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samedi 13 août 2016

Israël face à l'axe Russie-Turquie-Iran


ISRAËL FACE À L’AXE RUSSIE-TURQUIE-IRAN
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
     
     Les médias appuient avec constance l’idée que la Russie revient sur la scène moyen-orientale alors qu’elle ne l’a jamais quittée. Certes elle s’est montrée discrète jusqu’aux années 2000, mais elle s’est affichée avec force depuis septembre 2015 lorsque Vladimir Poutine a annoncé devant les Nations Unies son intention de se porter en première ligne dans la lutte contre Daesh.



Lavrov

     Poutine avait réalisé son coup de maître en prenant à son compte la question syrienne face aux États-Unis qui ne cherchaient qu’à se désengager de la région. Mais en fait, cette évolution de la stratégie russe s’était concrétisée depuis la chute de l’URSS.  L’enlisement du conflit afghan (1979-1989) avait éloigné un temps la Russie de la région mais, à son arrivée aux affaires en 1999, Poutine avait développé une nouvelle rhétorique de restauration de la puissance russe, avec l’aide de son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov.
     Historiquement la Russie a toujours occupé le Proche-Orient en se trouvant en concurrence avec l’Empire ottoman dont les contours sont, à quelques exceptions près, ceux de la Turquie actuelle avec qui elle a eu une frontière commune à travers les Républiques socialistes soviétiques du Caucase et l’Afghanistan. Les Soviétiques étaient spécialistes de l’instrumentalisation des minorités, la minorité arménienne par exemple, imitant à en cela la France qui avait su exploiter la question des maronites libanais et des chrétiens d’Orient pour justifier sa présence au Proche-Orient.
Caucase

     La révolution bolchévique de 1917 a eu un impact sur la politique étrangère au Moyen-Orient. Les Soviétiques, par la voix de Zinoviev lors du congrès des peuples de l’Orient tenu à Bakou en 1920, ont appelé les masses musulmanes à la révolte contre l’Occident colonial et ses oppresseurs en passant par le djihad. On parlait donc déjà d’islamisme. La Russie avait ainsi montré sa capacité d’adaptation à l’Orient musulman. 
Zinoviev

     Mais l’URSS n’a jamais réussi à étendre sa pensée révolutionnaire chez les Musulmans ; elle a aussi raté son expansion en Iran du Nord et en Azerbaïdjan. La Russie a donc reporté son ambition sur les États qui se trouvaient aux mains de minorités, les Alaouites en Syrie, et sur les partis communistes étrangers. Moscou, pour exister, a alors été contraint de soutenir des groupuscules terroristes, l’OLP dès 1970, des groupes d’extrême gauche, le PKK à partir de 1984 et la mouvance terroriste arménienne.
     A cause de ces soutiens, l’URSS avait la réputation d’être une entité subversive à l’égard de l’ordre international mondial institué à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui la Russie n’a plus pour vocation de mener des révolutions dans le monde et est plutôt sensible au maintien du statu quo pour éviter que les problèmes au Moyen-Orient aient des répercussions au Caucase. Dans ce registre, le Printemps arabe, qualifié par eux de printemps islamiste, était perçu comme une menace. L’histoire a montré qu’ils n’avaient pas totalement tort.

     La Russie a été traumatisée par l’intervention franco-britannique en Libye parce qu’elle n’avait pas pour objectif de protéger les populations menacées par le régime.  Elle a ainsi entériné le déclin de l’ONU dans la région. Elle survolait la politique du Moyen-Orient de loin car elle était persuadée que les événements en Syrie et en Irak n’auraient pas d’enjeux majeurs. Poutine a cependant trouvé une occasion de se hisser au sommet dans la région après la perte de crédibilité des États-Unis auprès de certains pays arabes, l’Arabie saoudite notamment. Le lâchage de Moubarak, la stagnation de la question palestinienne et la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran ont fini par décrédibiliser les Américains.
Al-Sissi - Poutine

     Cette période de flottement a été une aubaine pour Poutine. Il a d’abord sauvegardé ses zones d’influence traditionnelle puis s’est introduit progressivement dans les régions abandonnées par les Américains, l’Égypte en particulier où les relations avec Al-Sissi étaient détestables.  À partir de 2015, il a effectué plusieurs voyages en profitant de signer avec l’Égypte un accord de coopération militaire et d’approvisionnement en céréales. Mais en bon stratège, il a aussi compris qu’Israël était un pion fondamental dans la politique russe menée au Moyen-Orient. Grâce au Moldave Avigdor Lieberman, les relations personnelles entre Netanyahu et Poutine s’étaient raffermies, entraînant un silence russe sur les questions palestiniennes.

