LE
DYNAMISME DU JUDAÏSME ORTHODOXE AMÉRICAIN
Par Jacques
BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
Ecole SAR |
Il y a des expériences qui peuvent vous réconcilier avec la religion ou du moins avec ses adeptes les moins extrémistes. Il est vrai qu’il est difficile d’être vraiment en phase avec les messianiques parce qu’ils ont tendance à trop interférer dans la vie privée des gens et dans leur vie tout court. Mais les Américains ont une méthode douce pour distiller un judaïsme ouvert et moderne. Il ne s’agit pas bien sûr du judaïsme réformé ou conservateur, considéré par les puristes comme un monde à part, éloigné des textes mais bien du judaïsme orthodoxe moderne.
L'ouverture de la cérémonie
Les
rabbins de cette obédience n’ont pas de barbe, ou rarement, ne portent pas de chapeau borsalino et
ne s’affublent pas de leur habit de deuil permanent hérité des traditions de Pologne. Ils s’habillent de jeans dans la journée et de
costumes pour les grandes occasions et le shabbat. Ils
donnent ainsi l’impression de faire partie de notre monde de laïcs. Cela
se passe aux États-Unis, dans la région de New-York, à Riverdale dans le Bronx
précisément. Certes il s’agit des beaux quartiers juifs avec de belles villas
où les habitants circulent librement avec leur kippa, sans être considérés comme des extra-terrestres.
Dans
ce monde où l’argent règne mais où les Juifs ont la culture de la cohésion communautaire
et de la solidarité, une volonté de rassemblement existe dans l’intérêt des
fidèles. On y croise facilement le Secrétaire du Trésor d’Obama, Jack Lew, qui
passe ses fins de semaine chez lui avec sa famille et dans sa synagogue
habituelle. C’est dans cette ville que le plus grand lycée juif religieux attire
les jeunes de tout Manhattan car les résultats sont exceptionnels avec l'assurance d’intégrer les meilleures universités.
Rav Binyamin Krauss |
Le
directeur de l’école primaire, Rav Binyamin Krauss, sorti du séminaire orthodoxe, vêtu de son jean et
d’un pull sport, m’avait reçu longuement dans son bureau pour expliquer sa
stratégie. Sur un mur trônait une photo d’un vieil homme en tenue noire et en schtreimel,
son père venu tout droit d’un Shtetel de Pologne. À mon étonnement il
m’expliqua qu’il ne reniait pas ses origines mais qu’il devait évoluer avec son
temps afin d’attirer à lui et à la religion le plus grand nombre de jeunes. Il
en avait pris conscience lorsqu’il fut envoyé en mission en Allemagne pour re-judaïser
les immigrants de l’ex-Urss, réfractaires à toute proximité religieuse. Il
avait alors compris que l’habit ne faisait pas le moine et que sa place était
avec ses ouailles, dans le monde moderne, comme tout un chacun.
L'Hatikva et l'hymne américain
Rigide dans
l’application des règles halakhiques, il est cependant convaincu que beaucoup
les interprètent mal pour ne pas les avoir lues ou ne pas les avoir comprises. Ses élèves prient ensemble tous les matins avant les cours ce
qui donne le ton de ses convictions. Mais il prétend que par ignorance, nombreux
sont ceux qui donnent aux textes une connotation restrictive alors que, selon
lui, la Torah s’applique de manière moderne. Ainsi, en dehors de la synagogue où les femmes sont à l'écart des hommes, la
cohabitation entre garçons et filles n’est strictement pas interdite. Selon les textes, seuls les
rapports sexuels sont prohibés avant le mariage; et il veille à ce
que cela soit respecté dans son école sous peine d'exclusion. Cela ne lui interdit donc pas
d’organiser des classes mixtes pour que les jeunes soient très vite en contact
avec la réalité de la vie et pour éviter que le strict cloisonnement filles-garçons
n’entraîne des déviations inévitables. Il poursuit son idée première d’éviter
à ses jeunes des mariages mixtes avec les non-juifs en facilitant une
cohabitation naturelle.
