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dimanche 30 novembre 2014

DAESH FORCE LA RECOMPOSITION DU MONDE ARABE



DAESH FORCE LA RECOMPOSITION DU MONDE ARABE

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps
        
         
          Face au danger représenté par Daesh, le Qatar est rentré dans le rang saoudien. Après plus d’un an de rivalités avec l’Arabie saoudite et les États du Golfe, suite aux révolutions arabes, le Qatar semble avoir mis de l’eau dans son vin, ou plutôt dans son eau de fleur d’oranger. L’Arabie saoudite est sortie gagnante du bras de fer avec son concurrent, après avoir pris la tête d’une croisade contre Daesh. Les Américains sont les instigateurs de ces nouvelles retrouvailles.


 Retour du pays prodigue

Qatar et Arabie

Les Saoudiens avaient exigé du Qatar qu’il cesse de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays frères et qu’il appuie la politique prônée par l’ensemble des pays arabes. Le Qatar avait en effet soutenu, à coup de millions de dollars, la révolution égyptienne qui avait vu les Frères musulmans arriver au pouvoir ainsi que, par idéologie, le Hamas à Gaza. 
Cette stratégie purement personnelle, qui n’avait pas eu l’aval de l’ensemble du monde arabe, avait entraîné l’isolement du Qatar mis à l’index par l’Arabie, le Koweït, le Bahreïn, les Émirats arabes et Oman. Leurs ambassadeurs à Doha avaient été rappelés dans leurs pays respectifs. Leur retour avait été conditionné par un retrait actif du Qatar des conflits arabes pour une meilleure neutralité.  Le Qatar avait même été écarté du CCG (Conseil de coopération du Golfe), l’organisation de défense régionale regroupant six pétromonarchies arabes et musulmanes du golfe Persique. 
Depuis 1995, le Qatar était dirigé par l’émir Hamad bin Khalifa Al Thani, qui avait  pris les commandes du pays en renversant son père Khalifa bin Hamad Al Thani. Son fils Tamim ben Hamad Al Thani a pris les rênes du pouvoir en 2013 en maintenant un régime libéral sur la base de réformes sociales et politiques. Cette politique moderne s'opposait au conservatisme des monarchies pétrolières féodales qui craignaient la contagion démocratique.  La Qatar a poursuivi une politique ascensionnelle grâce à la notoriété de sa chaîne de télévision Al-Jazzera. Mais grâce aux fonds inépuisables que lui confèrent les gisements de gaz, il avait pris l’habitude d’imposer sa politique, tout azimut.

Politique de nuisance



            Ainsi l’Arabie saoudite n’avait pas apprécié le soutien actif du Qatar aux Frères musulmans, qui venaient de prendre le pouvoir en Égypte, et par conséquent au Hamas à Gaza. Par ailleurs le rôle ambigu du Qatar auprès des islamistes de Libye, de Tunisie et de Gaza avait été mal perçu. Enfin, son refus de reconnaître le nouveau pouvoir en Égypte, celui  d’Abdel-Fattah al-Sissi, avait été assimilé à un casus belli.
            Mais un élément avait entraîné la rupture franche avec le Qatar. Les pays arabes s'inquiétaient du rapprochement enclenché entre l’Iran et le Qatar avec pour conséquence le soutien aux rebelles syriens islamistes qui combattaient les opposants soutenus par l’Arabie. La station de télévision Al Jazeera ne cessait pas de propager un aspect toujours négatif des pays arabes à partir d’émissions systématiquement critiques à leur égard, conduisant certains pays à l’interdire chez eux. 

         L’Arabie avait trouvé exagéré que le nouveau régime des militaires égyptiens soit voué aux gémonies à travers des commentaires acerbes de la station qatarie. Ce petit pays, d’un demi-million de citoyens, voulait absolument se faire remarquer en poursuivant la politique d’un Grand et cela empiétait sur les prérogatives saoudiennes.

            En revanche au Qatar avait le paradoxe d’être le seul État du Golfe à entretenir des relations diplomatiques avec Israël tout en ne faisant pas mystère de son soutien au Hamas. Il n’avait pas hésité à donner asile à son chef du bureau politique, Khaled Mechaal. Mais parallèlement il entretient des relations étroites avec les pays occidentaux. Les Saoudiens jalousaient les Qataris depuis que les États-Unis avaient transféré en 2003 leurs activités militaires d’Arabie Saoudite vers le Qatar après avoir évacué les bases qu’ils occupaient depuis 1991 pour s’installer dans la base d’Al-Oudeid.
Base américaine d'Al-Oudeid

            Mais les pays arabes s’inquiètent du surarmement d’un petit pays qui ne compte pas tant d’ennemis tant il finance sans compter son influence diplomatique dans la région. Et pourtant, le Qatar a signé un contrat de 23 milliards de dollars avec la Grande-Bretagne pour l'achat d'hélicoptères d'assaut et de missiles et avec les États-Unis pour la fourniture d’armes pour 10 milliards par an. Les pays arabes craignaient que ces armes ne se retournent contre eux. Le Qatar ne pouvait avoir d’ennemis qu’auprès des potentats arabes face à l’image libérale qu’il véhicule avec ses investissements en tout genre dans les pays occidentaux, depuis les équipes de football aux musées.

Réintégration du Qatar

CCG

            Les questions se posent donc sur les réelles motivations de la réintégration du Qatar au sein des pays du Golfe. Deux stratégies semblent avoir été engagées par les Américains qui ont certes fait pression pour que les pays arabes soient unis dans le même combat pour l’ennemi commun Daesh. Ils avaient intérêt à ce que les liens soient renoués avec le Caire et Riyad car un front commun est indispensable pour l’éradication des djihadistes et pour la résolution des questions syrienne et palestinienne.
Mais les Américains poursuivaient un autre objectif. En recréant le front uni des pays arabes du Golfe, il s’agissait de remettre sur le tapis la menace arabe contre l’Iran qui a toujours été la bête noire des pays arabes sunnites. C’est ce qui pourrait expliquer d’ailleurs la volonté de surarmement du Qatar qui craint la capacité de nuisance des mollahs.  La question du nucléaire iranien pourrait rebondir en permettant de trouver un terrain d’entente face à un front uni arabe. Par ailleurs les bonnes relations entre le Qatar et Israël pourraient favoriser un accord avec le Hamas et l’ensemble des clans palestiniens.
            L’Égypte n’a pas encore renoué avec le Qatar mais elle pourrait faire preuve de bonne volonté si Doha acceptait de financer une économie égyptienne exsangue qui ploie sous les dettes. Le président Al-Sissi voudrait bien recevoir les milliards de dollars qui étaient déversés du temps du président Morsi.

            En fait les Américains tentent de s’opposer à Daesh grâce à une réconciliation du monde arabe, uni à nouveau sous l’égide de l’Arabie, avec l’ambition de trouver un terrain d’entente avec la Syrie. Cette politique avait été prônée par les Israéliens qui avaient gardé une neutralité active vis-à-vis du régime de Bachar Al-Assad car ils étaient persuadés que le danger venait des djihadistes, les seuls à avoir la capacité d’attirer à eux de nouveaux soutiens à leur politique sanguinaire. 
        Cette crainte de hordes barbares qui envahissent les terres vassales de l’Iran pourrait ramener à de meilleures intentions les mollahs sur le problème du nucléaire iranien. Daesh est en train de recomposer le monde arabe et de forcer l’Iran à négocier sérieusement avec les Occidentaux. C’est en tout cas la stratégie espérée des Américains qui n’ont connu, jusqu’à présent, que des échecs au Moyen-Orient.


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