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samedi 20 août 2016

La solitude des Kurdes qui rêvent d'un État


LA SOLITUDE DES KURDES QUI RÊVENT D’UN ÉTAT
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

Combattants kurdes
L’Occident doit favoriser l’émergence d’un État indépendant kurde s’il veut promouvoir et consolider la défaite de Daesh et s’il veut mettre fin au désordre dans la région. Depuis le début des hostilités, alors que les combats font rage, les Kurdes ont été les seuls combattants à freiner et à s’opposer à la marche conquérante de l’État islamique en lui occasionnant de fortes pertes. Malgré cela, ils ont été toujours été isolés dans leur combat pour des raisons de haute politique opportuniste. Seuls les Israéliens ont cru en eux en leur fournissant une aide militaire, des moyens financiers, du matériel de guerre et une formation d’officiers par Tsahal.



Combattantes kurdes

Les Kurdes irakiens disposent déjà d’un territoire autonome au nord du pays, avec un embryon de structure étatique et une armée de peshmergas bien entraînés. Ces courageux combattants, qui intègrent à parité des femmes, ont réussi avec leurs armes légères à s’opposer aux forces de Daesh en 2014 alors que l’armée régulière irakienne fuyait les combats non sans avoir évacué Mossoul, la deuxième ville du pays.    
Aujourd’hui Daesh recule face aux Kurdes et cède du terrain. C’est la seule opposition qu’il rencontre dans son avancée victorieuse. Mais ce n’est pas du goût du pouvoir central de Bagdad, jaloux de ses prérogatives en Irak et en conflit ouvert avec les peshmergas. Les Kurdes, qui n’ont jamais cessé le combat, ont repris les hostilités le 14 août pour reprendre Mossoul, la deuxième ville du pays et capitale autoproclamée de l’État islamique en Irak. Plusieurs villages autour de la ville ont été repris confirmant ainsi un succès à mettre au crédit de la région autonome du Kurdistan irakien. L’objectif kurde consistait à libérer ces villages stratégiques pour éradiquer tout sanctuaire de guérilla de Daesh. Certains observateurs avaient jugé hésitante la réaction initiale kurde mais c’était sans compter sur la tactique éprouvée des généraux prudents, formés à l’école de Tsahal, qui ont préféré prendre le temps de bien préparer leur offensive afin de sécuriser le front pour repousser toute contre-attaque.
Les Kurdes à Mossoul

L’armée régulière irakienne a lancé de son côté sa propre offensive sans coordination avec les Kurdes, mettant ainsi en évidence la division entre les différents clans, sur fond de vraie rupture religieuse. Au nord et à l’est, le front est tenu par les peshmergas soutenus par les tribus locales sunnites, tandis qu’au sud l’armée irakienne se bat en s’appuyant sur les milices chiites. Les luttes intestines reproduisent le microcosme irakien. 
De nombreux groupes terroristes ont surgi en exploitant la situation d’un Irak morcelé. Il est fort probable qu’une victoire sur Daesh à Mossoul entraînerait une guerre intercommunautaire, sous le regard intéressé des pays voisins. Le premier d’entre eux, la Turquie, lorgne sur la ville sunnite de Mossoul. Erdogan a d’ailleurs envoyé son armée sur le territoire kurde irakien pour aider les tribus arabes sunnites locales. De son côté, l’Iran tire les ficelles des milices chiites pour influencer la politique du gouvernement national irakien.
Les forces kurdes d’Irak et de Syrie souffrent cependant de leur hétérogénéité car elles sont culturellement et politiquement très différentes. En Syrie, Daesh s’oppose au FDS (Forces démocratiques syriennes), coalition arabo-kurde dominée par le PYD (parti de l’union démocratique), principal parti kurde de Syrie. Progressivement, les Kurdes de Syrie ont instauré plusieurs zones d’autonomie au nord du pays et leur victoire sur Daesh leur permet d’étendre leur territoire avec l’intention de les unifier, au grand dam de la Turquie.
Réunion des Kurdes à Rmeilane 

     Les Kurdes de Syrie avaient déjà annoncé le jeudi 17 mars 2016 la création d’une zone autonome à Rojava, dans le Kurdistan syrien sous leur contrôle. La décision avait été annoncée par le PYD lors d’une réunion à Rmeilane, dans le nord-est. Bien sûr, Bachar el-Assad et l'opposition syrienne ont rejeté le projet parce qu’ils l’interprétaient comme une fédéralisation de fait de la Syrie.