L'hymne de l'école
Les cours primaires
et secondaires accueillent plus de 1.200 élèves juifs qui n’étaient pas tous orthodoxes
au départ mais qui sont entraînés à le devenir, selon le rabbin. La liste d’attente est longue. Les
jeunes suivent toute leur scolarité jusqu’à la terminale, au contact des filles
sans que cela ne pose au
directeur-rabbin de problèmes halakhiques ni psychologiques, au contraire. Les jeunes finissent par assimiler
que le monde de la femme n’est pas si mystérieux.
Les Américains
aiment le spectacle, aiment le show, aiment la démesure, aiment frapper les
esprits et ils savent mettre le prix pour que leurs fêtes soient
grandioses. La graduation ou la délivrance du diplôme de fin d’études
secondaires, car le bac n’existe pas aux États-Unis, est l’occasion d’une
rassemblement plein de fioritures avec uniformes, discours et lâcher de
chapeaux. On voit mal les Français fêter le bac avec la toge universitaire et
la toque avec ganses. Les Américains le font, filles et garçons ensemble sur
scène sans que cela ne jette de trouble autre que l’émotion d’avoir enfin fini le
cycle pour entrer dans le monde adulte.
Par
tradition et par respect, toute l’assistance masculine portait la kippa mais aucune
séparation n’était imposée dans la salle entre hommes et femmes car les familles
doivent être rassemblées pour la fête dans la joie, contrairement aux
réunions ultra-orthodoxes où les femmes sont reléguées au fond des salles. Un
fort sentiment sioniste est ancré dans les esprits puisque la fête commence par
l’Hatikva entonnée par l’ensemble de l'assistance, suivie
immédiatement après par l’hymne national américain. On ne peut pas rester insensible
quand un fort sentiment national unit les Juifs, avec une impression de vivre
un sionisme spécial, celui qui consiste à soutenir Israël sans limite et à pratiquer
le judaïsme sans forcément sauter le grand pas difficile de l’alyah. Cette attitude est
saine et certainement plus efficace que certains comportements artificiels européens.
Mais la compétition reste un sentiment humain même si les échanges sont sains. Les places d’universités sont distribuées selon les résultats des trois dernières années scolaires durant lesquelles de nombreux tests de toute nature sont imposés ; un véritable contrôle continu permet d’éviter les éventuels accidents à un unique examen ou concours. Ces jeunes Juifs seront nombreux à intégrer les prestigieuses universités de Princeton, Harvard, Columbia, Chicago, Yale ou Boston ; d’autres trouveront leur bonheur à travers les autres universités des États-Unis. Mais ce qui est certain, c’est que des structures juives, telle que Hillel, installées dans les universités leur permettront de maintenir leur identité spécifique.
Remise des diplômes
Mais la compétition reste un sentiment humain même si les échanges sont sains. Les places d’universités sont distribuées selon les résultats des trois dernières années scolaires durant lesquelles de nombreux tests de toute nature sont imposés ; un véritable contrôle continu permet d’éviter les éventuels accidents à un unique examen ou concours. Ces jeunes Juifs seront nombreux à intégrer les prestigieuses universités de Princeton, Harvard, Columbia, Chicago, Yale ou Boston ; d’autres trouveront leur bonheur à travers les autres universités des États-Unis. Mais ce qui est certain, c’est que des structures juives, telle que Hillel, installées dans les universités leur permettront de maintenir leur identité spécifique.
Les Européens ignorent une tradition qui perdure aux Etats-Unis. Les jeunes s’offrent une année
sabbatique avant d’entrer à l’université ; leur place leur reste réservée durant une année, après la procédure de sélection draconienne. Il s’agit d’une tradition qui se perpétue au sein des jeunes étudiants, avant d’entrer dans l’enfer des grandes universités,
une sorte de tremplin entre la vie insouciante d’adolescent et celle d’adulte
responsable indépendant. Les uns passent une année en Inde ou en Chine à aider
les pauvres mais la majorité des Juifs consacre une année à étudier
le Talmud dans une Yeshiva ou un séminaire pour les filles, en Israël, pour parfaire leur connaissances avant
l’apprentissage des matières profanes. Il s’agit d’une respiration plutôt que d’un acte religieux. D’ailleurs, ils quittent la Yeshiva sans souvent y remettre les
pieds une fois leur vie professionnelle enclanchée.
