LIBAN : UN PARFUM DE RÉVOLUTION DANS LES POUBELLES
Par Jacques BENILLOUCHE
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Le
Liban a échappé aux révolutions du Printemps
arabe pour sombrer pour une question de poubelles. On imagine mal comment,
en plein mois d’août brûlant du Proche-Orient, les ordures ménagères ne sont
pas ramassées depuis plus d’un mois avec tous les risques d’hygiène et de
contamination. Beyrouth est asphyxié par un parfum de révolution.
Le mouvement «Tala’at
Rihatkum» (Vous puez) a organisé les manifestations durant lesquelles des
milliers de personnes ont répondu à la crise du ramassage des ordures en jetant
des pierres sur la police au centre de Beyrouth. Il est trop tard pour eux de se
réclamer du Printemps arabe mais ils prennent le risque d’écrouler le
Liban pour laisser place à l’État islamique qui lorgne sur le pays.
Une
décharge provisoire
Pendant plus de 18 ans le
gouvernement libanais n’a pas été capable de construire une usine de recyclage
des déchets. Une décharge «provisoire» a été constituée à Naameh, dans
la montagne au sud-est de Beyrouth, à proximité de quartiers pauvres qui
souffrent de contamination avec cancers et maladies pulmonaires à la clef. Cette décharge, construite en 1997 dans l’attente d’une solution de
long-terme, avait été fermée de force par les habitants qui vivaient aux
alentours. Les riverains se plaignaient de problèmes sanitaires. Le
gouvernement s’était engagé à trouver une solution avant le 17 juillet. Mais le
délai a expiré sans alternative. Dans l’attente d’une solution définitive, le
gouvernement s’est borné à asperger les montagnes d’ordures amoncelées dans la
rue avec de la mort-aux-rats.
Naameh |
La
décharge de Naameh avait été fermée alors que les dirigeants politiques avaient
été accusés de s’écharper sur la répartition des bénéfices du contrat juteux
qui avait expiré sans être renouvelé. Six sociétés, liées à des responsables
politiques, ont répondu à l’appel d’offre du gouvernement. Mais aucune décision
n’a été prise en raison des conflits des répartition des intérêts. Les manifestants ont accusé ces sociétés de «vol
de l’argent public». Ils ont condamné l’absence d’élections législatives
depuis 2009 car le Parlement, qualifié d’«illégitime»,
avait prorogé lui-même son mandat à deux reprises. La situation a stagné parce
que le gouvernement libanais est divisé et corrompu. D’ailleurs, les dirigeants
n’ont pas été capables d’élire un président depuis 2014 alors que le parlement
s’est réuni plus de 20 fois sans obtenir le quorum obligatoire.
Gouvernement libanais |
Le gouvernement libanais est
sous pression au lendemain de la plus grande manifestation jamais organisée par
la société civile et de l'ultimatum lancé par le mouvement pour trouver une
issue à la «crise des ordures». La rue a fait éclater la division entre
l’alliance du 8 mars alliée de la Syrie, menée par le Hezbollah, et
celle du 14 mars d’inspiration sunnite et chrétienne, opposée à
l’hégémonie syrienne sur le Liban. Les deux camps cohabitent depuis 18 mois
dans un «gouvernement d'entente» stérile puisqu’il ne prend pas de
décisions. Le premier ministre Tammam Salam n’a pris aucune initiative pour
résoudre la crise des ordures.
La
petite goutte
Le problème des ordures est la
petite goutte qui a fait déborder le vase. En raison d’une bataille de clans et
de guerres confessionnelles, le Liban n’a pas rénové ses infrastructures qui
sont en piteux état. Le gouvernement n’est pas capable d’assurer une continuité
dans les approvisionnements d’eau et d’électricité. Les transports publics n’existent
plus tandis que les espaces verts ont été confisqués par des intérêts privés. Il
ne reste plus qu’un embryon de services de santé alors que, pour des querelles de
chapelle, l’éducation est devenue une catastrophe. La petite Suisse du
Moyen-Orient ne se reconnaît plus elle-même et pourtant l’argent ne manque pas
dans ce pays où aucune structure socialisée n’existe et où règne le capitalisme
sauvage.