  Cette nouvelle structure, à base d’«autogestion démocratique», s’appliquait aux trois cantons kurdes du territoire syrien (Afrine, Kobané et Jaziré), auxquels étaient annexées les régions nouvellement conquises aux djihadistes. Les Kurdes ont toujours refusé de qualifier leur combat de guerre religieuse. Ils ont tenu à préciser que leur projet était fondé sur une base territoriale et non ethnique avec «une administration basée sur des références ni nationalistes, ni confessionnelles». Le régime de Damas a réagi en mettant en garde «toute partie ayant l'intention de porter atteinte à l'unité du territoire et du peuple syrien sous n'importe quel slogan, y compris ceux réunis à Rmeilane. Toute annonce en ce sens n'a aucune valeur juridique et n'aura aucun impact légal, politique, social ou économique tant qu'elle ne tient pas compte de la volonté de l'ensemble du peuple syrien dans toutes ses tendances politiques».
Les États-Unis ont démontré à nouveau leur erreur de stratégie au Moyen-Orient, en se montrant comme d’habitude frileux parce qu'il s'agit pour eux de toujours ménager toutes les parties. Ils ont annoncé, en même temps que la Turquie, qu’ils ne reconnaîtraient pas la création d'une région unifiée et autonome kurde en Syrie. Les Kurdes répartis dans quatre pays de la région : Syrie, Turquie, Iran et Irak attendront donc le bon vouloir des Occidentaux pour disposer de leur propre État. L’Occident ne leur doit aucune reconnaissance pour l’avoir sauvé contre une mainmise djihadiste.

Barack Obama confirme sa politique passive alors que le feu couve au Moyen-Orient. Il n’a pas compris que les frontières actuelles étaient artificielles et que la création d’un État kurde, à cheval sur quatre pays, était la condition pour ramener le calme dans la région et éradiquer le terrorisme. Mais il ne veut pas entrer en conflit avec son allié turc donc il préfère une solution bâtarde. En effet, Erdogan redoute l’existence à ses frontières d’une région kurde autonome en Syrie qui rejaillirait sur le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Mais en revanche, il ne s’opposerait pas à un État en Irak, loin de ses frontières.

Les Turcs considèrent les Kurdes comme leurs ennemis et pour cela, ils s’opposent à toute solution raisonnable même si les combats ont lieu à leur frontière syrienne. Les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance arabo-kurde, encerclent Manbij, la principale ville de la zone frontalière turco-syrienne encore dans les mains de Daesh en juin 2016. Elles comptent pousser leur avantage jusqu'à Al-Bâb, le plus ancien bastion de Daesh qui ne dispose plus que de deux grandes villes dans la province d’Alep, Jarablus et Al-Bâb. Mais la Turquie s’opposera militairement à l’offensive kurde contre Jarablus car elle craint que les Kurdes du Nord-Ouest et ceux du Nord-Est fassent leur jonction et se proclament indépendants.
FDS en opération

