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mardi 19 septembre 2017

Afrique noire et Israël : dynamique inversée



AFRIQUE NOIRE ET ISRAËL : DYNAMIQUE INVERSÉE

Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps
      

Faure Gnassingbé président du Togo


          Le sommet Israël-Afrique, prévu du 23 au 27 octobre 2017 à Lomé au Togo, a été reporté à une date ultérieure, sine die. D’après les premières informations, le gouvernement togolais a fait parvenir sa décision du report du sommet aux autorités israéliennes qui ont pris acte. Le sommet avait a pour thème «sécurité et développement» et visait non seulement le renforcement des liens de coopération entre Israël et l’Afrique mais aussi la renaissance de leurs relations historiques. Les raisons de ce report divergent selon l’une ou l’autre des parties. Pour les uns, il a été annulé à la suite de menaces de boycott par un certain nombre de pays et des pressions de la part des Palestiniens et des pays arabes. Les Israéliens plus indulgents expliquent que le président togolais a souhaité le report du sommet afin de «permettre d’optimiser les préparations et d’assurer la réussite de cet événement».




            Il est vrai que la situation au Togo est trouble. L’opposition togolaise a organisé durant la semaine dernière deux jours de manifestations dans le pays pour exiger le retour à la Constitution de 1992 et le vote de la diaspora. Le projet de sommet perdait donc de sa dimension politique immédiate. 
        L’histoire diplomatique avec l’Afrique a été inconstante depuis la guerre de 1973 puisque tous les pays africains, à l’exception du Malawi, du Lesotho et du Swaziland avaient rompu leurs relations diplomatiques. Il a fallu attendre les années 1980 pour une reprise progressive des relations : le Zaïre en mai 1982, le Liberia en août 1983, la Côte-d’Ivoire en février 1980, le Cameroun en août 1980, et le Togo en juin 1987.
            L’exacerbation des problèmes économiques d’une part, et la croissance des préoccupations sécuritaires d’autre part, constituent les deux évolutions majeures du continent ayant créé les conditions d’une certaine sensibilité des pays africains à l’offensive diplomatique israélienne. Dans le domaine des questions de sécurité interne ou externe, Israël est perçu comme un recours crédible. La situation économique africaine, marquée par l’impact des chocs pétroliers, la chute des prix de certaines matières premières, la sécheresse, la crise alimentaire, mais surtout la croissance de l’endettement et l’accroissement des interventions, souvent vigoureuses, et du rôle des organismes financiers internationaux (Fonds monétaire international, Banque mondiale), appelle des stratégies étatiques de survie et de parade.
FMI Washington

            Et c’est dans ce cadre qu’Israël jouit d’une perception qui s’est révélée favorable à son retour politique. Dans un contexte où le thème de l’autosuffisance alimentaire est devenu central, de nombreux dirigeants politiques africains, convertis à un nouveau pragmatisme économique au nom de la survie économique, si ce n’est politique, n’ont pas oublié, semble-t-il, les capacités d’assistance qu’avait démontrées Israël dans les années 60. La réputation, quasi mystique, de l’assistance technique israélienne dans le domaine agricole est ici d’autant plus fonctionnelle que la mémoire collective associe volontiers Israël aux années 60, années d’espoir et de volontarisme par excellence.
            Mais cette représentation d’Israël comme détenteur de certaines technologies et d’un savoir-faire pouvant aider à résoudre des problèmes économiques internes n’est pas la plus fonctionnelle du nouveau réalisme pro-israélien, dans la mesure où ces technologies peuvent s’acquérir indépendamment du recours à Israël. En revanche, le contexte africain de survalorisation des ressources financières en provenance de l’étranger donne une image autrement plus décisive et plus favorable à un rapprochement politique avec 1’Etat juif. C’est la perception d’Israël comme relais, guide ou appui, à l’heure où, par nécessité impérieuse, une partie de plus en plus importante de l’Afrique se tourne vers Washington comme bailleur de fonds d’importance et aussi comme capitale d’un pays jouissant d’une influence certaine dans les organismes financiers internationaux. C’est à ce titre que l’on peut parler d’une véritable stratégie de la carte israélienne. Celle-ci repose sur l’image d’un pays considéré comme l’allié par excellence des Etats-Unis et surtout disposant d’importants leviers d’action sur le terrain américain. 

