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dimanche 31 décembre 2017

La réalité des forces de sécurité palestiniennes



LA RÉALITÉ DES FORCES DE SÉCURITÉ PALESTINIENNES

Par Jacques BENILLOUCHE
Copyright © Temps et Contretemps

            

Forces palestiniennes

         A chaque fois que des troubles interviennent dans les territoires, la question des forces de sécurité palestiniennes se pose. Dès le départ, la population palestinienne avait fait une mauvaise interprétation de leur rôle, car elle pensait qu’elles devaient contribuer à «la résistance à l’occupation». Mais les Palestiniens avaient oublié que les forces étaient dépendantes des investissements massifs des bailleurs de fonds et qu’elles devaient surtout créer des espaces sécurisés dont, certes, profitaient aussi les Israéliens. 

       
         

              
                 L’Autorité palestinienne, de son côté, a exploité ces forces pour garantir le statu quo qui l’intéressait plus que toute autre solution. On peut situer trois périodes distinctes dans l’évolution des forces de sécurité : 1993-1999, 2000-2006 et après 2007.
            Durant la première période des Accords d'Oslo (1993-1999), ces forces avaient pour but de renforcer les nouvelles institutions étatiques mais elles n'ont pas échappé à une bureaucratie gonflée. En fait, elles se sont mises dès le début à la disposition d’un système de gouvernance personnalisé au service de Yasser Arafat et de son réseau complexe de corruption et de mécénat. Elles ont servi à neutraliser les opposants aux accords d’Oslo. Les 9.000 recrues de la «force de police forte» prévue dans l'accord du Caire de 1994, sont devenues près de 50.000 agents de sécurité en 1999 qui se sont espionnés les uns les autres et qui ont consolidé l'autoritarisme en bloquant les mécanismes du système politique palestinien. Au lieu de servir de matrice et de modèle pour restructurer des forces de sécurité gangrenées par la corruption et le sectarisme, les forces ont défendu la corruption et le favoritisme et ont été à la base de la division des Palestiniens.

            Au cours de la deuxième Intifada (2000-2006), Israël avait détruit l'infrastructure de sécurité de l'Autorité palestinienne parce que ses forces de sécurité avaient directement participé au soulèvement. Un vide sécuritaire s’était donc installé qui avait exacerbé la concurrence intra-palestinienne. Cela avait poussé l’AP, en juin 2002, à présenter son plan de réforme de 100 jours pour créer «un appareil de sécurité reconstruit et recentré contre ceux qui sont engagés dans la terreur afin de démanteler les capacités et les infrastructures terroristes».
            Cela était clairement énoncé; Israël n'était pas la cible. Les forces palestiniennes ont été forcées de combattre le terrorisme, d’emprisonner les suspects, de collecter toutes les armes illégales, de fournir à Israël une liste de recrues de la police palestinienne et enfin de rapporter auprès des États-Unis les progrès réalisés. Cela avait confirmé l'interprétation que la réforme de la sécurité palestinienne «était un processus au service des intérêts de la sécurité nationale d'Israël et les États-Unis».
Police palestinienne en action

            Les donateurs occidentaux ont accompagné cette réforme par la création du Bureau de coordination de l'Union européenne pour le soutien de la police palestinienne (EUPOL COPPS) et du Coordinateur de la sécurité des États-Unis (USSC). Constituée par le Conseil de l’UE, le 14 novembre 2005, la Mission de police de l'UE pour les territoires palestiniens avait pour mission la formation de la police civile palestinienne ainsi que le renforcement de la justice pénale et de l’État de droit. À terme, elle avait comme objectif le renforcement de l'ordre public dans les territoires palestiniens. La phase opérationnelle de la mission avait débuté le 1er janvier 2006 et est toujours en cours.


