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dimanche 19 février 2023

Ukraine-Russie, le règne de l'ambiguïté par Francis MORITZ

  


UKRAINE-RUSSIE, LE RÈGNE DE L’AMBIGUÏTÉ


Par Francis MORITZ

       

Bombardement contre civils

        La surenchère devient le maître mot dans le conflit ukrainien. C’est à qui proposera un soutien élargi, un soutien permanent, un soutien indéfectible, un soutien qui vaudra tous les autres réunis. Bref, un plus grand soutien que le mien, ça n’existe pas. A tel point qu’on finit par ne plus mesurer exactement à quoi correspondent ces multiples soutiens, tous renouvelés de jour en jour et amplifiés s’il est possible. On en arrive à ce se demander si tout ceci est bien réel ou s’il s’agit d’une nouvelle série sur Netflix.




Alors que le pays en guerre n’est pas membre de l’Otan, alors que plusieurs pays dont l’Albanie, la Serbie, la Bosnie attendent depuis plusieurs années la possibilité d’adhérer, la présidente de la commission, Ursula von der Leyen, et le président du conseil européen se sont rendu à Kiev pour discuter de l’adhésion à l’UE ou de son «adhésion à certains programmes».

    Enfin, l’UE fait savoir qu’elle prépare des sanctions supplémentaires à dévoiler le 24 février, date de l’invasion en Ukraine. La surenchère se mêle aux symboles. Décidément, la guerre de l’information bat son plein. Force est de reconnaître que l’UE a bien résisté à la pandémie globalement. La France avec le quoi qu’il en coute notamment, mais au prix d’un endettement chaque jour plus lourd, lié à l’augmentation des taux, lui-même en lien avec la crise énergétique, conséquence du conflit, la fatigue des populations en Europe se fait sentir. Nul ne connaît actuellement toutes les conséquences des mesures prises et étendues contre la Russie qui continueront à impacter l’UE.

Où en sommes-nous ?

Convoi militaire russe pris pour cible


Poutine n’a pas vraiment atteint ses objectifs initiaux. Il n’a pas pris le contrôle de l’Ukraine. Avec le soutien massif occidental, le pays résiste, et on passe d’offensives en contre offensives, avec un prix humain élevé des deux côtés, qu’on évite de mettre en avant. On parle de plusieurs centaines de victimes quotidiennes, tués ou blessés. On cite volontiers les pertes russes, beaucoup moins celles de l’Ukraine pourtant de même importance. Sur le plan militaire, les Occidentaux n’hésitent pas à annoncer une décision puis son contraire. L’Amérique ne fournira pas ses chars, affirmait le président Américain. Depuis on en sait qu’on en fournira peut-être une trentaine… dans quelques mois. Les chars doivent servir à la défense, puis à l’offensive. Finalement le chancelier allemand vient de le déclarer : ils ne serviront qu’à la défensive. C’est juré. On connaît la formule.

Les raisons de l’optimisme

Avec le soutien massif financier, militaire et l’engagement actuel de l’Occident, États Unis en tête, l’Ukraine fait preuve d’une résilience remarquable.   La Suède et la Finlande sortent de leur neutralité et veulent rejoindre l’Otan, qui a renforcé ses positions depuis plusieurs mois. On évite d’utiliser le concept d’encerclement de la Russie. C’est pourtant la réalité, tandis que la Chine, grand partenaire de la Russie, reste très prudente.

s
Victimes civiles


Les mauvaises nouvelles

La Russie ne donne aucun signe susceptible de mettre fin au conflit. Il en va de même de l’Ukraine. Il convient d’y ajouter l’Occident qui veut battre Moscou sur le champ de bataille. Sans cynisme, on doit constater que les trois acteurs prétendent vouloir aller jusqu’au bout et obtenir une victoire militaire.  Le chef d’État-major russe a annoncé la préparation d’une contre-offensive de printemps après avoir recruté une nouvelle tranche de 200.000 hommes. Le Tsar du Kremlin semble soutenir l’idée que les gouvernements occidentaux et leurs sociétés se lasseront d’attendre la fin de la guerre, que leurs opinions publiques n’accepteront pas des sacrifices croissants et que leurs économies ne pourront plus assumer les conséquences. Il pense qu’il a le temps pour lui. Depuis, l’Iran devient comme l’UE et les États Unis co-belligérante avec ses drones.

