LE PARADOXE DU BEURRE OU DES CANONS À GAZA
Par Jacques BENILLOUCHE
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Des milliers de Palestiniens se sont rassemblés dans le camp de réfugiés de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, pour protester contre la pénurie d'électricité, le 12 janvier 2017 |
Que
ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, les dirigeants palestiniens hypothèquent
l’avenir d’une population soumise à des décisions contraires à leur intérêt
immédiat. La population commence à se rebeller pacifiquement à Gaza, dans le camp de Jabalia au nord de la bande. Elle accuse bien sûr Israël de recourir au blocus et aux
représailles militaires, mais elle utilise en revanche des mots durs à l’encontre
des dirigeants du Hamas : « Au cours des dernières années, le Hamas a tout
fait pour prendre le contrôle de nos pensées, de notre comportement et de nos
attentes ».
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L’exaspération est telle que les jeunes affichent ouvertement
leur opposition aux islamistes : « Nous vivons dans la peur. Ici, à Gaza,
nous avons peur d’être incarcérés, interrogés, battus, torturés, bombardés,
tués ». Ils s’attardent moins sur les «exactions» commises par les
Israéliens mais sur les souffrances infligées par leurs dirigeants de Gaza. L’intolérance
et le fanatisme ont enchaîné dans le désespoir une partie du peuple palestinien
pourtant jadis considéré comme le plus évolué et le plus démocratique parmi les
pays arabes.
Tunnel du Hamas |
La
contestation s’exprime au grand jour car la population constate que son sort ne
s’améliore pas et que le gâchis économique est grand. Des budgets entiers
disparaissent dans l’investissement en armes et dans la construction de tunnels, de plus en plus perfectionnés, au lieu de les diriger vers la reconstruction des habitations détruites pendant les
guerres de 2012 et 2014. La vie de tous
les jours est impactée par le choix paradoxal du Hamas.
Centrale électrique de Gaza |
Depuis la prise de
pouvoir du Hamas en 2006, Gaza connaît tous les jours des coupures de courant
forçant la population à revenir à l’ère des bougies. En juin 2006, un F-16
israélien avait détruit l'unique centrale électrique de la bande de Gaza (d'une
puissance de 140 mégawatts) qui fournissait en électricité les deux tiers de la
population de Gaza. L’usine avait été
frappé deux jours après que des terroristes palestiniens eurent attaqué une
unité de l'armée israélienne, tuant deux soldats et prenant un troisième soldat Guilad Shalit en otage.
Rien
n’a été fait depuis pour sa reconstruction nécessitant au moins 50 millions de
dollars. Il est vrai que les États-Unis ont gelé les financements de tous les
projets d'infrastructure dans les territoires palestiniens après la victoire du
Hamas aux élections législatives palestiniennes. Mais ce ne sont pas les
budgets qui manquent puisque des sommes faramineuses ont été gaspillées pour
l’achat de roquettes et de fusées et pour la construction de tunnels de
contrebande. Le Hamas préfère laisser l’usine fonctionner au minimum et acheter au jour le jour de l'électricité en provenance d'Égypte et d'Israël. Mais l'approvisionnement
en électricité a chuté de huit heures par jour à environ trois ou quatre heures
ce qui pénalise les petites entreprises qui tournent au ralenti puisque les
machines électriques sont arrêtées. Par économie, aucune lumière n’éclaire les
rues et, en ces temps de froid intense, les habitants ont recours à des petits
feux de camp pour se chauffer.
Le
Qatar, dont l’idéologie est proche des Frères musulmans et donc du Hamas, vient
de faire un don de 11 millions d’euros pour l’achat de carburant pour la
centrale électrique afin de générer du courant durant six heures par jour, pendant
trois mois. Cette solution temporaire vise à apaiser la colère des deux
millions de Gazaouis qui subissent les pannes d'électricité. Les Palestiniens
sont conscients de l’incurie de leurs dirigeants et ont organisé des manifestations
suffisamment violentes pour que les forces de sécurité usent de leurs armes. En effet Gaza
a besoin de 500 mégawatts d’électricité par jour, mais n’en dispose que d’un
tiers alors que son unique centrale non reconstruite ne produit que 30 MW.
