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mercredi 7 septembre 2022

Déformation par Claude MEILLET

 

DÉFORMATION


Par Claude MEILLET

 

Le ciel par-dessus le toit

          Le discours de cette amie, juste revenue de vacances dans sa douce France disait-elle, faisait irrésistiblement résonner dans son esprit, la complainte du poème de Verlaine, «Le ciel est par-dessus le toit», Mon Dieu, Mon Dieu, la vie est là /Simple et tranquille / Cette paisible rumeur là / Vient de la ville. Tout concourt à la déformation, avait-elle lancé, pour commencer. La France en déshérence, à la dérive morale, sécuritaire, économique, sociale, un Israël à feu et à sang, pays de guerre et d’apartheid, la jeunesse aculturée, sans idéal, jouisseuse, l’apocalypse climatique à nos portes…. Alors qu’en réalité, La France en dépit de ses difficultés indéniables garde sa plénitude. Israël reste en pointe dans de nombreux domaines, en dépit de ses déséquilibres économiques et moraux. La jeunesse affronte sans peur tous les défis modernes, en dépit de ses dérèglements. L’accélération de la crise climatique stimule les comportements responsables…. La vie, la vraie vie, en dépit de ses douleurs garde ses joies, loin de la déformation dantesque de sa représentation.



        Nul besoin de se gargariser du monde à venir du Metavers. La réalité décrite est déjà virtuelle. Et en rien vertuelle, osa-t-elle, pour bien enfoncer le clou. Les médias sont les premiers coupables. Le drame est leur nourriture favorite. Le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur, est précipité sans interruption dans un univers enchainant les grands drames les uns aux autres, éclipsant totalement le courant de la vie, ses aventures et ses plaisirs. Ah, la longue litanie des journaux télévisés désespérants !

Le personnel politique n’est pas loin derrière. La dramatisation, si commode, justifie le vide et les excès, servant de cache-sexe au creux de l’argumentaire. Mais le règne véritable est celui de la caricature. Non pas pour révéler la vraie nature des hommes et des idées, mais au contraire pour déformer, ridiculiser, dénigrer l’adversaire. De façon plus générale, laisser du temps au temps disparait du vocabulaire et des pratiques. La véhémente amie osa encore Nous sommes dans l’immédiatisation.  L’actualité noie la réflexion dans un espace de temps de plus en plus court. Une invention verbale qui ramena Verlaine à l’esprit de Jonathan. Le ciel est par-dessus le toit / Si bleu, si calme ! / Un arbre, par-dessus le toit / Berce sa palme.

La mise en perspective des évènements est remplacée par l’accumulation, une nouvelle catastrophe se superposant à la précédente, l’envoyant systématiquement dans les trous noirs de la mémoire. La vie devient une histoire, pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot, telle que Shakespeare l’avait déjà relevé. Et, cerise sur ce gâteau amère, la simplification extrême de représentation de la réalité, émascule la vie de la complexité qui, pourtant, en fait toute la richesse.

Que faire? … Le silence abyssal qu’opposa Jonathan à cette interrogation qui lui apparaissait, elle aussi, plus virtuelle que réelle, permit à la brune amie de reprendre le fil, tel qu’elle le souhaitait à l’évidence.  Eh bien, sortir de ce labyrinthe de glaces déformantes. Ne pas se laisser impressionner par l’image qui allonge démesurément, par celle qui tasse et écrase. Savoir ramener à ses vraies proportions l’idée, le fait, la personne que l’image distord, gondole et rend méconnaissable. Avec précaution mais obstination, trouver le chemin qui mène vers la lumière de l’extérieur. C’est-à-dire vers la vraie réalité des choses et des gens. Autant métro-boulot-dodo, qu’une mère et son enfant, la balade dans un champ de fleurs….



Sortir de l’étouffement de la médiatisation. Garder à proportion les évènements mondiaux qu’on veut nous imposer par rapport aux évènements de notre vie quotidienne, familiale, professionnelle. Garder en conscience l’épidémie Covid, la guerre d’Ukraine, les excès climatiques, la menace Trumpienne, la fusée raciste zemourienne, le conflit Israël/Gaza, mais aussi les images somptueuses de l’univers par le télescope spatial James-Webb, les nouveaux traitements anti-cancer, les récentes découvertes archéologiques, la résurrection miracle de Nadal, les Accords d’Abraham, sans laisser disparaître l’un après l’autre ces éléments, habituellement dévorés par le monstre «actualité».

En fait, dit la jeune femme, il s’agit d’identifier cette déformation de la réalité vivante par la force d’imposition des médias, du monde politique, de la modernité galopante. Et de la combattre. En réintroduisant la réalité humaine. Ramener les choses à hauteur d’homme, dit Jonathan, tout heureux de participer, ultimement, à cette sauvegarde de la vision réelle. Bonheur vite douché par la rectification, implacable : les choses à hauteur de femme, plutôt.

Il ne lui restait plus qu’à se réfugier dans la musique paisible des vers de son cher Verlaine. Paraphrasant la lamentation finale du poème, Dis, qu’à-tu fait, toi que voilà / Pleurant sans cesse, / Dis, qu’a-tu fais, toi que voilà, / De ta jeunesse ? il se demanda, intérieurement, ce qui restait de notre lucidité personnelle. De notre capacité individuelle à connaître, apprécier la vie réelle. À résister au rouleau compresseur des strates de fausse vie que les forces externes nous assènent. Un autre de ses référents, Pierre Dac, lui apporta un début de réponse. Si la matière grise était plus rose, le monde aurait moins les idées noires.

 

3 commentaires:

Véronique ALLOUCHE a dit…


Excellent article et tellement vrai. Nous sommes conditionnés et croyons à tort à notre liberté de penser.
Paroles d’Alain Souchon de la chanson « Foule sentimentale ». Dernier couplet :
…Foule sentimentale
On a soif d'idéal
Attirée par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle.

Georges Kabi a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Jonathan a dit…

Jonathan remercie Véronique pour apporter Alain Souchon en renfort poétique de sa théorie et se réjouit d'apprendre qu'on pouvait même trouver un génie chez les Jonathan. C'est Kabi qui l'a dit.