Du point de vue ukrainien, la montée progressive de sa puissance de feu est considérée comme un lourd handicap. C’est ce qui explique la demande pressante du président Zelensky de recevoir plus d’équipements lourds, plus offensifs, plus performants, plus de munitions, de l’aviation, des missiles longue portée, notamment.  L’Ouest y répond mais très progressivement car aucun des pays européens n’était prêt à envisager un conflit de haute intensité. La France qui dispose d’une force armée réelle, pratique en opérations de projection (voir l’Afrique) de courte durée et ne pourrait soutenir un tel conflit plus de trois semaines, dixit ses responsables ouvertement. La dissuasion était, jusque-là, la réponse.

Préparation de tombes à l'extérieur de Kiev


Sur le terrain

Le nombre de chars annoncé reste très inférieur aux besoins réels de l'armée ukrainienne pour repousser les occupants. Les chars Abrams prendront plusieurs mois pour être construits, entraînés et déployés. Sauf changement radical de stratégie, on se dirige vers l’enlisement du conflit. De fait, l’augmentation progressive de l'assistance militaire et économique ne fera probablement que prolonger indéfiniment la guerre. C’est une très mauvaise perspective pour l’Ukraine et pour les pays européens en particulier. L’Amérique restant loin du conflit, sauf pour ses fournitures et moyens financiers. On reste dans l’ambiguïté.

Les options

Celle que désire le président ukrainien, un Big Bang militaire. Les États-Unis et ses alliés de l'OTAN fourniraient dès maintenant une aide massive en armes beaucoup plus performantes, permettant à l’Ukraine de passer à l’offensive plutôt que de camper sur ses positions et de subir les assauts répétés russes, en particulier dans l’Est du pays. En tête de liste devrait figurer le système de missiles ATACMS d’une portée de l’ordre de 300 kms et permettrait ainsi aux forces ukrainiennes d'attaquer les aérodromes et les sites de munitions russes en Crimée et ailleurs, actuellement hors de portée et qui offrent un sanctuaire aux forces russes. Ces armes, y compris des bombes de petit diamètre lancée au sol, pourraient changer la donne dans une offensive de printemps. L'armée ukrainienne a également besoin de capacités aériennes offensives beaucoup plus performantes, notamment des avions de combat MiG-29 de fabrication soviétique et des drones avancés tels que les modèles américains Gray Eagle et Reaper. Le président Biden a déjà exclu de livrer des F16. Mais rien ne dit que les pays européens ne seront pas forcés de fournir des avions.

On mesure l’ambiguïté du passage d’armes défensives à des armes offensives. De plus les naïfs pensent qu’en échange de la fourniture de ces armes, le président ukrainien pourrait signer un accord juridiquement contraignant (?) interdisant d'utiliser ces armes pour frapper des cibles à l'intérieur de la Russie. Là où cette notion devient encore plus ambiguë c’est le fait que la Crimée et le Donbass (en partie) sont considérés comme territoire russe. Ce que personne n’ignore. Au passage, même si cela est déjà tombé dans les oubliettes de l’histoire, l’Ukraine avait pris des engagements dans le cadre du format de Minsk, dont l’organisation d’élections dans l’Est du pays. Elle n’a jamais donné suite. On constate qu’il s’agit de fournitures par paliers, chaque pays contribuant à son tour, à son heure et avec ses moyens à l’acheminement de telles armes ou en partie. On étalerait donc dans le temps des fournitures disparates qui demanderont à nouveau des délais pour être mises en œuvre. Ce qui serait tout à fait contraire à l’option Big Bang formulée par l’Ukraine. De sorte qu’on peut légitimement s’interroger sur ce processus de livraisons-à-vue progressif qui prolongera la guerre d’autant au profit de la Russie qui malgré ses failles sera à l’offensive, après avoir appris de ses revers dans l’année écoulée. Certains exégètes soutiennent que le président russe n’a plus sa raison, mais qu’on peut exclure l’utilisation de bombes sales. On a oublié Hiroshima.

Quelle suite ?

Alors se pose plusieurs questions auxquelles aucun des pays co-belligérants ne veut ou ne peut répondre. Que se passera-t-il lorsqu’il y aura une bavure sérieuse provoquée par des armes occidentales ? Lorsqu’il y aura des militaires ou des instructeurs occidentaux sur le front tués, blessés, ou capturés ? Les sociétés occidentales sont confrontées à de multiples problèmes sociaux et économiques qui mettent tous les gouvernements en difficulté. L’Allemagne reparle ces jours-ci d’une conscription civile, voire militaire demain. C’est inédit. Dans tous les échanges actuelles les mots paix et négociations ou compromis sont bannis du vocabulaire diplomatique. Honte à celui qui les utilise.  Pourtant in fine il faudra bien les réintégrer avec toutes les conséquences. Comme l’affirmait le cardinal de Retz, on ne sortira de l’ambiguïté qu’à nos dépens. Qui en connaît aujourd’hui le prix ?