Fawzi Barhoum |
Le
gâchis est tel que le Hamas ne peut justifier l’usage des sommes qui lui sont
allouées et refuse toute responsabilité. Le porte-parole du Hamas, Fawzi Barhoum, a
accusé l'Autorité palestinienne de bloquer les aides pour « nuire à l'image
du Hamas et punir la population de Gaza ». Et dans cette querelle de mots,
la population est contrainte de recourir aux petits générateurs alors que rien
n’a été fait pour exploiter l’énergie solaire dans une région bien ensoleillée.
La répression s’abat systématiquement en empruntant les chemins iraniens. La
situation dramatique qui perdure dans la bande de Gaza explique ainsi le cri
angoissé du collectif de jeunes artistes de Gaza : « Nous en avons assez de
la douleur, des larmes, de la souffrance, des contrôles, des limites, des
justifications injustifiées, de la terreur, de la torture, des fausses excuses,
des bombes, des nuits sans sommeil, des civils tués aveuglément, des souvenirs
amers, d’un avenir bouché, d’un présent désespérant, des politiques insensées,
des politiciens fanatiques, du baratin religieux, de l’emprisonnement. Nous
disons : ASSEZ ! »
On croyait que les deux guerres perdues contre Israël et le terrible blocus
imposé par l’Égypte avait convaincu le Hamas de renoncer à ses chimères
militaires car il ne parviendra jamais à éradiquer Israël. Mais c’était sans
compter sur l’entêtement de ses dirigeants. Ils n’ont pas d’argent pour acheter
du beurre mais ils le trouvent pour acheter des canons ou plus précisément des
missiles à guidage laser auprès des Nord-Coréens.
Bulsae-2 |
Les
services sécuritaires israéliens ont mis en garde le gouvernement contre le
danger persistant de tunnels d’une version plus élaborée, entre le Sinaï et la
bande de Gaza. Un véritable hub a été construit autour de la ville de Rafah
permettant le transit de matériel militaire de contrebande. Des cargaisons de
missiles antichar Bulsae-2 d’origine nord-coréenne parviennent depuis la Libye
jusqu’à l’aile armée du Hamas, les brigades Azzedine al-Kassem. Ces missiles
sont dérivés du missile antichar transportable 9K111 Fagot de l’Union
soviétique. Ils peuvent être utilisés au sol ou montés sur un véhicule avec un
système de guidage par télécommande automatique infra-rouge par fil, avec suivi
optique de la cible.
Ils
ont été améliorés par un système guidé par laser, étendant sa portée de 2,5 km à
5,5 km tout en ne subissant pas le brouillage radio, à la différence des
missiles qui utilisent la radio plutôt que les fils. Le Hamas, qui ne lésine
pas sur la dépense, a déjà acheté 1.500 missiles Bulsae-2 pour s’opposer aux
chars et aux transporteurs de troupes de Tsahal. Les miliciens du Hamas sont
déjà formés à ces nouveaux matériels qui parviennent à Gaza malgré la
destruction quotidienne de quatre tunnels de contrebande par l’Égypte.
Khaled Fawzy |
Le
leader du Hamas, Ismaël Haniyeh, avait été chargé d’une mission de cinq mois à
l’étranger à la fois pour organiser une grande tournée politique mais aussi et
surtout pour cautionner le financement de ses achats de matériel militaire. Il
vient de rentrer à Gaza après être parti en septembre pour participer au pèlerinage
de la Mecque en Arabie saoudite. Il était rentré en passant par les pays du
Golfe et par l'Égypte où il a rencontré le chef égyptien des renseignements, Khaled
Fawzy dans le cadre des premiers contacts depuis la chute de l'ancien président Mohammed Morsi en 2013. Il aurait obtenu l’ouverture plus fréquente du
point de passage de Rafah entre la bande de Gaza et l'Égypte.
Le
Hamas souffle donc le chaud et le froid. Il se réarme en matériel militaire en
gaspillant ses aides financières normalement destinées à la population civile tout
en engageant des conversations politiques pour contrer la mainmise de l’Autorité
palestinienne sur sa région. Mais il est certain qu’il n’a toujours pas
abandonné l’option militaire contre Israël.
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