ISRAËL FACE À L’AXE
RUSSIE-TURQUIE-IRAN
Par Jacques BENILLOUCHE
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Les médias appuient
avec constance l’idée que la Russie revient sur la scène moyen-orientale alors
qu’elle ne l’a jamais quittée. Certes elle s’est montrée discrète jusqu’aux
années 2000, mais elle s’est affichée avec force depuis septembre 2015 lorsque Vladimir Poutine a annoncé
devant les Nations Unies son intention de se porter en première ligne dans la
lutte contre Daesh.
Lavrov |
Poutine avait
réalisé son coup de maître en prenant à son compte la question syrienne face aux
États-Unis qui ne cherchaient qu’à se désengager de la région. Mais en fait, cette
évolution de la stratégie russe s’était concrétisée depuis la chute de
l’URSS. L’enlisement du conflit afghan
(1979-1989) avait éloigné un temps la Russie de la région mais, à son arrivée
aux affaires en 1999, Poutine avait développé une nouvelle rhétorique de
restauration de la puissance russe, avec l’aide de son ministre des affaires
étrangères Sergueï Lavrov.
Historiquement
la Russie a toujours occupé le Proche-Orient en se trouvant en concurrence avec
l’Empire ottoman dont les contours sont, à quelques exceptions près, ceux de la Turquie actuelle avec
qui elle a eu une frontière commune à travers les Républiques socialistes
soviétiques du Caucase et l’Afghanistan. Les Soviétiques étaient spécialistes de
l’instrumentalisation des minorités, la minorité arménienne par exemple,
imitant à en cela la France qui avait su exploiter la question des maronites
libanais et des chrétiens d’Orient pour justifier sa présence au Proche-Orient.
Caucase |
La révolution
bolchévique de 1917 a eu un impact sur la politique étrangère au Moyen-Orient.
Les Soviétiques, par la voix de Zinoviev lors du congrès des peuples de
l’Orient tenu à Bakou en 1920, ont appelé les masses musulmanes à la révolte
contre l’Occident colonial et ses oppresseurs en passant par le djihad. On
parlait donc déjà d’islamisme. La Russie avait ainsi montré sa capacité
d’adaptation à l’Orient musulman.
Zinoviev |
Mais l’URSS n’a jamais réussi à étendre sa
pensée révolutionnaire chez les Musulmans ; elle a aussi raté son expansion en Iran
du Nord et en Azerbaïdjan. La Russie a donc reporté son ambition sur les États qui
se trouvaient aux mains de minorités, les Alaouites en Syrie, et sur les partis
communistes étrangers. Moscou, pour exister, a alors été contraint de soutenir
des groupuscules terroristes, l’OLP dès 1970, des groupes d’extrême gauche, le
PKK à partir de 1984 et la mouvance terroriste arménienne.
A cause de ces soutiens, l’URSS
avait la réputation d’être une entité subversive à l’égard de l’ordre
international mondial institué à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd’hui la Russie n’a plus pour vocation de mener des révolutions dans le
monde et est plutôt sensible au maintien du statu quo pour éviter que les
problèmes au Moyen-Orient aient des répercussions au Caucase. Dans ce registre,
le Printemps arabe, qualifié par eux de printemps islamiste, était perçu comme une menace.
L’histoire a montré qu’ils n’avaient pas totalement tort.
La Russie a été
traumatisée par l’intervention franco-britannique en Libye parce qu’elle
n’avait pas pour objectif de protéger les populations menacées par le régime. Elle a ainsi entériné le déclin de l’ONU dans
la région. Elle survolait la politique du Moyen-Orient de loin car elle était
persuadée que les événements en Syrie et en Irak n’auraient pas d’enjeux
majeurs. Poutine a cependant trouvé une occasion de se hisser au sommet dans la
région après la perte de crédibilité des États-Unis auprès de certains pays
arabes, l’Arabie saoudite notamment. Le lâchage de Moubarak, la stagnation de
la question palestinienne et la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran ont
fini par décrédibiliser les Américains.
Al-Sissi - Poutine |
Cette période de
flottement a été une aubaine pour Poutine. Il a d’abord sauvegardé ses zones
d’influence traditionnelle puis s’est introduit progressivement dans les
régions abandonnées par les Américains, l’Égypte en particulier où les
relations avec Al-Sissi étaient détestables.
À partir de 2015, il a effectué plusieurs voyages en profitant de signer
avec l’Égypte un accord de coopération militaire et d’approvisionnement en
céréales. Mais en bon stratège, il a aussi compris qu’Israël était un pion fondamental
dans la politique russe menée au Moyen-Orient. Grâce au Moldave Avigdor
Lieberman, les relations personnelles entre Netanyahu et Poutine s’étaient
raffermies, entraînant un silence russe sur les questions palestiniennes.
