Le ciel par-dessus le toit |
Le personnel politique n’est pas loin derrière. La dramatisation,
si commode, justifie le vide et les excès, servant de cache-sexe au creux de
l’argumentaire. Mais le règne véritable est celui de la caricature. Non pas
pour révéler la vraie nature des hommes et des idées, mais au contraire pour
déformer, ridiculiser, dénigrer l’adversaire. De façon plus générale, laisser
du temps au temps disparait du vocabulaire et des pratiques. La véhémente amie
osa encore Nous sommes dans l’immédiatisation. L’actualité noie la réflexion dans un espace
de temps de plus en plus court. Une invention verbale qui ramena Verlaine à
l’esprit de Jonathan. Le ciel est par-dessus le toit / Si bleu, si
calme ! / Un arbre, par-dessus le toit / Berce sa palme.
La mise en perspective des évènements est remplacée par
l’accumulation, une nouvelle catastrophe se superposant à la précédente, l’envoyant
systématiquement dans les trous noirs de la mémoire. La vie devient une
histoire, pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot, telle que
Shakespeare l’avait déjà relevé. Et, cerise sur ce gâteau amère, la
simplification extrême de représentation de la réalité, émascule la vie de la
complexité qui, pourtant, en fait toute la richesse.
Que faire? … Le silence abyssal qu’opposa Jonathan à cette
interrogation qui lui apparaissait, elle aussi, plus virtuelle que réelle, permit
à la brune amie de reprendre le fil, tel qu’elle le souhaitait à l’évidence. Eh bien, sortir de ce labyrinthe de glaces déformantes. Ne pas se laisser impressionner par l’image
qui allonge démesurément, par celle qui tasse et écrase. Savoir ramener à ses
vraies proportions l’idée, le fait, la personne que l’image distord, gondole et
rend méconnaissable. Avec précaution mais obstination, trouver le chemin qui
mène vers la lumière de l’extérieur. C’est-à-dire vers la vraie réalité des
choses et des gens. Autant métro-boulot-dodo, qu’une mère et son enfant, la balade
dans un champ de fleurs….
Sortir de l’étouffement de la médiatisation. Garder à proportion
les évènements mondiaux qu’on veut nous imposer par rapport aux évènements de
notre vie quotidienne, familiale, professionnelle. Garder en conscience l’épidémie
Covid, la guerre d’Ukraine, les excès climatiques, la menace Trumpienne, la fusée
raciste zemourienne, le conflit Israël/Gaza, mais aussi les images somptueuses
de l’univers par le télescope spatial James-Webb, les nouveaux traitements anti-cancer,
les récentes découvertes archéologiques, la résurrection miracle de Nadal, les
Accords d’Abraham, sans laisser disparaître l’un après l’autre ces éléments,
habituellement dévorés par le monstre «actualité».
En fait, dit la jeune femme, il s’agit d’identifier cette déformation de
la réalité vivante par la force d’imposition des médias, du monde politique, de
la modernité galopante. Et de la combattre. En réintroduisant la réalité
humaine. Ramener les choses à hauteur d’homme, dit Jonathan, tout heureux
de participer, ultimement, à cette sauvegarde de la vision réelle. Bonheur vite
douché par la rectification, implacable : les choses à hauteur de femme,
plutôt.
Il ne lui restait plus qu’à se réfugier dans la musique paisible
des vers de son cher Verlaine. Paraphrasant la lamentation finale du poème, Dis,
qu’à-tu fait, toi que voilà / Pleurant sans cesse, / Dis, qu’a-tu fais, toi que
voilà, / De ta jeunesse ? il se demanda, intérieurement, ce qui
restait de notre lucidité personnelle. De notre capacité individuelle à
connaître, apprécier la vie réelle. À résister au rouleau compresseur des
strates de fausse vie que les forces externes nous assènent. Un autre de ses référents,
Pierre Dac, lui apporta un début de réponse. Si la matière grise était plus
rose, le monde aurait moins les idées noires.
3 commentaires:
Excellent article et tellement vrai. Nous sommes conditionnés et croyons à tort à notre liberté de penser.
Paroles d’Alain Souchon de la chanson « Foule sentimentale ». Dernier couplet :
…Foule sentimentale
On a soif d'idéal
Attirée par les étoiles, les voiles
Que des choses pas commerciales
Foule sentimentale
Il faut voir comme on nous parle
Comme on nous parle.
Jonathan remercie Véronique pour apporter Alain Souchon en renfort poétique de sa théorie et se réjouit d'apprendre qu'on pouvait même trouver un génie chez les Jonathan. C'est Kabi qui l'a dit.
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