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dimanche 23 septembre 2018

L'étrange modération de Poutine après l'incident de l'IL-20



L'ÉTRANGE MODÉRATION DE POUTINE APRÈS L’INCIDENT DE L’IL-20

Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright ©  Temps et Contretemps

            

Ilyushin-20


          Différentes versions ont été diffusées après la chute, à 35kms du littoral syrien, du quadrimoteur Ilyushin-20, avion de renseignement russe, entraînant la mort des 15 membres d’équipage. La toute première version accusait Israël d’être à l’origine de la frappe. Mais les thèses russe et syrienne ont évolué en raison de la présence de bâtiments étrangers dans la zone, témoins neutres de la scène. 




          Dans un premier temps, le ministère russe de la Défense avait laissé entendre que la frégate française multi-missions (Fremm) Auvergne avait tiré des missiles au moment de la disparition d’un de ses avions de renseignement : «Parallèlement, les radars du contrôle aérien russe ont détecté des tirs de roquettes à partir de la frégate française Auvergne repérée dans ce secteur». Le porte-parole de l'armée française, le colonel Patrick Steiger, a nié toute implication de la France.



Le porte-parole du ministère russe de la Défense, Igor Konachenkov a ensuite accusé les F-16 israéliens d’avoir utilisé l’avion de renseignement russe comme couverture en créant «délibérément une situation dangereuse pour les navires de surface et les aéronefs». Il a promis une «réponse adéquate à un geste hostile» mais paradoxalement il a déchargé la défense aérienne syrienne de toute responsabilité. Il a ensuite estimé qu'Israël avait intentionnellement négligé de prévenir à temps la Russie de l'attaque imminente alors que les frappes aériennes sont régulièrement coordonnées entre les armées russe et israélienne : «Une alerte de ligne directe a été reçue moins d'une minute avant la frappe, ce qui n'a laissé aucune chance de mettre l'avion russe en sécurité». En dépit du fait que les Israéliens et les Russes poursuivent des objectifs différents et incompatibles en Syrie, ils ont systématiquement coordonné l’espace aérien syrien pour éviter les confrontations militaires directes entre leurs forces. 

Cet incident, qui pouvait avoir des conséquences gravissimes pour Israël, a conduit l’État-major israélien à donner, contrairement à ses habitudes, sa propre version technique de ses frappes contre un site militaire syrien à Lattaquié, dans la nuit du 17 au 18 septembre. Selon le porte-parole de Tsahal, le général Ronen Manelis, «Israël avait effectué des frappes aériennes contre des armes iraniennes stockées en transit vers les forces du Hezbollah au Liban. Ces armes étaient destinées à attaquer Israël et constituaient une menace intolérable contre elle». 


Carte explicative du trajet de l'IL-20


On peut faire grief à Israël d’avoir opéré trop près des bases russes mais les Iraniens ont procédé au transfert d’un armement sensible en utilisant le parapluie russe. En effet, quatre F-16 israéliens ont bombardé quatre cibles distinctes à proximité immédiate de l’aéroport de Hmeimim, où sont basés les avions militaires russes depuis septembre 2015 avec le risque effectif de toucher des troupes russes, directement ou indirectement. Mais Tsahal a toujours fait en sorte de ne jamais mettre pas en danger la vie des militaires russes.

L’État-major israélien a pris l’initiative, contrairement à ses habitudes, de fournir ses informations secrètes prouvant que les appareils n’étaient plus dans la zone quand le système syrien de défense aérienne S-200 a tiré. Il a révélé qu’une opération multinationale plus importante se préparait. Les radars ont suivi les avions de la Royal Air Force britannique, qui, exceptionnellement, avaient allumé leurs transpondeurs, dispositifs électroniques qui émettent une réponse quand ils reçoivent une interrogation par radio, étaient entrés dans des positions d'attente, sans doute pour éviter d'être impliqués dans l'échange de feu à Lattaquié.


Frappes israéliennes

 Cela a donc poussé Vladimir Poutine à adopter une position modérée d'abord en blâmant du bout des lèvres Israël puis en précisant que la destruction de l'avion russe n'était pas délibérée et serait due à «un enchaînement de circonstances accidentelles tragiques car aucun avion israélien n’a abattu notre avion»; une manière diplomatique claire pour éviter toute brouille avec Israël.  Il a explicité sa propre «réponse adéquate» : «En ce qui concerne les mesures de rétorsion, elles viseront avant tout à assurer davantage la sécurité de notre personnel et de nos installations militaires en Syrie. Et ce seront des mesures que tout le monde remarquera». La différence de ton entre le ministère russe de la défense et Poutine suggère que le président russe est convaincu que la mise au point a été faite et que ces circonstances tragiques ne devaient pas perturber les bonnes relations de travail entre la Russie et Israël. A moins qu'il n'ait été informé par ses services de la réalité concernant l'IL-20.



