Les listes des candidats aux élections législatives du 2 mars 2020, troisième tour, ont été officiellement déposées. Peu de changements ont été enregistrés à l’exception d’un regroupement à la gauche de Bleu-Blanc et à la droite du Likoud. La liste Yamina, droite nationaliste, a été enfantée dans la douleur, sous l’égide de Benjamin Netanyahou qui a imposé dans son bureau l’union pour éviter l’émiettement des voix de droite, mais en écartant les Kahanistes. À gauche c’est avec la même douleur qu’il a fallu créer un groupe hétéroclite constitué des travaillistes historiques, ayant viré au centre, de Meretz, gardien de l’idéologie de gauche et de Gesher d’Orly Levy-Abecassis, groupuscule issu de la droite, voire de la droite nationaliste d’Avigdor Lieberman.


Vers un 4ème tour de scrutin!

            Mais dans ces recompositions, l’idéologie est absente des choix décisifs. Ce fut le ballet des renoncements et des trahisons. La maladie n’est pas spécifique à Israël mais à tous les pays démocratiques.  Depuis longtemps, il est difficile de croire à la soumission d’un député à son parti car seul son intérêt compte avant celui du pays qu’il est censé représenter.  La Knesset est devenue le lieu où les questions matérielles personnelles dominent l’aspect idéologique car telle est la nature humaine faite de recherche d’honneur et de position honorifique. 
       La maladie attaque surtout les jeunes ou les débutants qui veulent sauter les obstacles pour parvenir plus vite au sommet. Et s’ils montrent quelques réelles aptitudes à la politique, ils prennent vite la grosse tête pensant que ceux qui les ont faits vont se mettre à genoux devant leurs exigences. Ils sont toujours prêts à faire le «don de leur personne» si au bout du chemin se trouve un poste à la hauteur de leurs ambitions.


            À droite, l’un des rares députés éthiopiens, Gadi Yevarkan, s’était distingué à la précédente assemblée en baisant, de manière très émouvante, les pieds de sa mère venue assister à son intronisation. Il a estimé devoir quitter sa 33ème place sur la liste Bleu-Blanc de Benny Gantz pour accepter la 20ème place sur la liste Likoud, d’ailleurs son parti d’origine. Ce départ chez «l’ennemi» à quelques heures du dépôt des listes, a été interprété comme une trahison car il était assuré dans tous les cas d’être élu. Netanyahou, qui cherche à saboter les efforts de ses concurrents, a voulu frapper fort en choisissant un symbole, celui d’une minorité souvent peu considérée par les partis politiques. Un poste de ministre aurait été proposé au «félon» pour déstabiliser Benny Gantz. Mais ce transfert ne déplacera qu'un ou deux députés car il existe un contentieux sérieux entre la communauté éthiopienne et le gouvernement à la suite de deux incidents graves avec la police. 


            À gauche, la jeune Stav Shaffir, la passionaria du parti travailliste, l’étoile montante, avait atteint les sommets grâce à la qualité de ses interventions à la Knesset, à sa fougue et à sa capacité de conviction. Elle avait émergé à l’occasion de la révolution des tentes» de 2011 où elle défendait une politique sociale.  Entrée en 2012 au parti travailliste, elle avait pris la 9ème place aux élections de 2013. Aux primaires de 2019, elle était arrivée seconde, après Amir Peretz, mais en battant un vétéran de la justice sociale Itzik Shmuli. Elle avait les qualités d’une vraie harangueuse de foule capable de capter l’attention des militants. A la tribune de la Knesset elle cognait fort grâce à des arguments bien fignolés et ses dons d’oratrice de convictions.

Stav Shaffir

            Mais son parcours est sinueux car elle est très pressée. S’estimant bloquée par les vieux militants, elle avait décidé de quitter le parti travailliste aux élections du 17 septembre 2019 pour figurer sur la «liste démocratique» incluant Meretz, au rang numéro-2 juste après Nitzan Horowitz et avant les dirigeants historiques du parti. Elle était convaincue que les caciques travaillistes, bien installés, lui barraient sa route politique. Mais les résultats électoraux n’ont pas été à la hauteur de ses espérances dans un parti qui ne peut pas se défaire de sa réputation pro-arabe. 