Le lâcher des chapeaux
Les rabbins modernes
estiment que leurs élèvent s’offrent ainsi des bases philosophiques essentielles
qui les aideront à surmonter les difficultés d’une concurrence dans un monde
sans pitié. Il faut noter que l’option d’une année dans Tsahal pour apprendre
le maniement des armes a été, à tort, portée à 18 mois empêchant les jeunes Américains de s'engager pendant un an, au risque de perdre leur place réservée à l'université. Pour des raisons
budgétaires, l’armée a allongé la durée d'incorporation des étrangers pour «rentabiliser» son investissement. Elle veut former des combattants et non pas des défenseurs. Il est dommage que cette opportunité ait été supprimée au moment où toutes les
communautés juives dans le monde font face à un besoin de défense et de
sécurité. Cela éviterait à quelques illuminés d’entrer dans des groupes juifs d'auto-défense occultes qui professent la haine et l’extrémisme. Cela
permettrait surtout aux étudiants juifs de défendre politiquement Israël face aux nombreuses
associations anti sionistes, type BDS, dans les campus.
L’Europe, et les Juifs en particulier, ont beaucoup à apprendre de la communauté juive des États-Unis au moment
où les Juifs français subissent l'influence néfaste d'un islamisme intégriste. Les Américains ont bien sûr de gros moyens et un sens de l'organisation qu'ils mettent au profit de leurs convictions mais l'argent n'est qu'un moyen mis au service de leur engagement personnel envers Israël et leur communauté. Ils ont la culture du sens communautaire et la culture de l'investissement financier au profit des institutions juives.
6 commentaires:
C'est très bien de découvrir la tendance dite "modern orthodox" en Amérique, mais elle est de plus en plus répandue en Israël même. Ce serait bien d'aller enquêter aussi dans ces milieux là.
A propos : c'est Joël Mergui qui a été réélu dimanche à la présidence du Consistoire central du judaïsme français, avec 156 voix, contre 42 voix à Evelyne Gougenheim première candidate à ce poste !
Israel n'a pas vocation à former les juifs de la diaspora à l'auto-défense.
Cette idée est en opposition totale à L'idéal Sioniste qui s'est justement trouvé dès le départ avec des partisans rejetant le retour à Sion en préconisaient la formation d'une Armée juive de défense. Idée fortement défendue par Hannah Arendt
Quand à l'idéal sioniste dont vous parlez s'il s'était résumé à voir les juifs de la diaspora chanter l'hatikva dans les universités américaines, le pays serait encore aux mains des anglais.
Bernard Meyer
Il y a des différences d'acceptation de la religion selon les pays.
Aux USA, le premier amendement de sa Constitution commence par ces mots: Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l'établissement ou interdise le libre exercice d'une religion....
En France, ce n'est qu'au 10 ème article de la Déclaration des Droits de l'Homme qu'il est mentionné que:
Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, MÊME religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi.
Aux USA le nouveau président, la main sur la Bible, termine son serment d'investiture ainsi: Que Dieu me vienne en aide.
Rien de cela en France.
Deux approches différentes. Les Juifs américains font dans le folklore, les juifs français dans la retenue d'un pays laïc.
Très cordialement
Veronique Allouche
Le judaisme orthodoxe moderne est inspire de la pensée du rav Soloveitchik, mais ce courant n'est pas reconnu par le judaisme orthodoxe israelien, au meme titre que les Reformes ou les Conservateurs.
" Les juifs français subissent l'influence néfaste d'un islamisme intégriste"
Ils en subissent les conséquences mais ne sont pas influencés!
Un seul point de détail relevé mais l'article est intéressant et il apporte des informations neuves.
Enregistrer un commentaire