En fait une autre version, étayée par les observations des armées étrangères présentes dans la région, tendent à prouver que l’avion a disparu des écrans radars quelques instants avant les raids israéliens. Il n’aurait pas été frappé par un missile mais il aurait été victime d’une défaillance technique car il s’agit d’un avion ancien datant de 1968. L'équipage a peut-être mal manœuvré dans la panique pour échapper à la zone de turbulence des missiles. 

La cause définitive de la chute de l’IL-20 ne sera déterminée que lorsque l’épave aura été retrouvée. Encore faut-il que la Russie fasse l’effort de mettre en œuvre ses moyens techniques de récupération. L’aviation russe a connu dans le passé de nombreux accidents techniques. Lors du dernier, en février 2018, un Antonov russe s'est écrasé près de Moscou avec 71 personnes à bord, peu après son décollage de l'aéroport Domodedovo entraînant la mort de 65 passagers et de 6 membres d’équipage.

        Par ailleurs, un hélicoptère russe de type MI-24 s'est écrasé le 31 décembre 2017 à 15kms de la base militaire de Hama. Le ministère de la défense avait alors évoqué une «défaillance technique alors que l'hélicoptère tentait un atterrissage difficile». 


Hélicoptère MI-24

Cela pourrait justifier pourquoi ni Israël et ni la Syrie n’ont été blâmés. Poutine sait qu’au cours des sept années du conflit syrien, l’objectif de Tsahal a été de maintenir sa capacité de frapper les cibles iraniennes ou liées au Hezbollah en Syrie, tout en maintenant le chaos de la guerre civile et ses nombreux ennemis le plus loin possible de ses frontières. Le gouvernement israélien n’a jamais soutenu une quelconque partie dans le conflit. Il n’a jamais été question, a fortiori, de s’attaquer aux forces russes.

L’affaire de l’IL-20 va être certainement enfouie dans les archives historiques de l’aviation russe. L’important pour Tsahal est que la Russie n’ait pas remis en cause sa capacité d’intervention en Syrie parce que Poutine veut conserver sa position d’arbitre dans le conflit syrien. Il peut difficilement condamner un tir ami contre ses avions ou reconnaître la défaillance technique de son aviation vieillie. Alors qu’il avait réagi avec vigueur lorsqu’un bombardier Su-24 russe avait été abattu par l’armée de l’air turque en novembre 2015, sa réaction fait preuve d’un contraste frappant. Il a dû être convaincu par les explications israéliennes que «la défense antiaérienne syrienne a procédé à des tirs indiscriminés sans prendre garde à la présence d’avions russes dans le ciel».



Le ton modéré de Vladimir Poutine donne à penser que Benjamin Netanyahou a su le convaincre de conserver le statu quo qui permet à Israël d’agir librement contre l’Iran et le Hezbollah en Syrie. Par ailleurs, admettre l’accident technique au lendemain du grand spectacle des imposantes manœuvres russo-chinoises Vostok 2018 qui viennent de s’achever sur le polygone militaire de Tsougol, dans la région sibérienne de Baïkal, fait désordre. L’incident est donc clos.


5 commentaires:

Philippe BLIAH a dit…

On ne peut demander a Poutine de faire la guerre... a la Syrie. Il sait a qui il a a faire avec les Syriens et cela s'appelle pour lui de la Realpolitik.

Gilbert BRAMI a dit…

Poutine a certainement déduit que l'envoi du missile syrien sur l'IL-20 Russe a été fait délibérément. Que c'était une manoeuvre de Damas ou de l'Iran pour créer un incident avec l'Etat nation Juif-Israël !

Robert MAUSS a dit…

c'est un peu normal quand même: des armes russes, des servants parait-il syriens (et peut être russes) ... des alliés des russes édifiant des usines d'armes sous technologies russes ... On va dire qu'un minimum de réserve s'impose

Anonyme a dit…

"l’État-major israélien à donner, contrairement à ses habitudes, sa propre version technique"

Ce n'est pas le fond qui est important (c'est la faute aux Syriens, les armes russes ou le mauvais état de l'avion...), c'est la forme : les Israéliens se sont sentis obligés d'anticiper les demandes et se justifier.
Le rapport de force est favorable à Poutine ; les Israéliens ne feront pas mine de l'ignorer.
Si ce n'était pas le cas, s'ils étaient étranger à ce drame, jamais ils n'auraient daigné commenter.

Amike

The Old Dreamer a dit…

Moi, cela me rappelle le Mikado