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dimanche 25 septembre 2022

Pour ou contre par Claude MEILLET

 

POUR OU CONTRE


Par Claude MEILLET

La justice
          Il s’attendait au pire. Proposer au groupe de consacrer une séance à une réflexion politique lui apparaissait une gageure parfaitement suicidaire. Le rabâchage permanent, la vacuité argumentaire, l’obscurantisme nombriliste, le rabougrisme idéologique, l’envahissement médiatique, tous les composants du théâtre politicard lui semblaient conduire droit au ras-le-bol généralisé. Cependant, envers et contre-tout, la radicalité de son constat lui apparaissait valoir prendre son risque. Et, à sa grande surprise, il eut raison. L’angle d’attaque proposé répondait de fait à un autre sentiment général. Le rejet de la caricature, du tous contre tous, de l’anathème réciproque, du simplisme injurieux. Qui tous, passaient à côté des vrais défis, majeurs, concrets, universels, urgents.


Le contre politique


Son constat ? Partout dans le monde, le monde de la politique est le monde du «contre». La peur. Peur du futur. Peur de perdre son job. Peur des autres. Peur du nouveau. La peur. Qui fait que, face à un monde grand ouvert, le monde politique oppose le statu quo au changement, bloque la réforme, dénigre l’imagination, assèche l’innovation. Il ne s’agit pas de jouer à qui est contre le ‘’contre’’. Mais de sortir du piège. Pour entrer, enfin, dans le jeu du ‘’pour’’.

Il illustra son exorde à travers l’énoncé du cas détonateur, tout chaud. Purement israélo-israélien. Le conflit Israël/Palestine pourrit dans son jus depuis 70 ans. Mijotant depuis la mort de Rabin dans l’aveuglement bigot des deux camps, le terrorisme et l’occupation, la dramaturgie humaine, morale, la misère et la souffrance. Dans l’absence de perspectives, d’initiatives, de visions. Et il suffit de l’évocation, enfin, de la résurgence d’une solution, celle des deux États, pour qu’une levée quasi unanime des camps politiques se dresse, immédiatement, contre cet attentat : l’évocation d’une solution. Prenant une nouvelle fois ses risques, Jonathan déclara Jouer le pour. Pour qu’enfin, une solution soit mise sur la table, décortiquée, précisée, encadrée, débattue, combattue, affinée. Qu’une chance soit offerte à la paix. Pour qu’enfin, les lignes bougent.

La faim


À son grand soulagement, aucun hurlement ne retentit au sein du groupe, attentif. Au contraire le relais fut pris instantanément. Une participante se leva en votant, dit-elle, pour le pour. Elle aussi, à partir d’une actualité brulante. Elle venait de lire simultanément que des chercheurs israéliens avaient créé un nouveau type d’algues, extrêmement nourricières, et que la faim contribue à la mort d’un être humain toutes les quatre secondes. Quelle superbe opportunité pour quelque parti politique que ce soit ! S’emparer de cette conjonction pour projeter Israël dans le rôle de protecteur de la vie universelle ! Soudain, la reprise par le politique de l’aptitude unique de la recherche scientifique israélienne à produire des solutions aux malheurs et handicaps du monde, devint le levier magique du pour. Extrayant Israël du carcan de son image de prédateur pour lui faire reconquérir une position d’initiateur du nouveau monde. Jonathan vit le pour devenir programme politique. Pour la guerre. Mais la guerre au défi climatique. Pour le combat. Mais le combat contre la débâcle écologique. Sans considération de ligne verte.  Pour le rééquilibrage économique et financier entre riches et pauvres. Et le rééquilibrage entre religieux et laïques. Pour la refonte du système éducatif. Pour éradiquer la sous-alimentation des jeunes. Pour la réhabilitation des minorités. Pour la protection des institutions juridiques…. N’en jeter plus, la coupe est pleine, protesta faussement Jonathan.

Il vit alors, sans temps de répit, le vent du ‘’pour’’ élargir son territoire. La houtzpa israélienne, transforma chaque membre du groupe en un Être-Monde, tel qu’un récent essai philosophique l’a défini : partie-prenante des problèmes du globe et de l’univers. Pourquoi laisser l’univers politique figer le monde dans des oppositions de blocs ? Un monde assez grand pour qu’y cohabitent deux systèmes, chinois et américain. Avec leurs défauts et leurs qualités. Qui auraient tous deux intérêts à une collaboration productive plutôt qu’à une confrontation stérilisante. Pourquoi, même, ne pas imaginer une solution de sortie honorable de sa folie obsessionnelle à un imprévisible Wladimir Poutine, en parallèle à l’action punitive déployée ? L’enthousiasme du pour s’étendit à la résolution des problèmes internationaux. Régulièrement évoqués, trémolos dans les voix et régulièrement mis sous le boisseau. L’éradication de la faim dans le monde, la défense des droits de la femme dans la moitié du monde où elle reste bafouée, l’élimination du travail et de l’exploitation des enfants. La véritable faim du pour se propagea jusqu’aux pays si pudiquement dénommés en voie de développement. Pour que les pays développés, eux, oublient leur égoïsme absurde et servent autant leur intérêt que ceux de ces pays, en partageant leurs savoir-faire, leurs techniques, leurs capacités en matière de santé, d’éducation, d’industrialisation….

Craignant de provoquer finalement, un catalogue à la Prévert des bonnes intentions, Jonathan, un peu débordé par un succès inattendu, reprit la main. Faire résonner l’angélus du pour ne veut pas dire ne pas tenter de raisonner l’angélisme. Sa propre surprise à la sortie de cette formule, eut le mérite déclencher le rire dans l’assistance. Contribuant ainsi à rafraîchir le courant d’optimisme peut-être un peu trop vif. Sans l’avouer ouvertement, il se sentit malgré tout, conforté dans sa réaction initiale. La contagion du contre politique sur le citoyen, lui semblait maintenant moins irrépressible qu’il ne le craignait. Comme la banalité du mal d’Hanna Arendt, la banalité du contre perdait son caractère systématique quand il rencontrait l’envie d’avenir de chaque individu.

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