Les relations russes
avec l’Arabie saoudite se sont avérées ambiguës. Le Prince Mohammed Ben Salmane,
vice-prince héritier et ministre de la Défense, a rencontré plusieurs fois Poutine
mais c’était pour lui un moyen d’exprimer son mécontentement vis-à-vis des États-Unis
et de diversifier ses partenaires plutôt que manifester sa conviction politique.
Mohammed Ben Salmane et Poutine |
La Russie tient
à son ancrage en Syrie, quel que soit le régime qui pourrait régner, sous
réserve qu’il soit favorable aux intérêts russes. D’ailleurs Bachar Al-Assad l’a
compris et s’il s’est rendu en Russie pour s’assurer du soutien de Poutine, il
n’en a pas moins reçu une mise en garde pour l’inviter à calmer le jeu.
Le retour à la stabilité en Syrie est indispensable à la stratégie russe car le
chaos dans la région menace la sécurité mondiale.
Assad regarde Poutine et Erdogan |
Le retrait des
Russes de la région n’était qu’une illusion. Ils n’ont jamais cessé d’apporter un soutien militaire sous forme d’approvisionnements en armes, d’envois de
conseillers, et de frappes aériennes. La reprise de Palmyre et les frappes sur
Alep confirment la volonté de rupture du cessez-le-feu enclenchée par le
processus de Genève. Cependant il est difficile de savoir quel sort réserveront
les Russes à Bachar Al-Assad. Leur seule préoccupation reste la transition
politique du régime, avec ou sans lui. Ils préconisent la stabilisation et la pacification
de la région car ils craignent une implosion de la Syrie qui irait à l’encontre
de leurs intérêts. Ils ont pris conscience tardivement de l’importance néfaste
des mouvements djihadistes après avoir constaté qu’ils redoublaient d’efficacité
en Syrie. La seule cible
est alors devenue Daesh.
De son côté, l’Occident
évolue vite. Entre les années 1980 et 2000, l’Iran et la Russie formaient «l’axe
du Mal» décrié par le président G. W. Bush. Mais depuis la signature de
l’accord nucléaire, l’Iran et la Russie sont passés de puissances dangereuses au
statut d’alliés probables et souhaitables de l’Occident. C’est un juste retour des
choses. L’histoire commune entre les deux anciens empires est ancienne puisque
leurs relations commerciales ont débuté au XVIe siècle. Ils partageaient alors
le même souci de lutter contre l’Empire ottoman dans une relation d’égal à
égal. Mais le traité de 1929, qui signa la perte des territoires du Caucase au
profit de l’empire perse, changea la donne et marqua le début du regard
critique à l’égard d’Iran.
Rohani-Poutine |
Poutine tient
aujourd’hui à son rapprochement avec l’Iran. L’URSS avait déjà tenté de rétablir
les liens par l’intermédiaire des Iraniens de gauche qui diffusaient une image
positive de l’URSS sous le régime du Shah et propageaient des idées modernes à
base de rejet de la religion. Cette stratégie de rapprochement a fonctionné
jusqu’en 1983, date à partir de laquelle l’URSS a adopté une attitude ambiguë à
l’égard de la révolution iranienne. La rupture fut consommée lorsque Moscou
reprit les livraisons d’armes au président irakien, Saddam Hussein. Ce nouveau
front en Irak empêcha l’Iran de défier l’URSS en Afghanistan. En 1989,
l’Ayatollah Khomeiny rédigea une lettre qui avait fait sourire à l’époque et
qui s’est avérée visionnaire car il invitait Gorbatchev à se convertir à
l’islam puisque le communisme était, selon lui, sur le point de sombrer.
Islamistes du Caucase |
Dans les années
2000, Iran et Russie se retrouvèrent dans une même stratégie au Caucase. L’Iran
évita d’y mettre le feu et chercha à stabiliser la région car les deux pays avaient
un rôle précurseur dans la dénonciation d’une menace qui n’était alors circonscrite
qu’à l’Afghanistan. De nos jours, ces deux puissances font face à la menace
islamiste qui se déploie en Asie centrale par l’intermédiaire de nombreux
recruteurs de Daesh qui agissent ouvertement au Tadjikistan et en Russie.