            Dans la troisième période après 2007, il s’agissait de réinventer les forces de sécurité palestiniennes par le biais de la formation et de l'achat d'armes. L’objectif non avoué consistait à neutraliser le Hamas et sa branche armée, qui avaient pris le pouvoir à Gaza, et aussi de réprimer les criminels en menant des campagnes de sécurité, en particulier à Naplouse et à Djénine. Par référence au général américain Keith Dayton qui a dirigé le processus de «professionnalisation et de modernisation» de l'establishment militaire de l'Autorité, les forces ont été appelées «forces Dayton» qui ont renforcé la prédominance des intérêts sécuritaires israéliens au détriment des Palestiniens. 
            Les Israéliens se sont constamment opposés à l'USSC parce qu'ils étaient convaincus que tout Palestinien armé était une menace pour eux. D’ailleurs en mai 2010, le général de division israélien Avi Mizrahi avait publiquement averti qu'un service de sécurité palestinien formé professionnellement n'était pas dans l'intérêt d'Israël : «C'est une force entraînée, équipée et éduquée par les Américains. Cela signifie qu'au début d'une bataille, nous paierons un prix plus élevé, une force comme celle-là peut fermer une zone urbaine avec quatre tireurs d'élite ; ce ne sont plus les militants de Djénine mais une force d'infanterie Ils ont des capacités d'attaque et nous ne nous attendons pas à ce qu'ils abandonnent si facilement».
Général Avi Mizrahi

            Malgré les réticences israéliennes, les forces de Dayton ont été accusées d'être une extension des efforts d'Abbas pour écraser la dissidence politique en Cisjordanie. Elles ont été accusées d'avoir participé à la torture de responsables du Hamas, emprisonnés après des rafles en Cisjordanie, et de sous-traiter la sécurité d’Israël.
            La sécurité palestinienne emploie la moitié des fonctionnaires avec un budget d’un milliard de dollars couvert à 30% par l’aide internationale.  Ce budget représente plus que le budget de l'éducation, de la santé et de l'agriculture réunis. Le secteur est composé de 83.276 personnes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, y compris 312 généraux de brigade, dont 232 pour l'Autorité palestinienne et 80 pour le Hamas. C’est véritablement une armée «mexicaine» puisque, par comparaison, toute l’armée américaine ne comporte que 410 généraux de brigade.
            Même dans les moments les plus critiques, la coordination de la sécurité n’a jamais cessé. En ce qui concerne la collaboration sécuritaire, elle a atteint les objectifs d’Oslo consistant à institutionnaliser les arrangements de sécurité allant jusqu’à l'arrestation de policiers palestiniens recherchés par Israël et bien sûr jusqu’au partage de renseignements entre Tsahal et les forces de sécurité de l'AP. Mahmoud Abbas n’a jamais mis en application ses menaces de suspendre la coordination sécuritaire bien que plus de 60% des Palestiniens s’y opposent parce qu’ils pensent que les forces de sécurité n’ont pas été formées pour combattre Israël mais pour faire respecter la loi et l’ordre.
            De toute façon, rien ne changera dès lors que les services de sécurité bénéficient d'arrangements institutionnels et d'un réseau de collaboration.  Ils profitent du statu quo qui est le privilège de l'élite politique, économique et sécuritaire palestinienne. Le président de l’AP est entré dans ce jeu. La coordination de la sécurité est une réalité qui a même été soulignée par Donald Trump : «J'applaudis la coordination de la sécurité de l'Autorité palestinienne avec Israël. Ils s'entendent incroyablement bien. J'ai eu des réunions, et lors de ces réunions, j'ai été très impressionné et un peu surpris de voir à quel point ils s'entendaient bien. Ils travaillent ensemble magnifiquement».
            Certains nationalistes palestiniens veulent appliquer des mesures significatives pour améliorer le sort de la population en mettant un terme à l'intervention de l'appareil policier dans les questions politiques, en réduisant le budget sécuritaire, en acceptant de dissoudre l’appareil actuel pour le remplacer par des fonctionnaires professionnels et patriotes capables de lutter contre le népotisme politique. Ils craignent qu’une éventuelle annexion de la Cisjordanie ne transforme l’AP en sous-traitante de Tsahal. Une partie des fonds sécuritaires devrait, selon eux, servir à lutter contre la pauvreté et le chômage qui sont les nouvelles insécurités qui guettent les Palestiniens. 
Hamas Gaza

       Mais il est improbable que Mahmoud Abbas et ses amis démantèlent une structure qui leur est dévouée grâce au financement qu’elle reçoit. C’est d’ailleurs un point qui sépare le Hamas du Fatah. Le Hamas conçoit son bras armé, les Brigades Ezzedine el-Kassem, comme un outil pour éradiquer Israël alors que le Fatah utilise ses forces armées à des fins de politique intérieure. L’unification des deux clans risque donc d’être difficile, au moins sur ce point.  

  

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