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vendredi 15 novembre 2019

Gaza : bilan d'une péripétie


GAZA : BILAN D’UNE PÉRIPÉTIE

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps
            
Baha Abu al-Atta au centre

         Nous avions écrit au début des troubles à Gaza que l’assassinat ciblé du chef du djihad islamique, Baha Abu al-Atta, à la suite d’une frappe aérienne, resterait une simple péripétie comme il y en a eu d’autres bien avant : des tirs de roquettes suivis de représailles mais pas d’extension de la guerre grâce à un accord rapide de cessez-le-feu. Cependant un élément politique nouveau est intervenu à Gaza; ce conflit vient de mettre en évidence certes une rivalité entre les deux factions, mais surtout une rupture totale entre le Hamas et le djihad islamique, l’un soutenu par l’Égypte et le Qatar et l’autre par l’Iran. Le djihad palestinien a pris dorénavant ses distances pour agir en organisation autonome ne coordonnant plus ses actions avec son concurrent et prenant ses ordres depuis la Syrie. L'alliance avec le Hamas a vécu. C’est pourquoi cette élimination fait les affaires d’Ismaël Haniyeh dont la rivalité larvée avec le djihad islamique s’affiche dorénavant ouvertement.
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Terroristes du Djihad éliminés à Gaza

            Elément nouveau, pour la première fois Israël était à l'origine de sa demande de cessez-le-feu qui est entré en vigueur le jeudi 14 novembre à 5h30 mais, après une nuit calme, quelques tirs, relevant plutôt d’un baroud d’honneur de quelques irréductibles, ont encore eu lieu. Plusieurs heures après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, des alarmes de couleur rouge ont été entendues autour de Gaza et à Netivot. Cinq lancements ont été interceptés par le dôme de fer. Les militants du djihad ne sont pas disciplinés et certains n'hésitent pas à braver les décisions du sommet.



           Sur le plan militaire, malgré cette guerre asymétrique, Israël a atteint ses objectifs consistant à détruire de nombreuses infrastructures du djihad sans toucher à celles du Hamas pour l’empêcher de rejoindre le djihad. Plus de 20 terroristes ont été éliminés. Tsahal a ciblé des centres d’entraînement dont l’un utilisé par le commando naval du djihad, des complexes militaires, des usines de fabrication de roquettes, un tunnel au nord de la bande de Gaza, un site de creusement de tunnels dans le centre de la bande de Gaza, ainsi que plusieurs sites souterrains de production d'armes, des installations de stockage d'armes et des postes d'observation.

Domicile du chef terroriste

            Des révélations font état d’une collaboration active de certains éléments israéliens avec des membres du Hamas qui ont identifié le domicile du chef du djihad et qui ont aidé des commandos à installer des détecteurs électroniques pour que l'aviation repère avec précision la cible. Cela explique que seul l’appartement de Abu al-Atta a été touché et qu’il n’y a eu aucun dégât collatéral, à l’exception de sa femme. Cette collaboration originale ouvre des horizons nouveaux pour Israël qui peut envisager un plan pacifique à long terme à Gaza conduisant à l’ouverture partielle des frontières aux marchandises et aux ouvriers afin d’influer sur la situation économique dramatique de la Bande ; un bon moyen d’écarter la population des extrémistes.
            Le bilan humain en Israël est modéré malgré le tir de 450 roquettes qui n’ont pas fait de mort côté israélien, que des blessés, car des territoires inhabités ont été touchés et 90% des roquettes ont été interceptées. Les forces de Tsahal, libérées au sud, vont désormais concentrer leurs efforts sur le front nord.
Askenazi, Russo, Galant, Barak

            L’élimination du chef du djihad a eu des répercussions politiques en Israël au point que certains dirigeants politiques ont accusé Benjamin Netanyahou, premier ministre de transition, d’avoir choisi volontairement ce moment pour attaquer Gaza. Si tel était le cas, il a manœuvré de main de maître pour empêcher Benny Gantz de mettre au point sa coalition. Des rumeurs dont nous avions l’écho tendaient à révéler des négociations secrètes entre Lieberman et Ayelet Shaked pour envisager sa participation à un gouvernement Bleu-Blanc. La nomination de Naftali Bennett, qui a toujours rêvé d’être ministre de la défense alors qu’il n'a pas la compétence et ni l’étoffe, a brisé ce consensus naissant. L’ex-général de division Yoav Galant s'est opposé à cette nomination au cours d'une réunion du Cabinet parce qu’il s’estimait plus qualifié pour le poste. Cela a d'ailleurs réveillé la faction de Koulanou dont il fait partie et qui a été intégrée au Likoud malgré plusieurs oppositions au sein du parti de Moshé Kahlon. De là à ce qu’ils fassent scission, il n’y a qu’un pas.

