Par Jacques BENILLOUCHE
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Les
listes des candidats aux élections législatives du 2 mars 2020, troisième tour,
ont été officiellement déposées. Peu de changements ont été enregistrés à
l’exception d’un regroupement à la gauche de Bleu-Blanc et à la droite du
Likoud. La liste Yamina, droite nationaliste, a été enfantée dans la
douleur, sous l’égide de Benjamin Netanyahou qui a imposé dans son bureau
l’union pour éviter l’émiettement des voix de droite, mais en écartant les
Kahanistes. À gauche c’est avec la même douleur qu’il a fallu créer un groupe hétéroclite constitué des travaillistes historiques, ayant viré au centre, de Meretz,
gardien de l’idéologie de gauche et de Gesher d’Orly Levy-Abecassis, groupuscule issu de la
droite, voire de la droite nationaliste d’Avigdor Lieberman.
Vers un 4ème tour de scrutin! |
Mais
dans ces recompositions, l’idéologie est absente des choix décisifs. Ce fut le
ballet des renoncements et des trahisons. La maladie n’est pas spécifique à
Israël mais à tous les pays démocratiques.
Depuis longtemps, il est difficile de croire à la soumission d’un député
à son parti car seul son intérêt compte avant celui du pays qu’il est censé représenter. La Knesset est devenue le lieu où les questions
matérielles personnelles dominent l’aspect idéologique car telle est la nature
humaine faite de recherche d’honneur et de position honorifique.
La maladie attaque
surtout les jeunes ou les débutants qui veulent sauter les obstacles pour
parvenir plus vite au sommet. Et s’ils montrent quelques réelles aptitudes à la
politique, ils prennent vite la grosse tête pensant que ceux qui les ont faits vont
se mettre à genoux devant leurs exigences. Ils sont toujours prêts à faire le «don
de leur personne» si au bout du chemin se trouve un poste à la hauteur de
leurs ambitions.
À
droite, l’un des rares députés éthiopiens, Gadi Yevarkan, s’était distingué à
la précédente assemblée en baisant, de manière très émouvante, les pieds de sa
mère venue assister à son intronisation. Il a estimé devoir quitter sa 33ème
place sur la liste Bleu-Blanc de Benny Gantz pour accepter la 20ème place
sur la liste Likoud, d’ailleurs son parti d’origine. Ce départ chez «l’ennemi»
à quelques heures du dépôt des listes, a été interprété comme une trahison car
il était assuré dans tous les cas d’être élu. Netanyahou, qui cherche à saboter
les efforts de ses concurrents, a voulu frapper fort en choisissant un symbole,
celui d’une minorité souvent peu considérée par les partis politiques. Un poste
de ministre aurait été proposé au «félon» pour déstabiliser Benny Gantz. Mais ce transfert ne déplacera qu'un ou deux députés car il existe un contentieux sérieux entre la communauté éthiopienne et le gouvernement à la suite de deux incidents graves avec la police.
À
gauche, la jeune Stav Shaffir, la passionaria du parti travailliste, l’étoile
montante, avait atteint les sommets grâce à la qualité de ses interventions à
la Knesset, à sa fougue et à sa capacité de conviction. Elle avait émergé à l’occasion de la
révolution des tentes» de 2011 où elle défendait une politique sociale. Entrée en 2012 au parti travailliste, elle
avait pris la 9ème place aux élections de 2013. Aux primaires de
2019, elle était arrivée seconde, après Amir Peretz, mais en battant un vétéran
de la justice sociale Itzik Shmuli. Elle avait les qualités d’une vraie
harangueuse de foule capable de capter l’attention des militants. A la tribune de
la Knesset elle cognait fort grâce à des arguments bien fignolés et ses dons
d’oratrice de convictions.
Stav Shaffir |
Mais son parcours est sinueux car elle est très pressée. S’estimant
bloquée par les vieux militants, elle avait décidé de quitter le parti
travailliste aux élections du 17 septembre 2019 pour figurer sur la «liste
démocratique» incluant Meretz, au rang numéro-2 juste après Nitzan Horowitz
et avant les dirigeants historiques du parti. Elle était convaincue que les caciques
travaillistes, bien installés, lui barraient sa route politique. Mais les
résultats électoraux n’ont pas été à la hauteur de ses espérances dans un parti
qui ne peut pas se défaire de sa réputation pro-arabe.
À la suite de la fusion Labor-Gesher-Meretz,
elle avait exigé une bonne place sur la liste commune et surtout l’assurance
d’être ministre en cas de victoire de Benny Gantz. Elle avait mis la barre trop
haute. C’était trop demander et on ne lui a pas offert une place de choix,
sinon réaliste, sur la liste combinée. Son départ a été acté et elle n’a obtenu
aucun point de chute. Elle va manquer à la tribune de la Knesset mais elle reviendra
certainement lorsqu’elle aura mesuré sa force à sa juste puissance. La jeunesse
est impatiente !
Naïfs
sont ceux qui croient que les politiques travaillent uniquement pour le pays. La plupart roulent pour eux, pour leur carrière
et surestiment parfois leur influence au sein de leur formation. Mais par
exception, certains sont dignes dans leurs convictions et leur promesse. Ainsi Rafi
Peretz, leader de Habayit Hayehudi, avait signé un accord de liste commune avec
les Kahanistes de Ben Gvir mais sur l’insistance du premier ministre et à la
suite d’un chantage contre Naftali Bennett, menacé de perdre son poste de
ministre de la défense, Rafi Peretz a planté un couteau dans le dos de Ben Gvir
en l’éliminant de la liste commune de la droite. Choqué par ce manque de
parole, Moti Yogev a démissionné de son parti, se privant du même coup d’un
poste de député. Il refuse de cohabiter avec quelqu’un qui manque de parole :
«Une fête dont les gens ne sont pas fidèles à leur parole et à leur chemin
ne verra pas de bénédiction». C’est un honneur pour cet homme de conviction
qui a préféré privilégier «les valeurs de vérité, de justice et d'amitié».
C’est l’exception qui confirme la règle.
Toutes
ces gesticulations politiques laisseront des traces. Elles éloignent de la politique les cadres éminents qui ne trouvent pas leur place dans ce monde sans pitié. La campagne électorale va
enfin débuter dans une atmosphère de trahison et de prétentions personnelles. Le
leader du Likoud est touché mais pas coulé. Benny Gantz s'en remettra du départ du seul député éthiopien de la Knesset. Les deux précédentes élections s’étaient
distinguées par une absence totale de débat sur les programmes politiques et sur les
urgences sécuritaires et économiques. Il n'est pas certain que les candidats aborderont les questions qui fâchent pour ne pas voir fuir leurs électeurs. Compte tenu du système électoral à la proportionnelle intégrale et les listes étant pratiquement identiques,
rien ne laisse prévoir un raz de marée au profit de l’un ou l’autre des camps.
Les écarts pour les deux grands partis se mesurent à quatre députés près, autour
de 35 sièges, loin de permettre une coalition de 61 sièges. Le problème reste entier.
Alors
les partis attendent un miracle ; ils le peuvent dans un pays qui depuis
sa création ne croit qu’en cela. Chacun d’eux ne rêve que d’une trahison
massive, qu’un petit groupe d’une dizaine de députés rejoigne l’autre camp pour
mettre fin à l’incertitude et pour empêcher un quatrième tour d’élections car
Netanyahou est intéressé à prolonger le suspense autant de fois que nécessaire
pour se protéger contre la justice. En effet, bien que premier ministre de transition, il
garde son immunité parlementaire. A part une tentative avortée de Gideon Saar pour être
calife à la place du calife, on ne voit personne capable d’être suffisamment
non légitimiste pour transgresser le droit divin au Likoud, ou opportuniste
pour quitter Bleu-Blanc afin de rejoindre un premier ministre dévalorisé.
Les
rabbins, qui avaient prié pour faire venir la pluie, ont exagéré car tout le pays
est inondé. Ils pourraient à présent prier le Ciel pour que la prochaine Knesset trouve
une majorité afin que le pays se remette sur les rails. Il serait temps car la population est lasse des incertitudes dans laquelle on l'a placée. La
course est lancée.
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