LE
SHABAK ET LE MOSSAD ACCUSÉS DE GAUCHISME
Par Jacques
BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
David Bitan |
L’exemple vient d’en haut, d’un député à la Knesset, pire, du chef du groupe Likoud David Bitan. Le président de la coalition à la Knesset a déclaré que les responsables des principaux corps sécuritaires du pays, le Shabak et le Mossad, «glissaient vers la gauche radicale et se sont transformés en des piliers de la gauche». Le qualificatif de gauche est devenu au fil du temps la pire insulte en Israël oubliant du même coup que le fondateur du pays était David Ben Gourion, figure charismatique de gauche.
Charlie Biton |
La
démocratie permet toutes les prises de position mais il est inadmissible que
l’on vise les chefs sécuritaires du pays. C’est une dérive inquiétante car elle
jette un soupçon sur l’intégrité de ceux qui sont chargés de défendre le pays
contre le risque extérieur. David Bitan fait plaisir à ses électeurs de
l’extrême-droite pour les empêcher de rejoindre Naftali Bennett en affirmant : «Il
y a un problème avec cette situation. Meir Dagan était un homme de la droite
dure, mais après avoir pris le contrôle du Mossad, il a fini par avoir des
positions opposées. Les chefs du Shabak et du Mossad se transforment en
gauchistes». Cette attitude est irresponsable de la part d’un député parce qu’elle met en cause des institutions qui ont toujours été
épargnées du débat politique et qu’elle jette l’opprobre sur des personnalités respectables par leur
passé militaire.
Meir Dagan ancien général de division |
Les chefs sécuritaires ont toujours
été prudents face aux décisions du premier ministre Netanyahou quand il
s’agissait de frapper l’Iran. En 2009, ils ont été unanimes à déconseiller, par
pragmatisme et sur la base d'une analyse des risques, une action militaire contre les usines nucléaires iraniennes sans
le soutien logistique des États-Unis. Réticents à une telle aventure mais
respectueux du pouvoir civil, ils avaient demandé un ordre écrit du
gouvernement car ils ne voulaient pas endosser seuls les conséquences d’une
action douteuse. Cet ordre n'est jamais parvenu aux chefs militaires.
David Bitan ne tient pas compte du fait qu’arrivés à des postes sensibles en disposant d’informations exclusives de haute tenue stratégique, certains anciens du Likoud puissent réfléchir et revenir sur leurs certitudes. Leur passé politique importe peu ; seul l’intérêt du pays prime sur l’aventure.
David Bitan ne tient pas compte du fait qu’arrivés à des postes sensibles en disposant d’informations exclusives de haute tenue stratégique, certains anciens du Likoud puissent réfléchir et revenir sur leurs certitudes. Leur passé politique importe peu ; seul l’intérêt du pays prime sur l’aventure.
Certes
Meir Dagan, ancien maître espion israélien, s’était livré à une charge virulente
contre le Premier ministre Benjamin Netanyahou, plus préoccupé selon lui par
son intérêt personnel que par l'intérêt national. Il savait de quoi il parlait
puisqu’il était le cerveau de la guerre secrète contre le nucléaire iranien en
étant à la tête du Mossad de 2002 à 2010 : «J'ai connu beaucoup de premiers
ministres. Aucun n'était un saint. Mais ils avaient un point commun : quand
leur intérêt personnel contredisait l'intérêt national, l'intérêt national
primait. Je ne peux pas en dire autant pour deux d'entre eux : Bibi et Ehud
Barak». Il ne semble pas que des questions politiques aient justifié ses
attaques car tous sont unanimes à confirmer qu’il s’agissait d’un chef intègre
aux états de services militaires élogieux. D’ailleurs il avait aussi bien
critiqué Netanyahou du Likoud que le travailliste Barak : «Bibi est le
pire dirigeant que je connaisse. Il a tendance comme Ehud Barak à se considérer
comme le plus grand génie au monde, sauf que personne ne comprend ce qu'ils
veulent vraiment».
