Le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian |
L’annonce d’un cessez-le-feu accablant, qui consacre les victoires
militaires azerbaïdjanaises dans le Haut-Karabagh après six semaines de combats
meurtriers, est un revers majeur pour l’Arménie. Sans l’intervention de Poutine,
qui a sifflé la fin de partie, la victoire de l’Azerbaïdjan sur les Arméniens
aurait été totale, après la chute de Chouchi, joyau et haut lieu de la culture
arménienne avec sa cathédrale de Ghazanchetsots.
Cathédrale de Ghazanchetsots |
La prise de Chouchi, ville stratégique située à 15 kilomètres de Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh, a sonné le glas des espoirs arméniens. D’immenses convois de civils fuient désormais. Des milliers d’habitants du Haut-Karabagh (femmes, enfants, vieillards) se réfugient en Arménie voisine. Sur les 150.000 habitants du Haut-Karabakh, 90.000 personnes sont déjà réfugiées en Arménie. Les civils sont les grands perdants : certains ont perdu la vie, d’autres des proches, et pour la plupart leur maison et tous leurs biens. Les Arméniens ne reviendront pas vivre dans leurs maisons, sauf un immense mouvement patriotique peu probable aujourd’hui. Cette guerre aurait fait plus de 5.000 morts avec plus de 1.300 morts arméniens (le nombre de morts azerbaïdjanais n’est pas indiqué).
Des portraits d’Arméniens morts dans le conflit au Haut-Karabakh |
L’accord de
cessez-le-feu
Nouvelles lignes |
L’accord de cessez-le-feu au Haut-Karabakh
signé le 9 novembre 2020 à Moscou, entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie sous
l’égide de la Russie - maître du jeu dans le Caucase du Sud- entérine la
victoire militaire azerbaïdjanaise. L’Azerbaïdjan annexera les parties de la République
d’Artsakh capturées par son armée, le nord, le sud et une partie de l’est du
Haut-Karabagh. Des casques bleus russes seront stationnés dans la partie
restante. En effet, la Russie déploie sur place 2 000 soldats de la paix ainsi
que 90 blindés pour garantir la sécurité des Arméniens du Karabagh, s’il en
reste ! Les soldats russes seront présents sur la dernière ligne de
contact du front et le long du corridor de Latchine qui relie le Karabagh à
l’Arménie.
Karabagh : Une colonne de véhicules blindés russes |
Mais le principal gain pour Ankara se trouve dans la clause 9 de l’accord
de cessez-le-feu, qui engage l’Arménie à mettre en place un «corridor»
pour permettre tous les déplacements de véhicules à travers son territoire
entre sa frontière avec l’Azerbaïdjan et l’enclave azerbaïdjanaise du
Nakhitchevan qui est frontalière de la Turquie. Cet axe qui longera la
frontière iranienne coupera l’Arménie de l’Iran, son principal partenaire
énergétique. Ainsi se réalise en partie le rêve
néo-ottoman de jonction des territoires turcs et azerbaidjanais. Le bouchon
arménien a sauté ! De sorte qu’il existe désormais une liaison terrestre
directe d’Istanbul à la mer Caspienne et, au-delà, vers les régions
turcophones d’Asie centrale : Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan,
Kirghizistan. C’est la fête à Bakou.
Scènes de liesse à Bakou |
La nouvelle a déclenché des scènes de joie
en Azerbaïdjan, le président Ilham Aliev se réjouissant d'une «capitulation»
arménienne. Tout le pays a vécu une authentique ferveur populaire. Extrait de la déclaration de victoire du président
azerbaïdjanais, Ilham Aliev, à la télévision : «Nous avons forcé [le premier
ministre arménien] à signer le document, cela revient à une capitulation. J’avais
dit qu’on chasserait [les Arméniens] de nos terres comme des chiens, et nous
l’avons fait».
Des manifestants devant le Parlement arménien à Erevan |
Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a annoncé la
signature «incroyablement douloureuse pour moi et pour notre peuple» du
cessez-le-feu. Il avait en effet le choix entre le cercueil ou la valise et a
opté pour la valise. Les Arméniens constatent avec amertume leur échec. À
Erevan, capitale de l’Arménie, le siège du gouvernement et le Parlement ont été
envahis par des émeutiers en colère. Les partis d’opposition ont qualifié cet
accord de «page la plus honteuse de l’histoire arménienne» et réclamé la
démission de Pachinian.
L’Ouest est marginalisé
La France et les Etats-Unis, qui co-président avec la Russie le «groupe de Minsk», constitué depuis plus de vingt-cinq ans pour mettre un terme au conflit, seront restés aux abonnés absents au cours de cet épisode crucial. La France qui se dit très liée à l’Arménie, a été inexistante malgré ses grandes déclarations d’amitié. Plus surprenant encore, le mutisme des chrétiens de France comme CDM Chrétiens de Méditerranée ou L’Oeuvre d’Orient… qui sont restés bien silencieux. Mais Erdogan ne chôme pas et annonce que «L’appel à la prière sera de nouveau lancé» à Choucha (nom azéri de Chouchi). Dans la Cathédrale de Ghazanchetsots ? transformée en mosquée comme Sainte Sophie d’Istanbul.
L’Artsakh,
terre arménienne depuis des millénaires méritait pourtant de vivre séparée de
l’Azerbaïdjan. Son petit peuple martyrisé il y un peu plus d’un siècle, par les
maîtres de la Turquie s’est battu à nouveau pour sa survie.
Dans mon ouvrage – «Suis-je le gardien de mon frère ? La tragédie des
Chrétiens d’Orient» (aout 2019) qui a fait l’objet d’une recension de Jacques
Benillouche sur ce blog, je décris les trois importantes communautés
chrétiennes d’Orient qui ont survécu à ce jour, en Arménie au Liban et en Égypte.
Les deux premières sont en danger aujourd’hui.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire