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lundi 30 septembre 2013

GUERRES CHIMIQUES EN ORIENT PAR JEAN CORCOS



GUERRES CHIMIQUES EN ORIENT

PAR JEAN CORCOS
copyright © Temps et Contretemps

Jean Corcos nous fait le plaisir de nous adresser son premier article. Il sera dorénavant dans nos colonnes de manière régulière. Nous lui souhaitons la bienvenue.

Le grand public aura découvert, il y a seulement quelques mois pour les moins curieux - mais il ne fallait guère compter sur les grands médias pour l'éclairer avant - que la Syrie possédait un des plus grands arsenaux d'armes chimiques du monde. Précisément au mois de juin, lorsque les États-Unis, le Royaume-Uni et surtout la France, suite à une enquête du journal «Le Monde», ont formellement accusé le régime de Bachar el Assad d'avoir bombardé avec du gaz toxique les zones tenues par l'opposition.


 






1.400 tués le 21 août





D'autres utilisations de ces armes avaient été signalées, avant et après, mais il aura fallu ensuite près de trois mois pour que l'on ait une crise internationale majeure, avec menace de frappes américaines ; et cela après le massacre de la Ghouta près de Damas, le 21 août, qui fit quelques 1.400 tués selon les États-Unis ; et où selon le rapport des experts de l'ONU, ce sont des roquettes sol-sol contenant du gaz sarin et visant la région tenue par les rebelles qui ont provoqué un massacre de civils.

Je parlais du silence passé de nos médias, mais on peut l'expliquer par la pesanteur des «discours obligés», pour des raisons idéologiques ou de raison d'État. Le risque chimique est une donnée intégrée par tous les États-majors israéliens depuis des décennies, et tout le monde a en mémoire les images de la population portant des masques à gaz et calfeutrée dans des abris ... pendant la Guerre du Golfe, à l'hiver 1991 ! Ami et allié de la France, surarmé par elle au cours de son long conflit avec l'Iran, Saddam Hussein n'était guère critiqué jusqu'à son invasion du Koweït. Pas question, donc, de trop parler de son utilisation répétée d'armes chimiques diverses pendant cette guerre, et du massacre de Halabja - j'y reviendrai. 

Ce n'est qu'après sa défaite que l'on évoqua dans la presse ses «armes de destruction massive», réelles et démantelées par les inspecteurs de l'ONU au cours des années 1990 ; et bien sûr aussi, imaginaires en 2003 lorsque les États-Unis de Georges W. Bush en prirent prétexte pour envahir l'Irak. Mais remarquons tout de suite le «biais idéologique» marquant trop d'articles et une bonne partie des commentaires orientés qui les accompagnent, sur les sites Internet des grands journaux.

Parce qu'il y a eu un mensonge américain il y a dix ans, toute dénonciation des armes «sales» détenues par un pays arabe ou par l'Iran - et sans parler du programme nucléaire de la République Islamique - était jusqu'à récemment jugée suspecte. Parce que, pour le coup, c'est un dictateur enfin considéré comme infréquentable qui massacre son propre peuple, il est enfin possible de parler de ses armes chimiques, et de s'inquiéter de leur élimination - officiellement consentie grâce à la médiation russe, mais loin d'être acquise (c'est un autre sujet).



Risque chimique contre Israël



Isaac Stern continue de jouer pendant une alerte en 1991
 
Ceci étant posé, la possibilité que des missiles à tête chimique viennent répandre la mort dans les grandes cités d'Israël, les manœuvres bien réelles de Tsahal en tenue de protection «N.B.C» (nucléaire-biologique-chimique), les exercices de défense passive depuis plusieurs années sur ce thème, non décidément tout cela n'aura même pas inspiré quelques minutes de reportages sur nos grandes chaines de télévision.

Soyons encore plus précis : d'Israël il en aura été un peu question ces dernières semaines à propos des armes chimiques syriennes, et une recherche sur la presse française et internationale renvoie quasiment toujours aux mêmes informations ; ainsi par exemple, ce que l'on pouvait lire dans Le Journal du Dimanche du 1er septembre 2013 : «Très peu d’États sont encore soupçonnés d’entretenir un arsenal. Seule référence disponible : la liste des pays non-signataires de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1993. Parmi eux : la Syrie, la Corée du Nord, le Soudan, l’Égypte. Israël et la Birmanie l’ont signée mais pas ratifiée. Tel-Aviv refuse de le faire tant que ses voisins arabes ne l’ont pas signée. L’Egypte et la Syrie invoquent leur droit à développer un arsenal dissuasif, Israël disposant de l’arme nucléaire.»

