LE BEST-OF DES ARTICLES LES PLUS LUS DU SITE, cliquer sur l'image pour lire l'article


 

dimanche 25 mai 2014

LE PATRIARCHE RAÏ EN ISRAËL : L’ENJEU D’UNE VISITE CONTESTÉE


LE PATRIARCHE RAÏ EN ISRAËL : L’ENJEU D’UNE VISITE CONTESTÉE
Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps

Le patriarche maronite libanais, le cardinal Bechara Raï, accompagne le pape en Israël du 24 au 26 mai. La décision n’est pas fortuite mais réfléchie. La visite pourrait avoir un impact retentissant tant les haines sont exacerbées dans une région qui vit au paroxysme de la violence. Les Libanais tentent de minimiser l’influence d’un voyage qui est une première pour un dignitaire de ce niveau, depuis la création de l’État d’Israël.

Visite non politique
Ce déplacement constitue un symbole qui pourrait éclipser en Israël celui de la visite papale. Le Patriarche a mesuré les incidences de sa décision. Alors il tente, sans succès d’ailleurs, de qualifier sa visite comme «non politique mais religieuse ; le pape va dans le diocèse du patriarche, c’est normal que le patriarche l’accueille». Il insiste pour confirmer qu’il s’abstiendra de toute rencontre politique avec les Israéliens alors que paradoxalement son séjour sera prolongé au-delà de celui du pape pour aller, selon lui, au-devant de ses ouailles vivant en Israël. Mais nul ne peut prédire ce qui pourrait se passer dans les alcôves du pouvoir à l’abri des regards de la presse.
Raï en réunion avec Geagea, Gemayel, Aoun et Frangié

Pourtant cette argumentation n’a jamais été utilisée à l’occasion des visites antérieures de tous les papes qui ont fait le voyage en Terre Sainte. C’est donc une première à tous les niveaux. Le cardinal Raï est surtout un homme politique au Liban puisqu’il intervient en permanence dans la politique de son pays dans le cadre de nombreuses réunions avec les dirigeants politiques chrétiens. Il arbitre la désignation des candidats à la présidence et œuvre pour trouver un consensus entre les différentes factions chrétiennes. D’ailleurs le Hezbollah ne s’y est pas trompé puisqu’il a condamné cette visite estimant fallacieux l’alibi d'une rencontre du patriarche avec les maronites d’Israël dont Mgr Raï est le patriarche maronite d’Antioche, de Jérusalem et de tout l’Orient.

Intérêts palestiniens


Le quotidien nationaliste arabe As-Safir écrit que «la visite du patriarche des maronites dans les territoires palestiniens occupés ne sert ni les intérêts du Liban et des Libanais, ni ceux de la Palestine et des Palestiniens ni ceux des chrétiens et du christianisme». Les Israéliens adoptent un profil bas et évitent de mettre en difficulté le cardinal Raï en ne relevant pas sa visite au président Mahmoud Abbas. L’entourage libanais du patriarche tente aussi de justifier son voyage à Jérusalem par la présence de hauts dignitaires d’autres religions.  En effet, Abraham Skorka, rabbin de Buenos Aires et vieil ami du pape, et Omar Abboud, professeur musulman et président de l’Institut pour le dialogue interreligieux de la capitale argentine accompagnent le pape dans ses déplacements. Le cardinal Raï trouve donc un motif de participer au dialogue inter religieux qui constitue l’enjeu primordial du voyage du pape.
Le pape et Avraham Sorka

En fait Raï est très impliqué dans la politique et en particulier dans la recherche d’un consensus pour un nouveau président libanais ; il a souhaité «réussite et bonne chance au nouveau gouvernement. Nous devons tous aider le gouvernement et le soutenir pour aboutir à l'élection d'un nouveau président».  Il sait en particulier que le conflit syrien a recomposé le paysage libanais et que l’islam est en crise en raison des conflits qui opposent des régimes d’obédiences communautaires opposés.  Il s’inquiète de la menace djihadiste qui est installée à la frontière du Liban et qui se nourrit des haines accumulées dans un régime confessionnel. L’implication du Hezbollah chiite dans la guerre syrienne a réveillé les divergences communautaires au Liban.
Les chrétiens qui ont été à l’origine du pacte national au Liban se trouvent à présent contestés et la fracture entre chiites et sunnites, due à la guerre syrienne, a mis un terme au rêve d’un islam ouvert sur le monde. Raï constate que les djihadistes ont réussi à prendre toutes les communautés du Liban en otages tout en déchainant leur haine contre les Chrétiens victimes expiatoires d’un conflit dont ils ne sont pas partie prenante. Les Chrétiens ont perdu leur rôle de garants d’un pacte  censé protéger le pays des conflits et des barbares et il est persuadé de devoir agir pour la sauvegarde de cette minorité.

Raï est convaincu qu’il a besoin des Occidentaux pour préserver les communautés chrétiennes quitte à pactiser avec le diable juif, seul défenseur fort de l’Occident dans la région. Il est certain que lors de sa visite au Vatican le 2 décembre 2013, Benjamin Netanyahou, accompagné de hauts gradés de l’armée, a abordé le problème de la situation des Chrétiens en Orient. Le pape de son côté a semblé vouloir interférer dans les négociations de paix après avoir reçu Mahmoud Abbas le 17 octobre 2013 au Vatican.

