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mardi 14 février 2017

Enquête sur l'islam français de demain par Jean CORCOS



ENQUÊTE SUR L’ISLAM FRANÇAIS DE DEMAIN

Par Jean CORCOS


            
Jean Corcos et Hakim El Karaoui

          J'ai eu le plaisir de recevoir le 12 février 2017 dans mon émission «Rencontre», Hakim El Karoui. Conseil en stratégie, franco-tunisien, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, il a eu les plus hautes responsabilités dans le secteur public comme dans le privé, notamment en tant que conseiller technique au cabinet du premier Ministre Jean-Pierre Raffarin. Il a dirigé la rédaction du rapport «Un islam français est possible», publié par la Fondation Montaigne au mois de septembre.




            Cette publication a eu un très important écho médiatique ; selon les journaux on a eu des recensions alarmistes, d'autres au contraire étaient beaucoup plus nuancées. Ce rapport, très riche, 130 pages sans les annexes, peut être téléchargé [1]. Il donne d'abord une véritable radioscopie des Musulmans de notre pays, basée sur un sondage. Il établit ensuite un diagnostic sévère sur l'organisation actuelle de l'islam, et propose des pistes pour mettre sur les rails un islam français authentique.
            Mon invité a commencé par donner des chiffres précis, à la fois sur la méthodologie de son enquête, et sur la démographie, sujet qui hante la majorité des Français et en particulier ceux qui sont juifs. L'enquête a été faite avec l'IFOP, avec une approche scientifique. Environ 15.000 personnes ont été interrogées, pour identifier un échantillon d'environ 1.000 Musulmans. 
          Quelle est l'estimation sur le pourcentage de Musulmans ? Le rapport aboutit au chiffre de 6 % (ceux qui se reconnaissent dans la religion ou qui sont de parents musulmans). Les gens ont une évaluation bien supérieure, car cette population est très concentrée en quelques foyers, ceux de la France industrielle (le Nord, l'Ile de France, Rhône Alpes, la façade méditerranéenne et un peu l'Alsace). A noter aussi, que selon le rapport, ce pourcentage est supérieur pour les jeunes générations, l'âge moyen des Musulmans dans notre pays étant d'environ 36 ans, soit nettement inférieur aux chiffres pour les autres populations.
Mosquée d'Evry

            Le rapport fait une analyse détaillée du rapport au religieux de l'échantillon, et il définit six catégories, réparties en trois grands groupes, dont Hakim El Karoui a donné une description synthétique. Un peu moins de la moitié a une religiosité supérieure à celle de la majorité des Français, mais avec un système de valeurs totalement conformes à ceux de la République, tout en étant plutôt conservateurs sur les plans des mœurs. 20 à 25 % sont très conservateurs, mais ils ne considèrent pas leur religion comme un projet politique. Par contre, environ 28 % ont adopté un système de valeurs opposées à celles de la République, et ce pourcentage grimpe à 50 % pour les jeunes.
            Le rapport dit qu'ils sont en état de «sécession idéologique» : pourquoi ? Pour notre invité, les raisons sont multiples. D'abord, le rejet, 30 % des Français considérant que les originaires du Maghreb ou leurs enfants ne sont pas des citoyens comme les autres ; il y a aussi une discrimination évidente à l'embauche. Ensuite, les deux tiers de ces jeunes sont des enfants d'ouvriers pour lesquels l'ascenseur social ne fonctionne plus. Enfin, «l'islam c'est ce qui reste quand tout le reste a disparu», et il joue le rôle d'identité universelle.
Mosquée de Fréjus

            Les réponses aux différentes questions établissent un lien très clair entre les catégories socio professionnelles et le rigorisme religieux. En gros, les plus éduqués sont ceux qui à la fois exercent des professions stables, et sont les moins rigoristes, en opposition à ceux dits en sécession. Mais il y a des marqueurs communs à la grande majorité des Musulmans de France ; quels sont-ils ? Notre invité les a résumés. Le premier est une «sur religiosité», comme d'ailleurs pour la religion juive (deux tiers de pratiquants) ; le Hallal a pris une place très importante qu'il n'avait pas avant. Deux tiers des Musulmans, enfin, défendent le port du voile, alors que seules un tiers des femmes le portent effectivement. Hakim El Karoui pense que ce port du voile se fait aussi pour des raisons de sécurité là où elles habitent.
            Le rapport de l'Institut Montaigne souligne les échecs du Conseil Français du Culte Musulman. Notre invité a brièvement rappelé les origines du CFCM, conçu comme un interlocuteur unique des Autorités, mais avec le choix de mettre en avant des gestionnaires et non des vrais religieux. Presque toutes les institutions cultuelles sont liées à des pays étrangers (Algérie, Maroc, Turquie) et défendent leur pré carré. Ainsi le budget du CFCM est ridicule (30.000 Euros). Comment expliquer que les gouvernements successifs aient favorisé ce qu'on appelle l'islam consulaire ? Plusieurs raisons existent. D'abord, on a imaginé que ces populations retourneraient dans les pays d'origine. Ensuite, c'était pour les gouvernements de ces pays une façon de les contrôler, car on craignait une contamination islamiste. Enfin, ces Etats avaient une maîtrise théorique du sujet, car non laïcs, ils forment chez eux et salarient les imams. Mais ceci ne marche plus, car les nouvelles générations de Français musulmans ne se reconnaissent plus du tout dans cette instance supposée représentative.
Institut des cultures de l'islam paris 18°