Quelques commentaires sur cette citation. Depuis cet article, et pour éloigner la menace de frappes américaines, la Syrie a adhéré à l'Organisation de la convention sur l'interdiction des armes chimiques. Ensuite, sur six pays cités, trois sont des États membres de la Ligue Arabe, et deux sont des voisins directs d'Israël. Enfin, le «droit à développer un arsenal dissuasif» ne tient pas la route, à la fois parce que le nucléaire, arme de Samson, a uniquement une vocation ultime de dissuasion et non tactique, et parce que plusieurs États arabes ont prouvé, par le passé, qu'ils étaient prêts à utiliser le chimique comme arme d'appoint sur le terrain, à la fois pour une utilisation militaire et pour terroriser des populations civiles.



Rappels historiques



Quelques rappels historiques s'imposent donc :

- Le gaz moutarde (ou ypérite), agent vésicant qui provoque de graves brûlures, a été utilisé pour la première fois dans les tranchées de la Première Guerre Mondiale ; d'autres mixtures toxiques furent conçues alors, et un obus sur quatre était chimique à la fin du conflit. Par la suite, bannie pendant le second conflit mondial, cette arme ne fut utilisée que dans des pays éloignés de la vieille Europe, et parfois par des armées coloniales.

- C'est le colonel Nasser qui l'introduisit au Moyen-Orient. En 1962, le Yémen est encore divisé entre le Nord dirigé par un Roi, et Aden, encore une colonie britannique. Renversé par un coup d'État, le roi essaie de reprendre le pouvoir avec l'aide de l'Arabie Saoudite, contre les Républicains soutenus par un corps expéditionnaire égyptien de 70.000 hommes ; une guerre d'usure qui dura 7 ans, et où l'armée d'Égypte n'hésitera pas à utiliser le gaz moutarde. 
Guerre Iran-Irak

- Ce fut ensuite l'Irak de Saddam Hussein qui en fit un large usage lors de la guerre avec l'Iran, une guerre de pure agression déclenchée par lui en septembre 1980, qui dura 8 ans et qui fit, selon certaines estimations, environ un million de morts dans les deux camps.

Un grand livre de référence sur ce qui fut l'un des plus terribles conflits du siècle dernier reste à écrire. Toutefois, il a été publié en 2005 un ouvrage collectif imposant de 700 pages qui en parle, indirectement : «Le livre noir de Saddam Hussein» (Oh Éditions), auquel j'avais consacré en son temps une émission - et ce alors que, bien gênés par ce que révélait le livre sur le silence et les compromissions françaises vis à vis du dictateur irakien, un quasi boycott de nos médias accueillit sa parution.
Shahriar Khateri

Un chapitre entier, consacré à «La guerre chimique pendant le conflit Iran-Irak», a été écrit par Shahriar Khateri, médecin iranien qui était sur le terrain [1]. Il nous livre quelques données, attestées par plusieurs missions de l'ONU au cours du conflit. L’armée irakienne a utilisé du gaz moutarde, en quantité pour paralyser les mouvements ennemis, mais également des gaz neurotoxiques du type sarin (comme en Syrie dernièrement) ou autres. Un total de 650 attaques contre les Iraniens a été répertorié, des cibles civiles étant visées dans la dernière phase du conflit. 
Massacre kurde à Halabja

Des tonnes d'agents neurotoxiques tuèrent en quelques heures, le 16 mars 1988, 5.000 Kurdes habitant la localité frontalière de Halabja, alors contrôlée par l'armée iranienne. Le Kurdistan fut aussi bombardé avec des gaz toxiques en d'autres endroits, pendant les années 1987-1988 [2]; enfin, et sans compter les milliers de tués sur le coup, 45.000 victimes de la guerre chimique étaient encore soignées en Iran, pendant plusieurs années après la guerre ... 



[1] Un autre chapitre particulier y est consacré à la guerre chimique contre les Kurdes. Son auteur est le Docteur Françoise Brié, témoin elle-aussi et ancienne chargée de mission à "Médecins du Monde" ; elle a été mon invitée sur Judaïques FM pour parler de ce livre.

[2] Le total des victimes kurdes de "l'opération Anfal" fut de 182.000 civils tués, selon le tribunal spécial irakien qui a jugé et fait exécuter son maître d'œuvre Ali Hassan al Majdid dit "Ali le chimique".

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