 

4 commentaires:

Véronique ALLOUCHE a dit…

Si les occidentaux n’avaient pas aidé l’Ukraine par les moyens que l’on connaît, rien ne dit qu’après annexion de ce pays la Russie n’aurait pas poursuivi son expansion aux états limitrophes. Valait-il mieux refaire les accords de Munich en observant d’un œil passif les ardeurs conquérantes du Maître de Moscou?
Si les sanctions avaient été aussi importantes envers le III eme Reich qu’elles le sont aujourd’hui envers la Russie, peut-être n’aurions nous pas connu la Seconde guerre mondiale et ses conséquences.
Bien à vous.

Francis Moritz a dit…

Chere Madame Allouche,
à la lecture de votre commentaire, il me semble que vous vous méprenez sur le sens de mon article. Je ne plaide pas en faveur de la Russie. En revanche, en suivant votre raisonnementje fais une analyse factuelle. Le probleme de la Russie avec ses voisins est bien connu des dirigeants occidentaux depuis au moins 2014. En 2015 l'annexion de la Crimée est passé sans douleur. Concernant le litige du Dombass, les parties se sont retrouvées dans ce qu'on a appelé le format de Minsk ( Russie, Ukraine, Allemand, France) le tandem franco allemand n'a fait que trainer le processus en longueur sans aucun résultat faute d'en avoir la volonté. Ca s'appelle la diplomatie, dit on. A une exception près tous les accords sur les armes, les missiles,entre Etats Unis et Russie n'ont pas été renouvelés. Dans le meme temps, l'Otan avait indiqué ne pas étendre sa présence en Europe. La suite a démontré le contraire. Au delà des visées hégémoniques russes, les racines du mal ont prospéré. Sur le conflit lui meme, on voit bien que l'escalade est en cours. Les chars de diverses origines, lorsqu'ils seront livrés leur mise en opération implique une couverture aérienne et une logistique adaptée. Il y a donc une énorme ambiguïté à feindre d'ignorer que les chars seuls sont notoirement insuffisants. C'est comme vous promettre la livraison d'un réfrigerateur et la climatisation en omettant de vous installer l'electricité.
J'ai pris la peine de reprendre les options dont celle ardemment désirée par l"Ukraine du big bang. C'est à dire des moyens autrement importants que ceux actuels qui permettent certes de résister mais pas plus. Donc, je suis d'accord avec vous sur un point: si en 1940 on avait utilisé la formule du Big Bang peut etre aurions nous éviter la suite et les dizaine de millions de victimes dont les six millions de la Shoah.
A défaut c'est l'option de l'enlisement qui deviendra réalité. Elle pourrait durer des années, au même titre que ce qui se passe depuis dix ans avec le Dombass, à quel prix ? Accessoirement les sanctions impactent également les pays européens. On en verra progressivement les effets. Pour l'instant on ne parle pas, pas encore, d'envoyer des militaires ( européens) de l'Otan sur le front, mais ca reste à suivre.
Bien cordialement,

Véronique ALLOUCHE a dit…

Merci Monsieur Moritz d’avoir pris la peine de me répondre.
Concernant les moyens actuels de chars et d’armements livrés par l’Occident, je suis bien d’accord avec vous, ils sont largement insuffisants pour venir à bout de cette guerre. Mais les informations ont évoluées depuis hier puisqu’on apprend que le premier ministre anglais pourrait envoyer des avions de chasse à l’Ukraine. Ce n’est pas pour demain puisqu’il faudra former des pilotes mais c’est une option non négligeable.
Dans cette hypothèse il est possible que le Big-bang dont vous parlez n’ait pas lieu, que Poutine abdique sans qu’il soit besoin de le contraindre à trop de sévérité ( je pense au Traité de Versailles qui a conduit à la seconde guerre mondiale), et que dans ces conditions tout rentre dans l’ordre.
Trop optimiste? L’avenir nous le dira.
Bien cordialement

V. Jabeau a dit…

Je vois plutôt une agitation qui enfle. Des axes qui se mettent doucement en place. Une montée de la guerre. Un dictateur fou à abattre, qui possède des armes nucléaires. Des opinions publiques occidentales de plus en plus anxieuses : pandémie, guerre, réchauffement climatique. Des populistes menteurs sans vergogne. Et même Israël qui se délite. Et pourtant, tant de raisons de rester optimiste.