     Les relations russes avec l’Arabie saoudite se sont avérées ambiguës. Le Prince Mohammed Ben Salmane, vice-prince héritier et ministre de la Défense, a rencontré plusieurs fois Poutine mais c’était pour lui un moyen d’exprimer son mécontentement vis-à-vis des États-Unis et de diversifier ses partenaires plutôt que manifester sa conviction politique.
Mohammed Ben Salmane et Poutine

    La Russie tient à son ancrage en Syrie, quel que soit le régime qui pourrait régner, sous réserve qu’il soit favorable aux intérêts russes. D’ailleurs Bachar Al-Assad l’a compris et s’il s’est rendu en Russie pour s’assurer du soutien de Poutine, il n’en a pas moins reçu une mise en garde pour l’inviter à calmer le jeu. Le retour à la stabilité en Syrie est indispensable à la stratégie russe car le chaos dans la région menace la sécurité mondiale.
Assad regarde Poutine et Erdogan

     Le retrait des Russes de la région n’était qu’une illusion. Ils n’ont jamais cessé d’apporter un soutien militaire sous forme d’approvisionnements en armes, d’envois de conseillers, et de frappes aériennes. La reprise de Palmyre et les frappes sur Alep confirment la volonté de rupture du cessez-le-feu enclenchée par le processus de Genève. Cependant il est difficile de savoir quel sort réserveront les Russes à Bachar Al-Assad. Leur seule préoccupation reste la transition politique du régime, avec ou sans lui. Ils préconisent la stabilisation et la pacification de la région car ils craignent une implosion de la Syrie qui irait à l’encontre de leurs intérêts. Ils ont pris conscience tardivement de l’importance néfaste des mouvements djihadistes après avoir constaté qu’ils redoublaient d’efficacité en Syrie. La seule cible est alors devenue Daesh.
     De son côté, l’Occident évolue vite. Entre les années 1980 et 2000, l’Iran et la Russie formaient «l’axe du Mal» décrié par le président G. W. Bush. Mais depuis la signature de l’accord nucléaire, l’Iran et la Russie sont passés de puissances dangereuses au statut d’alliés probables et souhaitables de l’Occident. C’est un juste retour des choses. L’histoire commune entre les deux anciens empires est ancienne puisque leurs relations commerciales ont débuté au XVIe siècle. Ils partageaient alors le même souci de lutter contre l’Empire ottoman dans une relation d’égal à égal. Mais le traité de 1929, qui signa la perte des territoires du Caucase au profit de l’empire perse, changea la donne et marqua le début du regard critique à l’égard d’Iran.
Rohani-Poutine

     Poutine tient aujourd’hui à son rapprochement avec l’Iran. L’URSS avait déjà tenté de rétablir les liens par l’intermédiaire des Iraniens de gauche qui diffusaient une image positive de l’URSS sous le régime du Shah et propageaient des idées modernes à base de rejet de la religion. Cette stratégie de rapprochement a fonctionné jusqu’en 1983, date à partir de laquelle l’URSS a adopté une attitude ambiguë à l’égard de la révolution iranienne. La rupture fut consommée lorsque Moscou reprit les livraisons d’armes au président irakien, Saddam Hussein. Ce nouveau front en Irak empêcha l’Iran de défier l’URSS en Afghanistan. En 1989, l’Ayatollah Khomeiny rédigea une lettre qui avait fait sourire à l’époque et qui s’est avérée visionnaire car il invitait Gorbatchev à se convertir à l’islam puisque le communisme était, selon lui, sur le point de sombrer.
Islamistes du Caucase

     Dans les années 2000, Iran et Russie se retrouvèrent dans une même stratégie au Caucase. L’Iran évita d’y mettre le feu et chercha à stabiliser la région car les deux pays avaient un rôle précurseur dans la dénonciation d’une menace qui n’était alors circonscrite qu’à l’Afghanistan. De nos jours, ces deux puissances font face à la menace islamiste qui se déploie en Asie centrale par l’intermédiaire de nombreux recruteurs de Daesh qui agissent ouvertement au Tadjikistan et en Russie.
     L’importance que prend la Russie au Proche-Orient s’illustre par les nombreuses visites effectuées par des dirigeants à Moscou : le premier ministre Benjamin Netanyahou, le président palestinien Mahmoud Abbas et le président turc Recep Erdogan. En 2015, Abbas et Erdogan avaient trouvé une excuse pour rencontrer Poutine en venant inaugurer la nouvelle grande mosquée-cathédrale de Moscou destinée aux quatorze millions de musulmans que compte la Capitale.
Poutine-Abbas