L’importance que
prend la Russie au Proche-Orient s’illustre par les nombreuses visites
effectuées par des dirigeants à Moscou : le premier ministre Benjamin Netanyahou, le président
palestinien Mahmoud Abbas et le président turc Recep Erdogan. En 2015, Abbas et
Erdogan avaient trouvé une excuse pour rencontrer Poutine en venant inaugurer la
nouvelle grande mosquée-cathédrale de Moscou destinée aux quatorze millions
de musulmans que compte la Capitale.
Poutine-Abbas |
Les Russes continuent
leur implantation au Proche-Orient. Des soldats et des
marins russes circulent sur la côte syrienne tandis que les armes lourdes russes, les
avions à réaction et les navires y sont visibles. De son côté, Erdogan s’est
senti floué. Les Américains et les Européens lui avaient assuré que les jours
de Bachar El-Assad étaient comptés ce qui a justifié son acceptation temporaire
de deux millions de réfugiés syriens dans son pays.
Mais le Moyen-Orient
a peur du vide. Dès que les Américains ont évacué l’Irak et abandonné la Syrie,
l’espace a vite été comblé par les Russes qui ont consolidé leur implantation
dans la région. Les États-Unis n’y
prêtent aucune attention, laissant la Russie se doter d'une base aérienne
permanente en Syrie. Son aérodrome militaire de Hmeimim, d’où partent les
avions utilisés pour les frappes contre Daesh, va devenir une base aérienne
russe de grande envergure. Poutine
pourra ainsi augmenter le nombre d'avions militaires en opération mais il a
assuré que «ni armes nucléaires et ni chasseurs lourds n'y seraient
déployés à titre permanent». Cette base doublera ainsi les moyens de la
base navale de Tartous au nord-ouest de la Syrie. Si le retrait de la majeure
partie du contingent russe avait été envisagé et planifié, la Russie gardera
toutefois des installations et des hommes pour continuer à frapper les objectifs
terroristes.
Base de Hmeimim |
Moscou est
conscient des craintes israéliennes face à ce nouveau triangle stratégique,
surtout depuis la visite d’Erdogan à Moscou et du développement des relations
entre la Russie et l’Iran et entre Ankara et Téhéran. Les Russes tentent de
calmer ces appréhensions en précisant qu’il s’agit uniquement d’un développement
économique et que, si alliance il y a, elle pourrait être positive pour
surmonter la crise syrienne. A priori, les États-Unis s’inquiètent plus
qu’Israël car la politique américaine est basée sur le maintien de la Turquie
dans le giron occidental. La présence américaine dans la région aurait à
souffrir d’une absence d’une Turquie occidentale alliée. La Russie prétend que la
Russie, l'Iran et l'Azerbaïdjan sont des pays exportateurs d’hydrocarbures et
qu’ils doivent se concerter en raison de la situation tendue actuelle sur le
marché mondial. Il s’agit, selon elle, de relations pragmatiques liées plutôt à
des événements politiques internes qui ne peuvent toucher Israël et qui
touchent surtout les relations avec l’Union européenne et les États-Unis.
Les Israéliens, qui ont de bonnes relations avec la Russie de Poutine, sont dans la situation du "Wait and see" et traitent chaque problème séquentiellement. Pour l'instant ils envisagent d'échanger des ambassadeurs avec la Turquie pour jauger réellement de la situation politique.
Les Israéliens, qui ont de bonnes relations avec la Russie de Poutine, sont dans la situation du "Wait and see" et traitent chaque problème séquentiellement. Pour l'instant ils envisagent d'échanger des ambassadeurs avec la Turquie pour jauger réellement de la situation politique.
3 commentaires:
Cher monsieur Benillouche,
De ce brillant article, si bien documenté, je retiendrai - à mon petit niveau - à quel point Poutine est un grand homme politique doublé d'un immense stratège qui aura su redonner à la Russie son rang dans la politique internationale. Alors que l'Occident, essentiellement représenté par les États-Unis, n'a cessé de pratiquer une politique de gribouille et d'enfant gâté devant qui tous devaient plier, qui a déstabilisé la région pour longtemps.
Quant à Israël, c'est la sagesse qui lui impose sa politique. Souhaitons-lui seulement de n'avoir pas à affronter trop de déconvenues avec la Turquie qui paraît engagée dans une évolution politique plus qu'inquiétante.
Très cordialement.
Je suis de votre avis Marianne,car l'occident semble c'être fourvoyer dans cette histoire !
"En 2015, Abbas et Erdogan avaient trouvé une excuse pour rencontrer Poutine en venant inaugurer la nouvelle grande mosquée-cathédrale de Moscou destinée aux quatorze millions de musulmans que compte la Capitale."
14 millions de musulmans à Moscou, ville de 12 millions d'habitants ?
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