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dimanche 18 septembre 2022

Meute par Claude MEILLET

 

MEUTE


Par Claude MEILLET



Meute ! Le monde est meute !! Shalom, l’habituel provocateur, s’était levé, au milieu du groupe de nouveau assemblé, pastichant de sa voix sonore la chanson culte de Starmania. Il avait prévenu Jonathan, le thème dont il souhaitait faire débattre ce groupe, était celui-là, la meute. Sa préscience, chez lui, s’était imposée conscience sous l’effet des affrontements stéréotypés, répétitifs, caricaturaux de cette nième élection israélienne. Aucune chance que la comédie se renouvelle ! Car, répéta-t-il, Le monde est meute. Les espèces animales, végétales mêmes, et, bien sûr, humaines, ne vivent qu’en meutes. Lévi-Strauss, toujours lui, nous a prévenus. Les Bororos ne se mélangent pas aux Araras.


Manif politique


Mais, reprit-il d’un ton soudainement modéré et faussement dubitatif, Houellebecq nous dit autre chose. Il lut lentement un papier qu’il sortit magiquement de sa poche arrière. «On pourrait exister en tant que membre d’une communauté mais l’injonction contemporaine est de s’en extraire. L’individualisme conduit à l’isolement et force les individus à devenir singuliers, à se distinguer pour exister». Alors, lança-t-il, redevenu grandiloquent, qu’est-ce que vous me dites de cette quadrature du cercle ?

Le premier temps fut celui du silence pesant, des yeux écarquillés ou des échanges de regards, des caresses de mentons. Et la première réaction provint de la sévère prof de Lettres. Probablement sous le sentiment qu’on chassait sur ses propres terres. Car il s’agissait là, de LA question dont la littérature, le théâtre, traitaient fondamentalement. To be or not to be. Être soi-même ou rester l’élément d’un tout. Rastignac veut sortir de son groupe social. Gide vomit sa famille. «Famille, je vous hais». Houellebecq/Shakespeare, même combat : l’individu doit se distinguer pour exister.

La réaction à la réaction ne se fit pas attendre. Car, opposa un jeune participant en se levant pour renforcer sa position, la vie en meute est la loi de la vie. C’est vrai qu’en Israël, comme ailleurs, la droite, la gauche, le centre, ici les religieux et les laïcs, se renvoient à la figure des discours immuablement standards. Mais, heureusement. Le citoyen peut choisir. Sinon il serait face à un tohubohu d’opinions., un capharnaüm impénétrable. La famille reste l’unité collective la plus attachante. Dans le monde entier. Le jeune homme reçut le renfort immédiat du gendarme, en short, et sandales, débraillé comme tout le monde. La vie en meute est une vie de nature. Il y a la meute professionnelle. Celle des gendarmes. Qui affronte celle des bandits. La meute des Français du mois d’août dit-il en clin d’œil. Une nouvelle voix s’éleva pour surenchérir. La meute, c’est la solidarité, la sécurité, la spontanéité. L’individu, c’est l’isolement, les sept péchés capitaux, le chacun pour soi !!

Shalom, sentant affleurer le sang de la polémique, lança sa flèche : Meute 1, Individu 0. Avec un succès immédiat. Meute veut dire solidarité. Tout-à-fait exact. Mais à l’exemple de la solidarité qui règne dans la population arabe. Une solidarité clanique. Soudant la famille agrandie. Mais exclusive. Ne s’étendant pas à la communauté tout entière. Conduisant à l’immobilisme municipal. C’était là, la chercheuse en science sociale qui s’exprimait. La meute, c’est aussi le rejet. Qui fait qu’aussi en politique, la règle devient l’anathème. Bête et méchant. Qui, de fait, prive le citoyen d’une confrontation dépassionnée, rationnelle. Le vieux libraire, participa à l’halali. Sans compter, le boulevard qu’ouvre à la logorrhée de meute les trop tentants réseaux sociaux. Tombereaux d’insanités, théories partagées de complots, fausses nouvelles se succèdent en tirs groupés. Avec aussi, ce que cela entraîne de discours obligés, d’adhésion automatisée à une autorité, de favoritisme, de flagorneries.

Trop plein d’arguments à charge de la meute pour que le retour de bâton ne se manifeste pas. La liberté de penser, elle est bien du côté de l’individu. Le plus souvent contre la pensée obligée de la communauté, s’indigna la toute blonde coiffeuse. D’où provient le flux permanent de progrès qui envahit tous les domaines d’activité, interrogea à son tour, l’informaticien de choc, habitué du groupe ? De l’initiative et l’imagination personnelles, augmentée par l’effacement des frontières entre meutes justement. La famille constitue le socle d’épanouissement de la vie collective, mais elle ne s’épanouit que dans la réussite de chacune des vies individuelles qu’elle recouvre, finit par dire le libraire.

Tout heureux d’avoir, à la fois soulevé le lièvre de la confrontation entre meute et individu, et d’avoir soulevé les braises d’un débat enflammé, Shalom, resté debout pendant la durée de la discussion, se rassit, large sourire aux lèvres. Jonathan eut beau jeu à faire valoir combien ce moment de joute au sein de leur groupe illustrait de parfaite façon la vie en meute sous stimulation de l’irrévérence personnelle. Et, un peu contaminé par le goût de la provocation, il ne put s’empêcher d’ajouter au climat d’interrogation que Shalom avait joyeusement initié, en reprenant une des maximes favorites de Mark Twain, «Les deux jours les plus importants de votre vie, sont le jour où vous êtes né, et le jour où vous découvrez pourquoi».

 

1 commentaire:

Véronique ALLOUCHE a dit…

« Mais, heureusement. Le citoyen peut choisir. » est-il dit dans le texte.
Choisir entre qui et quoi? Entre l’illusion de beaux discours qui promettent des lendemains qui chantent alors que le pays s’enfonce dans un libéralisme forcené?
« Qu’un chien aboie et la meute suit. »
Comme partout. Comme toujours.