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mardi 9 août 2016

La Tunisie sans les femmes au pouvoir



LA TUNISIE SANS LES FEMMES AU POUVOIR

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

Youssef Chahed et Caïd Essebsi
La Tunisie se dirige d’errements en errements depuis sa révolution de 2011 mal digérée. Après l’épisode gouvernemental de l’islamisme avec le parti Ennahda qui a engagé le pays vers une impasse, les Tunisiens se cherchaient. Le président Caïd Essebsi, a décidé de renouer avec le bourguibisme. Beaucoup de vieilles connaissances de Ben Ali sont alors revenues sur la scène politique. Mais l'instabilité politique chronique persiste sans que le pays n’ose le choc politique original et salutaire qui lui aurait permis de rééditer un exploit similaire à celui de la révolution de 2011. Ce choc passait par les femmes au pouvoir.




Habib Essid

Les islamistes tirent les ficelles dans le secret des alcôves tunisiennes et constituent un frein à l’évolution moderne du pays, à l’ouverture au monde occidental et aux investissements américains. Le président Caïd Essebsi, 90 ans, dont le logiciel politique s'est arrêté aux années 1960 et qui n’a pour objectif que de durer et surtout de mourir dans son palais de Carthage, avale toutes les couleuvres en laissant l’islamisme sournois bloquer toutes les tentatives vouées à l’échec de politiciens intègres comme Habib Essid, technocrate indépendant politiquement, qui manquait peut-être de rouerie politique. Ses résultats n’ont pas été au rendez-vous faisant dire que le pays est ingouvernable selon les canons tunisiens.

La nouvelle vague d’hommes politiques n’est pas en cause mais elle est freinée par la Constitution bâtarde qui a été votée et appliquée. Elle a frappé en plein envol les espoirs d’une nouvelle démocratie naissante garantissant les libertés individuelles car l’islam est encore au-dessus des hommes et de leurs idées. Toutes les décisions prises n’ont rien fait pour éradiquer la pauvreté qui a été pourtant la cause de la révolution de 2011.
La classe politique n’ose pas tailler dans le vif et remettre en cause certains aspects de la Constitution conçue comme une sorte d’auberge espagnole pour satisfaire tous les clans politiques. Le parti Nidaa Tounès, vainqueur des élections, est en liberté surveillée. Arrivé en tête, il aurait dû disposer de la prérogative de désigner son premier ministre. Mais, parce qu'il comporte en son sein de nombreux anciens partisans de Ben Ali, Caïd Essebsi à choisir les combinazione. Il a désigné un jeune débutant en politique, Youssef Chahed, alors que le pays est en pleine instabilité politique et subit une situation économique dramatique dans le cadre d’une conjoncture internationale déplorable. La population a besoin d’être rassurée mais elle reste sur sa faim.

Le président aurait pu profiter de ces blocages pour marquer les esprits en innovant par la nomination d'une femme à la tête du gouvernement, d’une part pour montrer son indépendance vis-à-vis des Islamistes et d’autre part pour réveiller une classe politique endormie et surtout aux ordres. Les femmes tunisiennes ont un passé de militantes depuis l’indépendance de 1955 et se sont encore trouvées à la tête de la révolution en 2011. Elles ont participé aux élections de 2014 au cours desquelles la Tunisie s’est distinguée par sa capacité à traiter les tensions intérieures par le dialogue. Mais elles n’ont pu surmonter tous les défis nombreux en matière de corruption, de sécurité ou d’économie et n’ont rien obtenu en échange car la société tunisienne est restée «machiste, conservatrice et patriarcale». 
La Britannique Thérésa May

A l’heure où beaucoup de femmes politiques sont à la barre dans le monde, une décision iconoclaste aurait été approuvée par les ténors du marketing et les dirigeants politiques qui auraient montré dans les faits l’égalité inscrite en toutes lettres dans la Constitution. Les femmes ne manquent pas à tous les échelons de la société tunisienne et nous citerons quelques-unes à titre d’exemple, bien que la liste pourrait être longue.
Sameh Dammak

Bochra Bel Haj Hmida, ancienne militante de l’association historique des Femmes démocrates (ATFD), est aujourd’hui députée à l’Assemblée des représentants du peuple. Elle suit de près les problèmes liés au statut de la femme en Tunisie.
Nedra Tlili, directeur général adjoint de la société de matériel industriel Sacmi (Société de l’Air Comprimé et du Matériel Industriel), et membre de Nidaa Tounes, avait signé la pétition visant le sauvetage de son parti, à travers une restructuration en raison de «l’absence d’un vrai parti moderniste, capable de réunir les Tunisiens autour d’un projet visant le sauvetage du pays et privilégiant l’intérêt national sur celui des partis et sur les ambitions personnelles».