Enracinement arabe

Soldats chrétiens dans Tsahal

Raï souhaite par ce voyage confirmer les maronites en Israël, et les Chrétiens en général, dans leur enracinement arabe. Il s’inquiète du sentiment qui prévaut parmi les Chrétiens arabes, qui se sentent de plus en plus différents des Musulmans depuis que l'identité musulmane a supplanté l'identité arabe dans l'esprit de la population. D’ailleurs cela se traduit par un enrôlement de plus en plus actif des Arabes chrétiens au sein de l'armée israélienne, dont les musulmans sont écartés. Alors que les Maronites en Israël sont au nombre de dix mille environ, répartis à Haïfa et surtout en Galilée, Raï veut profiter de son voyage pour rassembler les Maronites d’Israël et de Jordanie pour en faire une force capable de compter dans le nouveau paysage de la région face aux islamistes. Il a besoin de tous les autres Chrétiens de Bethléem et de Beit Sahour car l'avenir de l'Église maronite en Terre sainte est fragile.
Béchir Gémayel

Il n’est pas exclu que le cardinal Raï soit mandaté pour faire les premiers pas d’un rapprochement politique entre les Chrétiens du Liban et Israël. Bien sûr le rêve israélien d’une entente bilatérale a pris fin avec l’assassinat de Bachir Gemayel. Mais la nouvelle donne est grave car la capacité de nuisance du Hezbollah est entière puisqu’il bloque l’élection d’un président libanais prouvant, s’il en était besoin, qu’il cherche en fait à exclure les Chrétiens du jeu démocratique au Liban.

Palestiniens réservés

Eglise Notre-Dame du Rosaire à Saint-Jean d'Acre

En revanche les Chrétiens palestiniens ne voient pas d’un bon œil le voyage du patriarche à Jérusalem car ils craignent que les Israéliens n’en profitent pour «blanchir l’occupation». Cependant Mahmoud Abbas a téléphoné au patriarche pour lui dire «qu’il appréciait, respectait et saluait» sa visite à Jérusalem.
Ce pourrait être une première car les Maronites du Liban et les Coptes égyptiens ont toujours adopté une position d’anti-normalisation avec Israël. Le fait que le patriarche Raï ait affirmé que «je vais à Jérusalem pour dire que c'est notre ville, et que Jérusalem est arabe»  ne l’a pas empêché d’être éreinté par les médias libanais et palestiniens qui voient dans cette visite une sorte de «normalisation» avec Israël. Ils craignent que le Patriarche devienne l’homme de l’ouverture sachant en effet qu’il n’existe aucun contentieux entre le Liban et Israël. Le problème des fermes de Chebaa  peut être réglé en une journée par des diplomates chevronnés prêts à des concessions mutuelles. 
Le cardinal envisage un axe Israéliens-Chrétiens pour donner un nouveau sens à la présence chrétienne au Liban et la raffermir. Les analystes politiques parient cependant sur un nouvel état d’esprit qui ferait avancer le dialogue inter-religieux au Proche-Orient.



3 commentaires:

AMMONRUSQ a dit…

Que cette région est compliqué,toutefois il serait bon que cette visite qui pour moi ne représente rien,fasse en sorte que le rapprochement attendu ou souhaiter se fasse !

Marianne ARNAUD a dit…

Cher monsieur Benillouche,

J'avais cru comprendre que ce week-end, c'était le Pape François qui se rendait en Terre Sainte pour mettre ses pas dans ceux de Jésus.
Bien sûr je n'ai pas imaginé une seconde que ce serait une promenade de santé. Mais de là à imaginer que le plus important serait la présence du patriarche maronite libanais Raï - dont je n'avais, à ce jour, jamais entendu parler - et que cette présence devrait éclipser celle du Pape en Israël !
A part cela je n'ai malheureusement pas compris grand chose à cet article au tour, disons... un peu byzantin !
Ce n'est évidemment nullement un reproche mais plutôt la manifestation d'un sentiment de dépit de me trouver face à mes propres insuffisances.

Très cordialement.

Marc a dit…

Bonjour,

Le geste du Pape François priant sur la barrière de sécurité - "le mur de la honte" soit disant - imitant Jean-Paul II au Kotel.

sympa comme geste pour un séjour diplomatique!! ramenant ainsi par cette symbolique fallacieuse le mur des lamentations au mur de séparation...Quelle honte!


on finira par croire que les "vrais juifs" d’Israël sont les seuls palestiniens.

Remarquez avec des israéliens comme Shlomo Sand et ces livres qui réfutent l'existence du peuple juif et de l'état d’Israël, c'est finalement un juste retour des choses.

Je remercie donc les juifs antisionistes (religieux compris) de part le monde pour leur humble contributions à la délégitimation d’Israël

J'attends votre commentaire ou article M Benillouche avec impatience...