     Les Russes continuent leur implantation au Proche-Orient. Des soldats et des marins russes circulent sur la côte syrienne tandis que les armes lourdes russes, les avions à réaction et les navires y sont visibles. De son côté, Erdogan s’est senti floué. Les Américains et les Européens lui avaient assuré que les jours de Bachar El-Assad étaient comptés ce qui a justifié son acceptation temporaire de deux millions de réfugiés syriens dans son pays. 
     Mais le Moyen-Orient a peur du vide. Dès que les Américains ont évacué l’Irak et abandonné la Syrie, l’espace a vite été comblé par les Russes qui ont consolidé leur implantation dans la région.  Les États-Unis n’y prêtent aucune attention, laissant la Russie se doter d'une base aérienne permanente en Syrie. Son aérodrome militaire de Hmeimim, d’où partent les avions utilisés pour les frappes contre Daesh, va devenir une base aérienne russe de grande envergure.  Poutine pourra ainsi augmenter le nombre d'avions militaires en opération mais il a assuré que «ni armes nucléaires et ni chasseurs lourds n'y seraient déployés à titre permanent». Cette base doublera ainsi les moyens de la base navale de Tartous au nord-ouest de la Syrie. Si le retrait de la majeure partie du contingent russe avait été envisagé et planifié, la Russie gardera toutefois des installations et des hommes pour continuer à frapper les objectifs terroristes.
Base de Hmeimim


     Moscou est conscient des craintes israéliennes face à ce nouveau triangle stratégique, surtout depuis la visite d’Erdogan à Moscou et du développement des relations entre la Russie et l’Iran et entre Ankara et Téhéran. Les Russes tentent de calmer ces appréhensions en précisant qu’il s’agit uniquement d’un développement économique et que, si alliance il y a, elle pourrait être positive pour surmonter la crise syrienne. A priori, les États-Unis s’inquiètent plus qu’Israël car la politique américaine est basée sur le maintien de la Turquie dans le giron occidental. La présence américaine dans la région aurait à souffrir d’une absence d’une Turquie occidentale alliée. La Russie prétend que la Russie, l'Iran et l'Azerbaïdjan sont des pays exportateurs d’hydrocarbures et qu’ils doivent se concerter en raison de la situation tendue actuelle sur le marché mondial. Il s’agit, selon elle, de relations pragmatiques liées plutôt à des événements politiques internes qui ne peuvent toucher Israël et qui touchent surtout les relations avec l’Union européenne et les États-Unis.
     Les Israéliens, qui ont de bonnes relations avec la Russie de Poutine, sont dans la situation du "Wait and see" et traitent chaque problème séquentiellement. Pour l'instant ils envisagent d'échanger des ambassadeurs avec la Turquie pour jauger réellement de la situation politique. 

3 commentaires:

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

De ce brillant article, si bien documenté, je retiendrai - à mon petit niveau - à quel point Poutine est un grand homme politique doublé d'un immense stratège qui aura su redonner à la Russie son rang dans la politique internationale. Alors que l'Occident, essentiellement représenté par les États-Unis, n'a cessé de pratiquer une politique de gribouille et d'enfant gâté devant qui tous devaient plier, qui a déstabilisé la région pour longtemps.
Quant à Israël, c'est la sagesse qui lui impose sa politique. Souhaitons-lui seulement de n'avoir pas à affronter trop de déconvenues avec la Turquie qui paraît engagée dans une évolution politique plus qu'inquiétante.

Très cordialement.

AMMONRUSQ a dit…

Je suis de votre avis Marianne,car l'occident semble c'être fourvoyer dans cette histoire !

Anonyme a dit…

"En 2015, Abbas et Erdogan avaient trouvé une excuse pour rencontrer Poutine en venant inaugurer la nouvelle grande mosquée-cathédrale de Moscou destinée aux quatorze millions de musulmans que compte la Capitale."

14 millions de musulmans à Moscou, ville de 12 millions d'habitants ?