Les Kurdes sont les oubliés de la stratégie occidentale, un peu comme l’étaient les Juifs avant la création de l’État d’Israël. Il est difficile de comprendre leur isolement alors que ce sont les meilleurs guerriers qui ont affronté courageusement les sanguinaires de Daesh. Ainsi le ministre français de la défense Jean-Yves le Drian avait fait, le 11 avril 2016, une visite impromptue à Bagdad. Il avait évoqué la campagne anti-Daesh avec le président irakien Fouad Massoum et le chef du parlement Selim al-Joubouri, dans le cadre de la participation de la France à la coalition internationale dirigée par les États-Unis qui mènent des frappes aériennes contre Daesh et forment les forces irakiennes et syriennes.
            Or les Kurdes ont été mis à l’écart de ces discussions.  On peut donc douter de la volonté des Occidentaux, et de la France en particulier, à aider ceux qui luttent depuis des décennies pour leur indépendance. La politique politicienne est cruelle car elle impose de ne pas indisposer les Turcs d’Erdogan qui font partie de l’Otan et qui participent de ce fait au dispositif de défense de l’Europe, même si Erdogan se comporte en dictateur et même s’il bâillonne les médias et emprisonne les récalcitrants politiques.  
            Les Kurdes, isolés sur la scène internationale, sont abandonnés bien qu’ils continuent d’infliger de lourdes pertes aux miliciens de Daesh. Ils prouvent tous les jours leur courage et une expertise nettement supérieurs à ceux des soldats irakiens qui manquent de moral, de cohésion et d’idéologie pour le combat. On traite les peshmergas de milice alors qu’ils constituent une véritable armée en mouvement. Les autorités irakiennes ne sont pas tendres avec eux parce qu’elles craignent leur expansion tout en les accusant à tort de ne pas être totalement intégrés au pays. Au lieu de les aider dans un combat commun contre les djihadistes, ils bloquent leur ravitaillement et s’acharnent à empêcher leurs convois d’armes de parvenir à destination. Le régime de Bachar Al-Assad les combat aussi sans ménagement puisque le 18 août 2016 il a lancé ses premiers raids sur les positions kurdes de Hassaké.   


            S’ils disposent d’armes légères en quantité suffisante, les Kurdes manquent de missiles antichars Milan, de matériel lourd, de véhicules Ambush capables de résister aux mines, d’artillerie, et de véhicules blindés. Cela les rend, sur le terrain, totalement dépendants de la protection aérienne des Occidentaux. Or l’expérience a montré qu’ils étaient indispensables à la poursuite des combats sur terre. On ne pourra venir à bout de Daesh qu’avec les fantassins kurdes qui peuvent changer le cours de la guerre face à des djihadistes qui subissent actuellement de nombreux revers grâce aux frappes de l’aviation et surtout face au courage kurde.
            Dans le cadre d’une politique qui ne s’explique pas, les Occidentaux hésitent à fournir des armes lourdes arguant de raisons strictement politiques. D’une part ils regrettent que différents clans se déchirent et d’autre part ils craignent qu’elles n’arrivent entre de mauvaises mains, celles des Kurdes de Turquie qui combattent Erdogan. La concurrence est rude entre les factions qui refusent l’unification de tous les mouvements. Ainsi le PDK (parti démocratique du Kurdistan) dirigé par l'actuel président du Kurdistan, Massoud Barzani, et l’UPK (union patriotique du Kurdistan) dirigée par M. Jalal Talabani, ont d’abord été unis contre le PKK (Kurdes de Turquie) avant que l’UPK ne change de camp pour se ranger dans celui du PKK qui accusait le PDK d’avoir livré certains de ses combattants à la Turquie.
            Entre les divisions internes et la crise économique, de nombreux hauts responsables kurdes n’ont plus aucun espoir de déclarer rapidement l'indépendance ni même d’organiser un projet de référendum sur l'indépendance. Les Kurdes sont seuls. Le paradoxe est que le secrétaire américain à la Défense Ashton Carter avait, lors d'une réunion avec ses homologues de cette région, plaidé pour que les monarchies sunnites du Golfe s’'impliquent davantage économiquement et politiquement en Irak. Mais rien n’est dit au profit des Kurdes.

1 commentaire:

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

Comment lisant votre article ne pas être étonné par l'absence des Russes qui pourtant, depuis la prise de distance des États-Unis, sont devenus incontournables dans la région ?
Comment ne pas se rendre compte que les accords de Sykes-Picot redessinant les frontières de cette région sont morts ? Que Daesh a profité de la faiblesse de la Syrie et de l'Irak, états dirigés par des anciens supplétifs des puissances coloniales, qui n'ont jamais réussi à créer un vrai sentiment national ?
Il n'est pas impossible, dans ces conditions que le rêve des Kurdes de posséder leur propre état ne devienne réalité. Ce ne serait que la juste récompense de leur courage au combat.

Très cordialement.