Gantz avec les leaders arabes

            Par ailleurs, la liste arabe qui n'avait pas réagi aux nombreux morts de Gaza, a été prise à partie à la Knesset par le premier ministre pour montrer qu'ils n'étaient pas de bons israéliens. Il fallait absolument que l’éventualité d’un gouvernement minoritaire, avec la neutralité des députés arabes, ait du plomb dans l’aile et de ce point de vue Netanyahou a été efficace. Le premier ministre a choisi l’affrontement avec les députés arabes à la Knesset pour les délégitimiser en les accusant «de soutenir le terrorisme et de glorifier les crimes de guerre» ce qui a fait réagir violemment le député Ahmed Tibi : «Vous mentez et incitez contre nous».
            Netanyahou a ainsi déclaré à la Knesset : «Si vous blessez des civils intentionnellement, vous commettez des crimes de guerre. Les terroristes de Gaza sont en train de commettre des crimes de guerre ; ils essaient intentionnellement de frapper des civils et se cachent derrière des civils. Vous glorifiez leurs crimes de guerre. Hier, j'ai entendu parler d'une manifestation de soutien de votre part à laquelle un député a essayé de toutes les manières de nous dénoncer en tant que criminels de guerre. C'est intolérable». L’accusation contre les députés arabes était claire, une façon de les considérer comme des complices des terroristes et de les noircir auprès de la population juive. 
Clash entre Bibi et Tibi le 13 novembre

            D’ailleurs le leader la liste commune, Ayman Odeh, a haussé le ton en accusant Netanyahou d'avoir ordonné l'assassinat d'Abou al-Ata à des fins politiques : «Un homme cynique qui a perdu deux élections consécutives ne laissera que de la terre brûlée dans une tentative désespérée de rester au pouvoir. Depuis dix ans, il se lève chaque matin dans le but d'approfondir l'occupation de la Cisjordanie et de réduire les chances de paix». Cette attaque frontale contre les députés arabes pourrait être contre-productive et les pousser au contraire à agir pour empêcher le premier ministre de se maintenir au pouvoir. Ils pourraient offrir «gratuitement» leur soutien à un gouvernement minoritaire Gantz.
            Lieberman a pris ouvertement position contre le premier ministre : «Netanyahou n'accepte pas notre offre. Je n'ai pas entendu " Non", mais je n'ai pas entendu non plus " Oui"». Benny Gantz a pris la balle au bond : «Nous ferons l'effort de dernière minute pour empêcher les élections». Lieberman a rencontré jeudi Gantz à Kfar Maccabiah à Ramât-Gan pour tenter de résoudre l'impasse politique. Le leader Bleu-Blanc a alors déclaré : «Nous avons mis fin à une réunion d'une heure, une bonne réunion, nous avons analysé la réalité telle que nous la voyons. Pour ma part, Netanyahou se bat pour les élections. Nous avons clarifié notre position concernant les options. Jusqu'au dernier moment pour l'empêcher. Le discours est bon».
            Mais au sein du parti Bleu-Blanc quelques tensions existent car peu sont enclins à siéger aux côtés de Benjamin Netanyahou au sein du gouvernement, compte tenu du risque judiciaire et de son exigence d’être premier ministre dès le début de la rotation. Gantz maintient que Netanyahou ne peut pas servir de Premier ministre si le Procureur décide de l’inculper. Yaïr Lapid, qui reste ferme sur ses convictions, a prévenu qu’il ne rejoindra pas le gouvernement si Netanyahou continue à assumer les fonctions de Premier ministre : «Nous n'avons pas mis en place Bleu-Blanc pour siéger avec Bibi».


            Gantz et Lieberman doivent à nouveau se réunir tandis que le président a décidé de rencontrer, avant la fin du mandat du président Bleu-Blanc, Netanyahou, Gantz et les chefs des partis pour une ultime tentative de débloquer la situation. On remarque cependant que, passées les quelques heures où la solidarité nationale et l'union s’imposaient en période de guerre, la politique a repris le dessus. Gaza a vraiment été une simple péripétie.

2 commentaires:

Patrick a dit…

Bon résumé mais quid dès israéliens du sud encore sous les bombes

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

J'avoue que j'attendais des commentaires de vos lecteurs israéliens pour répondre à certaines questions que je me suis posées en lisant cet article. Ils ne sont pas venus, aussi je me lance.
Assistons-nous à ce qu'il est convenu d'appeler un renversement d'alliance où l'ennemi d'hier devient l'ami d'aujourd'hui ?
Mais Israël devenant l'allié objectif du Hamas, n'est-ce pas la fin de l'idée des "deux états" ?
Et le fait qu'Israël soit de fait, confronté à la Russie qui a vaincu les islamistes en Syrie, est-ce sans danger ?
De même, alors que vous admettez que Netanyahou a "manoeuvré de main de maître", est-ce que provoquer les Arabes israéliens ne pourrait entraîner d'autres "péripéties" qui pour être "simples", n'en seraient peut-être pas moins douloureuses ?

Très cordialement.