           À la suite de la fusion Labor-Gesher-Meretz, elle avait exigé une bonne place sur la liste commune et surtout l’assurance d’être ministre en cas de victoire de Benny Gantz. Elle avait mis la barre trop haute. C’était trop demander et on ne lui a pas offert une place de choix, sinon réaliste, sur la liste combinée. Son départ a été acté et elle n’a obtenu aucun point de chute. Elle va manquer à la tribune de la Knesset mais elle reviendra certainement lorsqu’elle aura mesuré sa force à sa juste puissance. La jeunesse est impatiente !
            Naïfs sont ceux qui croient que les politiques travaillent uniquement pour le pays.  La plupart roulent pour eux, pour leur carrière et surestiment parfois leur influence au sein de leur formation. Mais par exception, certains sont dignes dans leurs convictions et leur promesse. Ainsi Rafi Peretz, leader de Habayit Hayehudi, avait signé un accord de liste commune avec les Kahanistes de Ben Gvir mais sur l’insistance du premier ministre et à la suite d’un chantage contre Naftali Bennett, menacé de perdre son poste de ministre de la défense, Rafi Peretz a planté un couteau dans le dos de Ben Gvir en l’éliminant de la liste commune de la droite. Choqué par ce manque de parole, Moti Yogev a démissionné de son parti, se privant du même coup d’un poste de député. Il refuse de cohabiter avec quelqu’un qui manque de parole : «Une fête dont les gens ne sont pas fidèles à leur parole et à leur chemin ne verra pas de bénédiction». C’est un honneur pour cet homme de conviction qui a préféré privilégier «les valeurs de vérité, de justice et d'amitié». C’est l’exception qui confirme la règle.

            Toutes ces gesticulations politiques laisseront des traces. Elles éloignent de la politique les cadres éminents qui ne trouvent pas leur place dans ce monde sans pitié. La campagne électorale va enfin débuter dans une atmosphère de trahison et de prétentions personnelles. Le leader du Likoud est touché mais pas coulé. Benny Gantz s'en remettra du départ du seul député éthiopien de la Knesset. Les deux précédentes élections s’étaient distinguées par une absence totale de débat sur les programmes politiques et sur les urgences sécuritaires et économiques. Il n'est pas certain que les candidats aborderont les questions qui fâchent pour ne pas voir fuir leurs électeurs. Compte tenu du système électoral à la proportionnelle intégrale et les listes étant pratiquement identiques, rien ne laisse prévoir un raz de marée au profit de l’un ou l’autre des camps. Les écarts pour les deux grands partis se mesurent à quatre députés près, autour de 35 sièges, loin de permettre une coalition de 61 sièges. Le problème reste entier.
            Alors les partis attendent un miracle ; ils le peuvent dans un pays qui depuis sa création ne croit qu’en cela. Chacun d’eux ne rêve que d’une trahison massive, qu’un petit groupe d’une dizaine de députés rejoigne l’autre camp pour mettre fin à l’incertitude et pour empêcher un quatrième tour d’élections car Netanyahou est intéressé à prolonger le suspense autant de fois que nécessaire pour se protéger contre la justice. En effet, bien que premier ministre de transition, il garde son immunité parlementaire. A part une tentative avortée de Gideon Saar pour être calife à la place du calife, on ne voit personne capable d’être suffisamment non légitimiste pour transgresser le droit divin au Likoud, ou opportuniste pour quitter Bleu-Blanc afin de rejoindre un premier ministre dévalorisé. 
       Les rabbins, qui avaient prié pour faire venir la pluie, ont exagéré car tout le pays est inondé. Ils pourraient à présent prier le Ciel pour que la prochaine Knesset trouve une majorité afin que le pays se remette sur les rails. Il serait temps car la population est lasse des incertitudes dans laquelle on l'a placée. La course est lancée.

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