Un
documentaire publié en 2013, «The Gatekeepers», avait déjà soulevé un
débat lorsque, pour les ex-patrons du Shin-Beth, l'ennemi palestinien devenait
humain [1]. Le documentaire a laissé des traces en Israël et les responsables
de la sécurité intérieure qui ont été les acteurs actifs du service ont dû en tenir compte lors des
décisions qu’ils avaient à prendre. Le film sorti dans les salles était passé
inaperçu mais sa diffusion par Arte avait fait l’effet d’une bombe politique. Six
chefs du Shabak (Shérut ha-Bitahon ha-Klali, aussi connu sous les initiales
S.B, Shin Beth, responsable de la sécurité intérieure du pays à la manière de
la DCRI française) qui se sont succédés entre 1980 et 2011 avaient accepté de
témoigner à visage découvert.
On ne sortait pas
indemne de la projection du film, notamment en raison d’une atmosphère lourde,
volontairement noircie par une mise en scène faisant peu de place à la lumière
du jour pour accroître l’impression de drame et pour illustrer le côté secret
des opérations. Six hommes Avraham Shalom, Yaacov Peri, Carmi Gillon, Ami
Ayalon, Avi Dichter, et Youval Diskin y racontent trente ans de lutte
antiterroriste en insistant sur la gestion désastreuse des relations avec les
Palestiniens.
On ne peut pas considérer que ces héros militaires
soient devenus subitement des traitres à la cause israélienne. Le spectateur
est troublé par la masse d’aveux détaillés, que les chefs justifient par
ailleurs avec une liberté remarquable et une intense vérité, donnant ainsi une
signification concrète à la démocratie israélienne. Mais il en ressort une
impression de malaise, car les anciens chefs du Shin Beth, de toute tendance
politique, avouent que les dirigeants politiques israéliens n’ont jamais
cherché à établir une paix avec les Palestiniens. Ils concluent qu’à l’exception
d’Yitzhak Rabin, tous les chefs de gouvernement israéliens ont brillé par leur
vision «trop nationaliste, sécuritaire et paranoïaque».
Avec David Bitan, l’histoire se répète et confirme la vision nationaliste de certains politiques israéliens. Le député doit savoir qu'il n'y a pas de notion de droite ou de gauche quand il s'agit de la sécurité d'Israël. Le consensus général est impératif.
Avec David Bitan, l’histoire se répète et confirme la vision nationaliste de certains politiques israéliens. Le député doit savoir qu'il n'y a pas de notion de droite ou de gauche quand il s'agit de la sécurité d'Israël. Le consensus général est impératif.
2 commentaires:
Staline a nettoyé, purgé les rangs de l'armée et des corps sécuritaires accusant les élites de trahison, soit en marginalisant violemment soit en tuant les meilleurs.
Le fait d'accuser les gens qui ont un minimum de rationalité parce qu'ils s'opposent aux fantasmes des membres de la nomenklatura et de leur Chef qui sait tout, a donc un caractère universel, et c'est une forme de fascisme de gauche comme de droite.
Les soviétiques ont payé un prix exorbitant pour ces crimes, et sans la présence d'officiers formés sur le terrain dont une grande partie étaient juifs et motivés plus que les autres dans la lutte contre Hitler, la catastrophe aurait été définitive.
Cher monsieur Benillouche,
Loin de moi l'idée de vouloir m'imiscer dans les affaires israélo-israéliennes mais enfin, ce film date de 2013, il paraît que des milliers d'Israéliens se sont précipités dans les salles pour le voir. Sur le plan politique cela a changé quoi ? Rien ! En 2015 le parti de Netanyahou n'a-t-il pas déjoué tous les pronostics et remporté une large victoire aux élections législatives ? Comme dit la sagesse populaire : les chiens aboient, la caravane passe !
Très cordialement.
Enregistrer un commentaire