Culture de cannabis dans la Bekaa |
Le
Liban ne sait plus produire et il résiste économiquement parce qu’une majorité
de Libanais l’aide depuis l’étranger. Ils ont transformé le pays en une usine
de production de capital représentant les bénéfices de sociétés troubles
installées en Afrique occidentale ou en Irak, de sociétés financières et de conglomérats
narcotiques de la vallée de la Bekaa. L’argent y afflue mais n’entre pas dans
les caisses publiques. Il est intercepté par quelques privilégiés qui se déplacent
en grosses voitures de luxe sur la Corniche et dans la marina de Zaytouneh. Une
petite minorité, à l’égale d’une mafia, accapare les bénéfices du pays. Le
mystère est entier sur le circuit d’évaporation des millions de dollars qui
circulent. Et dans cette situation figée, les réfugiés syriens tentent de
survivre de mendicité ou de vols. La dette publique a atteint 143% du PIB
(produit national brut).
Le
Liban n’a pas réussi à émergé de son statut inefficace, original à l’époque
parce qu’il donnait le pouvoir aux 18 groupes religieux qui selon la
Constitution, se partageaient le pouvoir. Différents clans de chrétiens, de
musulmans sunnites, de musulmans chiites et de druzes n’arrivent plus à
collaborer et à trouver un consensus national pour faire avancer le pays.
Contre
le sectarisme
Les
jeunes qui manifestent aujourd’hui contre les poubelles condamnent en fait le
sectarisme et souhaitent un Liban unique et uni. Les manifestants ne partage
aucune idéologie mais leurs exigences sont légitimes. Chacun a son propre motif
de protestation. Les Chrétiens en veulent aux Occidentaux qui les ont
abandonnés. Les Sunnites comptent sur les États du Golfe et leurs pétrodollars
tandis que les Chiites lorgnent vers l’Iran par Hezbollah interposé.
Cela explique d’une certaine manière l’adoration
à l’égard du Hezbollah ; c’est l’unique force sociale structurée. Mais la
milice chiite a déserté la vie politique libanaise depuis qu’elle combat aux
côtés de l’armée de Bachar Al-Assad, dans une lutte difficile face à l’État
islamique. C’est d’ailleurs ce combat qui a entraîné l’installation au Liban de
deux millions de Syriens qui désorganisent le pays et s’approprient les emplois en acceptant des salaires
de misère. Et pour couronner le tout, les Palestiniens s’étripent dans les
camps de réfugiés du sud-Liban faisant beaucoup de morts et de blessés.
Liban camp palestinien |
Les
jeunes qui venaient manifester en famille, comme s’ils se rendaient à une
kermesse, ont été accueillis par des canons à eau, des balles en caoutchouc et
du gaz lacrymogène. Le centre-ville a été dévasté avec des vitrines arrachées,
des véhicules brûlés et des barrages de pneus incendiés. Les forces de sécurité
libanaises, peu préparées à ce genre d’émeutes, ont été vite débordées. Elles
ont été surprises parce que la rébellion n’était pas préparée et que les
manifestations étaient spontanées.
Heurts avec la police |
Si
les idées s’inspiraient du Printemps arabe pour réclamer des réformes
et des politiques sociales rénovées, les manifestants, infiltrés par des
groupes politiques, ont vite adopté le langage politique de la région avec exacerbation
du conflit entre les Potentats arabes, Israël et l’Occident. Beyrouth, qui se
voulait un petit bout d’Occident dans un Moyen-Orient arabe, a été endoctriné
par les thèses des conflits de la région. La rébellion a été vite accaparée par
des groupements manipulés par des intérêts locaux et étrangers. Aujourd’hui, le
Liban coule sous le regard d’observateurs désintéressés, face au drame plus envahissant
et sanglant de Daesh.
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