Zohra Driss, femme d’affaires et présidente du comité Tunisie-France au sein de l’UTICA, propriétaire de l’hôtel Imperial Marhaba à Sousse, sinistré par l’attentat terroriste du 26 juin dernier, s’est toujours battue pour le rôle de la femme tunisienne dans un pays secoué par une vague d'islamisation depuis la révolution. Sameh Dammak, chef d’entreprise dans le domaine de la publicité et de la signalétique, est députée de Sfax. Wafa Makhlouf Sayadi, chef d’entreprise de 38 ans, a été élue à la présidence du Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprise (CJD).
Wided Bouchamaoui

Enfin, Wided Bouchamaoui, femme d'affaires tunisienne, présidente de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA) depuis 2011, a obtenu le prix Nobel de la paix 2015 pour son succès dans la mission qui a abouti à la tenue des élections présidentielles et législatives ainsi qu'à la ratification de la nouvelle Constitution en 2014.
Militantes féministes tunisiennes

Il est vrai que la nomination comme premier ministre d’une femme ferait désordre dans un pays arabe surveillé de près par les islamistes mais la Tunisie, de Bourguiba en particulier, a toujours montré qu’elle savait donner le ton aux autres pays arabes. Aujourd’hui, seules les femmes tunisiennes sont capables de sauver le pays même si, parmi elles, émergent souvent des féministes élevées au biberon de Bourguiba, qui ont choisi d’utiliser les méthodes réservées d’ordinaire aux hommes. 
Femmes tunisiennes au cours de self-defense
Les jeunes étudiantes habillées de jeans, qui honnissent le voile, n’ont pas eu le choix pour exister face aux attaques physiques de moralistes anachroniques. Il leur est interdit de fumer dans la rue, de se vêtir à l’occidentale et d’occuper seules des places dans les cafés. C’est ainsi que Sabrine Ghannoudi organise tous les mois un café culturel, intitulé Notre-Dame-des-mots, fréquenté par des femmes qui viennent échanger leurs textes souvent politiques et leurs poèmes.  C’est un lieu où elles peuvent se lâcher sans modération pour neutraliser leurs souffrances et leurs complexes. 
Sabine Ghannoudi
Elles ont définitivement quitté le monde de l’ancienne génération soumise pour adopter la vie occidentale. Elles ont compris qu’elles ne pourront gagner leur combat qu’en exportant leurs idées dans la province où règne vraiment l’inégalité économique et sociale. Elles ne veulent plus être soumises au féminisme d’État institué par Bourguiba et poursuivi par Ben Ali qui n’est qu’une façade pour maintenir les femmes dans un état d’asservissement. 
Sophie Bessis

         L’historienne juive tunisienne Sophie Bessis a d’ailleurs écrit que «dans ce contexte, l’émancipation ne se fait jamais sans conditions. En contrepartie de sa sollicitude envers la cause des femmes, le président exige qu'elles soutiennent sans faille sa politique par leur participation à l'activité nationale sur tous les plans, qu'elles ne transgressent pas les limites fixées à leur émancipation et qui s'incarnent entre autres dans les valeurs religieuses, et qu'elles prennent une part active à la lutte anti-islamiste qui bat alors son plein».
Alors que l’Assemblée tunisienne compte proportionnellement plus de femmes (31%) que l’Assemblée française (26%), Caïd Essebsi qui doit beaucoup son élection aux femmes n’avait nommé que trois femmes ministres à titre d’alibi. Aujourd'hui face à l'impasse politique, il aurait pu frapper un grand coup en nommant une femme à la tête du gouvernement ce qui aurait donné un souffle nouveau au pays et une plus grande crédibilité internationale. Mais pour cela il faut accepter le combat qui est bien difficile à mener à son âge. 


3 commentaires:

Ahmed DJEBALI a dit…

Certes que le rôle de la femme est plus qu’essentiel pour le devenir de la Tunisie et là, chacun qui connait l’histoire de ce pays et qui plus l’a vécue (au moins depuis son indépendance) ne peut ignorer le pas essentiel que la femme a franchi depuis 1957…
Les lourdeurs ancestrales ne s’effacent pas parce qu’une constitution, fut-elle « révolutionnaire », a été enfantée au forceps dans un pays à majorité musulmane, en plus du temps il faudrait aussi de l’audace, de l’audace politique et de l’audace « sociétale » là où Bourguiba avait échoué et ses successeurs ont été plus que timorés !
Votre article trace une vue juste mais ne traduit qu’une vue partielle de la nouvelle réalité trouble que vit la Tunisie depuis 2011.
Si vous me le permettez, je vais utiliser votre article pour le diffuser sur mon mur !

Marianne ARNAUD a dit…

Je me demande si la talentueuse madame Evelyne Gougenheim aura le coeur à commenter cet article ?

evy a dit…

Personnellement,j'admire surtout cette femme Sabrine Ghannoudi qui "organise tous les mois un café culturel, intitulé Notre-Dame-des-mots, fréquenté par des femmes qui viennent échanger leurs textes souvent politiques et leurs poèmes. C’est un lieu où elles peuvent se lâcher sans modération pour neutraliser leurs souffrances et leurs complexes." Quel courage!!

Chacune, dans nos contextes différents, Tunisie confrontée à l'islamisme moyenâgeux, la France confrontée à une jeunesse désœuvrée et vulnérables aux lavages de cerveau des fanatiques, Israël et la compromission des laïques devant l'avancée dangereuse des forces religieuses... Chacune, il nous en prendre de la graine...

Aurons-nous, nous, femmes libres, autant de courage pour nous lancer dans la bataille?