LA RUSSIE DEVIENT ENVAHISSANTE AU MOYEN-ORIENT
Par
Jacques BENILLOUCHE
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Tandis
que les candidats français à la présidentielle, François Fillon, Jean-Luc
Mélenchon, Marine Le Pen, mais aussi Emmanuel Macron, prônent des relations
apaisées avec la Russie, Donald Trump s’engage lui-aussi
dans une diplomatie pacifique avec Moscou. Pour le président américain : «
Avoir une bonne relation avec la Russie est une bonne chose. Seuls les gens
stupides, ou les imbéciles penseraient que c’est mal ! Les deux pays devraient
travailler ensemble pour résoudre certains des grands problèmes pressants de ce
monde ». Mais pendant que les Occidentaux manifestent leurs bons
sentiments, la Russie place ses pions au Moyen-Orient dans une indifférence
totale.
Avi Dichter |
Les
Israéliens, qui eux-aussi ont établi des relations chaleureuses économiques et politiques avec la Russie, commencent à se rendre compte qu'elle devient encombrante. Avi Dichter, président de la Commission des affaires étrangères et
de la défense à la Knesset et ancien chef de la sécurité intérieure (Shabak) a
donné son diagnostic imagé et sans nuances : « Ce nouveau voisin n'est
pas venu pour louer un appartement, il est venu se construire une villa ».
Il traduit ainsi les inquiétudes d’Israël face à une présence, sinon une
ingérence, de plus en plus croissante de la Russie dans la région.
Profitant
de sa participation à la signature de l’accord nucléaire avec l’Iran et de son
intervention officielle dans le conflit syrien, Vladimir Poutine a peaufiné son
retour au Moyen-Orient avec l’objectif immédiat d’être l’acteur de la
recomposition politique dans la région. Il est conscient des risques qu’il
prend. Il développe pour cela des relations tous azimuts avec les principaux
acteurs internationaux. Ainsi, il a consolidé le régime du syrien Bachar
Al-Assad, il a opté pour une réconciliation avec le Turc Erdogan et il a renoué
des liens avec le président égyptien Al-Sissi.
Il a aussi décidé d’étendre son
influence en Libye en invitant à Moscou, par deux fois en juin et novembre
2016, le général Khalifa Haftar. Ces entretiens ont été suivis d’envois d’instructeurs
russes à Tobrouk pour aider le pays dans sa lutte contre les islamistes. Il a enfin
fait une entrée remarquée au Maroc, chasse gardée américaine, dans un premier
temps par le biais d’échanges commerciaux et énergétiques.
La
Russie s’est aussi placée en médiatrice au Yémen où la guerre civile fait rage
depuis 2014. Le gouvernement yéménite internationalement reconnu du président Abed
Rabbo Mansour Hadi s'est retrouvé dans l'impasse dans sa lutte contre les
rebelles Houthis, soutenus par Téhéran, dont une partie est restée fidèle à
l'ancien président Ali Abdallah Saleh. Les forces de la coalition arabe, sous
commandement saoudien, soutiennent les troupes gouvernementales depuis mars
2015. Comme la crise syrienne, la guerre au Yémen est un conflit où les
intérêts saoudiens et iraniens sont opposés. La participation de la Russie au règlement du
conflit est bien sûr intéressée alors que le Yémen est devenu un échiquier
global qui réunit plusieurs acteurs géopolitiques éminents. La présence des
pions russes serait bénéfique tant pour la Russie que pour la région.
Conseil du Golfe |
L’Arabie
saoudite et ses alliés du Golfe, déçus par l’attitude américaine de
désengagement total du Proche-Orient, a décidé de prendre langue avec Poutine
qui profite de combler le vide américain. Mais pour l’instant les deux pays
divergent dans leur politique énergétique en ce qui concerne, en particulier, la
fixation des prix et des quotas de production du pétrole.
La
Russie a toujours la prétention de remplacer les États-Unis comme actrice
internationale incontournable. Mais elle n’est pas l’Amérique. Elle n’a pas la puissance économique pour cadrer avec ses ambitions. Elle n’a pas les moyens économiques pour intervenir
simultanément sur plusieurs théâtres internationaux sans mettre en danger sa
propre sécurité interne. En effet, les Russes doivent à présent se préparer à contrer les
djihadistes du Caucase, partis combattre en Syrie, mais qui reviennent au pays pour
continuer leur combat.
Islamistes du Caucase |
Moscou
a décidé d’étendre sa sphère d’influence dans toute la région en faisant jouer
l’illusion de sa puissance militaire, mais aussi diplomatique. Les pourparlers
de paix sur la Syrie, organisés le 23 janvier dans la capitale Astana du Kazakhstan,
prouvent que Poutine est à la recherche d’une stratégie globale dans la région.
Les délégations des rebelles et du gouvernement syrien ont en effet négocié sous
l’égide de la Russie, de la Turquie et de l’Iran.
Vladimir
Poutine tisse la toile politique qui lui permettra de se maintenir durablement
dans la région. Pour cela il se donne les moyens militaires avec la
modernisation de la base de Tartous en Syrie où il s’installe pour au moins 49
ans selon l’accord signé le 20 janvier. Mais il tâtonne sans tracer de projet
final sur ce qu’il compte faire à l’avenir et sur la façon dont sa présence au
Moyen-Orient se traduira. Pour l’instant, il s’agit de naviguer à vue, au gré
des événements et de l’attitude des Occidentaux.
Amiral Kuznetsov |
Les
Israéliens sont suspicieux sur le déroulement de cette introduction en force
des Russes au Moyen-Orient, surtout sur le plan militaire. Ils analysent les
conséquences du déploiement du porte-avions Amiral Kuznetsov dans l'est de la
Méditerranée qui risque de limiter leur puissance militaire dans les opérations
menées en Syrie et au Liban. L’État juif n’a aucune volonté d’ingérence contre
le régime de Bachar al-Assad mais il tient à contrôler le déplacement de tout
armement sophistiqué à destination du Hezbollah. Mais à présent la donne a
changé car il doit compter avec les avions de chasse MiG-29, les hélicoptères
de combat et les 2.000 fusiliers marins russes du porte-avions.
Certaines
informations sécuritaires font état d’un affaiblissement du mécanisme de
coordination entre Moscou et Tel-Aviv au sujet de la Syrie. En conséquence, il
ne fait plus aucun doute que Tsahal a dû revoir sa stratégie à sa frontière
nord. Les Russes, qui s’installent pour une longue durée, doivent alors
prévoir, pour la défense de leurs bases, l’installation d’équipements
sophistiqués qui consolideraient du même coup l’armée syrienne.
Missiles S-300 |
Israël
est désormais exposé dans la région, face aux missiles intercepteurs
sophistiqués, et ce pour des dizaines d’années au moins. Alors il joue de la
méthode Coué en martelant avec force que la Russie n’est pas un ennemi et qu’il
travaille pour éviter les frictions même si les Russes coopèrent avec ses plus
grands ennemis, en particulier l’Iran soutien du régime syrien, et coordonne
avec eux les opérations militaires sur le terrain. Mais l’inconnu reste
l’incapacité d’analyser la stratégie russe à long terme ce qui crée un
sentiment d’incertitude dans la région.
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