          Si les Africains savent depuis longtemps à quelle porte frapper à Paris ou à Londres, pour une aide plus importante ou une intercession en leur faveur auprès du FMI et de la Banque mondiale, ils se sentent perdus dans la capitale américaine. Israël peut être un relais pour accéder au cercle des investisseurs étrangers qui, pour des raisons évidentes, désertent l’Afrique. À travers ces images, Israël joue son offensive diplomatique en Afrique mais il est limité ce qui contraint le ministère israélien des Affaires étrangères à une action diplomatique sélective et à une concentration des ressources sur un nombre réduit de cibles africaines.
            Le péril ou la menace djihadiste a fonctionné en faveur de 1’offensive diplomatique israélienne. Nombreux en effet ont été les États subsahariens qui ont montré un vif intérêt pour les renseignements rassemblés par le Mossad sur les activités islamistes et sur la répartition spatiale des agents terroristes en Afrique.
            Israël représente également un partenaire de poids sur le plan militaire et sécuritaire. Il a vendu pour 223 millions de dollars d’armes aux pays africains en 2013, à comparer aux 107 millions en 2012 et aux 127 millions en 2011. Mais cela n’a pas empêché la quasi-totalité du continent à voter en faveur de l’adhésion palestinienne à l’Unesco en 2011.
            Cependant des ratés diplomatiques ternissent l’atmosphère. Le divorce est consommé entre le Sénégal et l’Israël. Les relations diplomatiques entre les deux pays ont officiellement pris fin. Le premier ministre Benjamin Netanyahou avait décidé de ne pas renvoyer d’ambassadeur à Dakar et de couper définitivement les liens diplomatiques. Il avait rappelé son ambassadeur à Dakar suite au vote de la résolution de l’ONU condamnant la «colonisation juive en Cisjordanie».
            Mais un grand changement est intervenu en Afrique. On assiste au développement ou à la naissance, au sein des communautés musulmanes africaines, de tendances islamistes radicales plus ou moins violentes. Cela a eu une incidence sur les relations diplomatiques entre Israël et les pays africains à population musulmane relativement importante. En effet, par-delà les rhétoriques politiques et la distribution de pétrodollars, les rapports arabo-africains, et par conséquent israélo-africains, vont de plus en plus se jouer dans l’avenir sur un terrain plus politico-culturel dont le paramètre central sera l’islam. Il est incontestable que l’appui financier au développement de l’islam au sud du Sahara y est, à terme, l’investissement le plus rentable politiquement pour les États arabes.
            Mais Israël a confirmé son retour sur le continent africain. Benjamin Netanyahou avait promis en juin, au sommet de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Liberia, un milliard de dollars pour un programme de développement de l’énergie solaire. Le président rwandais Paul Kagamé accueilli en juillet à Jérusalem en «excellent ami», avant que ce ne soit un mois plus tard le Togolais Faure Gnassingbé. Le volume actuel des relations commerciales entre Israël et le continent africain s’élève à environ 1,2 milliard d’euros, mais un grand potentiel existe dans les énergies renouvelables, la communication, l’agriculture, la médecine.
Paul Kagamé à l'AIPAC

            Le 26 mars 2017 à Washington, Paul Kagamé avait monté les marches de la conférence de l’AIPAC (The American Israel Public Affairs Committee), le lobby pro-israélien le plus puissant au monde. Considéré par les organisateurs de l’événement comme un «invité de marque qui saura porter les intérêts du sionisme», chaque bribe de son discours était accompagnée par un tonnerre d’applaudissements. Une véritable consécration pour un homme politique qui n’a jamais caché sa fidélité pour les États-Unis et son soutien à Israël. Mais l’invitation du rwandais à l’AIPAC recèle des enjeux bien plus importants. De véritables intérêts géopolitiques, sécuritaires et économiques placent désormais le continent africain dans l’objectif israélien.
            Au-delà de la participation de Kagamé à la conférence de l’AIPAC, l’État israélien voit beaucoup plus loin. L’Afrique est désormais au cœur d’une stratégie géopolitique de haute importance. Comme jamais auparavant, Israël espère regagner une place de choix au sein de la diplomatie des États du continent afin de légitimer sa posture internationale et rassembler le soutien de pays autrefois hostiles. Aujourd’hui, cette diplomatie de la «conquête africaine» se décline sur plusieurs formes : mise en place de projets de rapprochement culturel, activation de programmes économiques de hauts niveaux, accélération de l’aide au développement.
Netanyahou a réuni les Africains en 2016 à l'ONU