            En ce qui concerne les financements actuels de l'islam de France, le rapport pointe l'opacité des rentrées en provenance de deux pays du Golfe qui pratiquent le «soft power» en diffusant l'islam wahabbite, l'Arabie Saoudite et le Qatar. Qu'est-ce qui empêche la transparence ? Pour notre invité, ces financements sont très habiles : ils n'interviennent pas directement dans la gestion du culte, mais en amont et en aval. L'amont représente la diffusion idéologique par télés satellitaires et Internet, où l'investissement a été massif ; cela a formaté les nouvelles générations au Maghreb, par Al-Jazeera, Ikraa Tv, etc. L'aval correspond au secteur associatif, le caritatif. Hakim El Karoui qui a vécu en Egypte il y a vingt ans retrouve la même chose en France aujourd'hui. L'enseignement de l'arabe, que refuse de faire l'Education Nationale, se fait dans des mosquées et a donc aussi une influence idéologique. Il pense qu'il faut cesser cela, en disant aux pays du Golfe « que ce n'est plus possible ».
Fondation islam de France

            Pour permettre d'éviter cette opacité des ressources, le rapport propose une mutualisation des ressources et des budgets, qui relèvent pour le moment de chaque lieu de culte et des grandes fédérations cultuelles. Il préconise aussi la création, à côté de la Fondation pour l'islam de France qui fixerait le cadre général, une Association musulmane pour un islam de France (AMIF) : de quoi s'agit-il ? Notre invité a rappelé que la Fondation a été remise sur les rails récemment, sous la présidence de Jean-Pierre Chevènement - à noter que la Mosquée de Paris, puis l'UOIF ont dit qu'ils la boycotteraient.
            L'association cultuelle serait une sorte de Consistoire ; elle collecterait les fonds, financerait les imams et surtout, serait un référent théologique ; les fonds pourraient venir d'une taxe sur la viande Hallal, d'une taxe sur l'argent du Pèlerinage à la Mecque, et des dons des fidèles. Si les mosquées dominent dans le Conseil d'Administration, on aurait conflit d'intérêt car elles aussi se financent sur la même base.
Dirigeants de l'islam de France

            Ma dernière question a porté sur la mouvance des Frères Musulmans au travers de l'UOIF (Union des Organisations Islamiques de France). Elle s'est largement implantée depuis une trentaine d'années. Le rapport dit que c'est la seule Fédération implantée en profondeur, à la fois géographiquement par un maillage complet du pays, et par tout un réseau d'associations socio professionnelles, étudiants, femmes, etc. Ils sont aussi intégrés au niveau européen, avec notamment l'autorité théologique du Conseil européen de la Fatwa et de la Recherche : quel est leur agenda, et ont-ils des chances de réussir ? Karim El Karoui pense que l'UOIF s'est affaiblie au niveau de sa direction, qui sont des immigrés en décalage envers les nouvelles générations. 
          Le but des Frères Musulmans est de diffuser leur idéologie, pour avoir prise sur la population musulmane, en leur vendant «l'islamisation de la modernité».Ils veulent devenir les interlocuteurs des pouvoirs politiques. Le drame, c'est qu'en face, il n'y a personne pour leur répondre. 90 % du trafic vers les sites de théologie musulmane en français sont salafistes, et les Frères Musulmans sont aussi présents. Il faut donner les moyens aux théologiens qui sont contre leur idéologie, être aussi présents sur Internet, et offrir une autre lecture de l'islam.

[1] Lien pour télécharger :

1 commentaire:

Marianne ARNAUD a dit…

Je serais tentée de conclure : "Et voilà pourquoi votre fille est muette !"
Mais plus sérieusement, qu'il me soit permis de citer Pascal Bruckner, interrogé par Le Figaro, à l'occasion de la sortie de son ouvrage : "Un racisme imaginaire" :

"... Une politique intelligente est une politique qui évite la guerre civile. Critiquer l'intégrisme, ce n'est pas ouvrir la voie aux meurtriers, c'est au contraire permettre une réforme d'une religion tentée, au niveau mondial, par une dérive fanatique inquiétante. D'ailleurs, les premières victimes de cette dérive sont les musulmans eux-mêmes...
Une politique intelligente des cultes en France doit à la fois exercer une répression sans pitié contre les mosquées fondamentalistes, les imams douteux et tendre la main aux réformateurs.
Pendant des années, nous nous sommes agenouillés devant les fous de Dieu et nous avons bâillonné les libre-penseurs. N'oublions pas que le but des salafistes est de couper les "musulmans" du reste de la population en leur répétant qu'ils sont opprimés par les "infidèles". Il est urgent de fonder dans la loi un islam de France..."