            En marge de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2016, Benjamin Netanyahou avait regroupé à New York une dizaine de chefs d’État africains afin d’accélérer le rapprochement entre l’Afrique et Israël. Selon Netanyahou cette rencontre avait été un véritable succès : «L’Afrique est un continent qui monte. Après de nombreuses décennies, je peux dire qu’Israël revient en Afrique et que l’Afrique revient en Israël».
            Grâce à ses relais en Afrique de l’Est, notamment celui de Kagamé au Rwanda, mais également ses contacts dans le Makhzen marocain, Israël entend à la fois renforcer ses leviers géopolitiques dans la corne africaine et pénétrer les réseaux de l’ouest du continent. D’ailleurs, les derniers mois ont été marqués par des avancées diplomatiques considérables. En juillet 2016, Netanyahou avait entrepris son premier voyage en Afrique qui l’a mené en Ouganda puis au Kenya, suivie par l’Éthiopie et le Rwanda. Sa visite succède au très lointain voyage d’Yitzhak Shamir en 1987, soit 30 ans auparavant.
Stagiaires du Mashav en Israël

            Une tournée historique qui a consolidé des liens économiques et politiques forts avec les pays de l’Afrique de l’Est. Accompagné d’une délégation de 80 hommes d’affaires, le déplacement avait été marqué par le lancement de plusieurs projets de développement économique, particulièrement dans le domaine agricole et technologique.  Un autre levier au cœur de la stratégie diplomatique du gouvernement Netanyahou est Mashav : l’agence israélienne pour la coopération internationale et le développement a mis en place un ensemble de programmes de coopération internationale exclusivement orientés vers l’Afrique, afin d’apporter des solutions concrètes aux défis du continent, notamment dans la sécurité alimentaire et les changements climatiques : Microfinance d’entreprises, jeunesse et innovation, technologie et d’internet.
            Tout ce travail de fond, basé sur une coopération triangulaire entre les secteurs public et privé israélien et les gouvernements africains vise à construire un réseau de partenaires fiables, qui sauront, lors des prises de décision dans le système international, apporter un soutien symbolique ou réel à Israël. À long terme, Israël souhaite obtenir le statut de membre observateur au sein de l’OUA qu'il n'a pu obtenir car selon Arie Avidor, ancien ambassadeur israélien au Sénégal : "un tel statut doit être approuvé au consensus de tous les membres. Il recevait tout au plus, lorque le sommet de l'OUA (Organisation de l'Unité Africaine) avait lieu dans un pays ami, une invitation comme invité spécial, privilège du pays organisateur".
            Forte aujourd’hui de ses échanges économiques avec plusieurs pays du continent, Israël entend s’affirmer davantage dans le domaine de la sécurité et l’agriculture en Afrique de l’ouest. 
            Mais à propos du report du sommet Israël-Afrique, prévu du 23 au 27 octobre 2017 à Lomé au Togo, Arie Avidor a donné sa propre explication : «J'ai été longtemps payé pour le savoir : il n'est pas de resserrement possible des liens avec l'Afrique sans relance du processus de paix au Moyen-Orient. Mais allez expliquer ça à qui vous savez ...».

            

1 commentaire:

Georges KABI a dit…

Arie Avidor avait raison, mais il est aujourd'hui hors du coup, et Bibi de meme.
Les pays africains sont travailles par le chiisme iranien par l'intermediaire de la communaute libanaise tres importante en Afrique.
Je ne serai pas enormement surpris que dans les prochaines annees, Israel sera mis au ban des organisations internationales par l'aide actif des pays africains.