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vendredi 10 février 2023

Afrique du Nord et Moyen-Orient, perspectives 2023 par Jean CORCOS

 

AFRIQUE DU NORD ET MOYEN-ORIENT, PERSPECTIVES 2023

Par Jean CORCOS


        J’ai été convié à une «conférence ouverte» qui s’est tenue dans les locaux de l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales) le 27 janvier. C’étaient quelques heures avant l’horrible attentat de Jérusalem, et alors que deux intervenants ont dit leur inquiétude concernant le conflit israélo-palestinien. Quatre conférenciers, de profils bien différents, ont été invités à plancher pour donner leur vision de ce que réserve 2023 pour la région Afrique du Nord et Moyen-Orient, une subdivision en fait du Quai d’Orsay dont une représentante était présente, parlant en premier. 




C’est Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie et Moyen-Orient qui modérait le débat. J’ai apprécié depuis longtemps la qualité de son travail, à l’occasion de plusieurs interviews dans le cadre de l’émission que j’animais. Voici le résumé de ce que j’ai entendu, et qui – par moments – m’a révélé l’écart entre la réalité et la vision souvent caricaturale du public juif pour les médias, chercheurs et diplomates français.

Anne Gueguen



Elle est directrice Afrique du Nord Moyen-Orient au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Commençant son exposé par une rétrospective de l’année 2022, elle a bien sûr souligné le tournant capital de la guerre provoquée par l’invasion russe de l’Ukraine. Elle s’est félicitée d’une cohésion européenne renforcée et d’une relation transatlantique affirmée, mais en ajoutant aussi qu’il ne fallait pas «désinvestir le Sud». La conséquence du conflit a été partout la crise énergétique, dont les États pétroliers et gaziers ont profité, mais aussi une crise alimentaire.

Sans reprendre à son compte un disque rayé de la propagande pro-Poutine - présentant le conflit comme opposant «les méchants occidentaux» et une nébuleuse d’amis de la Russie qui seraient les ex-pays du Tiers-Monde, les puissances émergentes comme l’Inde et bien sûr la Chine, elle a quand même rappelé que les pays arabes et du Golfe en particulier ont refusé les sanctions et les pressions diplomatiques contre Moscou. On notera que cela a été aussi le cas d’Israël, même s’il a – comme la plupart de ses voisins du Moyen-Orient – condamné l’invasion russe. Pour Anne Gueguen, le monde arabe ne comprend pas le narratif européen sur l’Ukraine, y voyant un «deux poids deux mesures» surtout par rapport au problème palestinien. Il s’est développé ainsi une «autonomisation» des diplomaties du Golfe par rapport aux pays occidentaux, avec en plus la sourde inquiétude d’un désinvestissement stratégique américain au profit de l’Asie ; mais cela, avec aussi la conscience que les États-Unis sont «le gardien de dernier recours» en cas de menace existentielle.

Elle a aussi cité plusieurs développements qui ont déjà commencé, et qui vont à son avis se poursuivre : une ouverture de plus en plus assumée avec la Chine, sous forme d’accords signés en tous genres ; le processus des Accords d’Abraham qui va se poursuivre d’après elle. Ouvrons une parenthèse rapide à ce sujet : l’horloge des politologues du café du commerce dans notre communauté s’est arrêtée à la période post-gaulliste des années Pompidou et Giscard, la diplomatie française ne cherchant, pour eux, qu’à saboter tout ce qui serait à la fois favorable à Israël et soutenu par les États-Unis ; eh bien, ce n’est pas ce que j’ai entendu. Même réalisme – qu’on peut par ailleurs juger détestable – sur le fait que le monde arabe est maintenant d’accord pour réintégrer la Syrie de Bachar el-Assad après l’avoir isolée.

Anne Gueguen a enfin listé les zones de conflits qui persistent ou risquent de s’aggraver. Faut-il se scandaliser de ce qu’elle a dit du conflit israélo-palestinien et qui n’est que factuel ? Radicalisation politique des nouveaux gouvernants en Israël ; affaiblissement de l’Autorité Palestinienne ; perspectives de la solution à deux États qui s’éloignent ; et craintes d’une remise en cause du statu quo sur les lieux saints. Concernant le Liban, elle a mentionné le «pourrissement de la situation», avec un effondrement économique total et un blocage politique complet ; aucun président n’ayant pu être élu en succession de Michel Aoun. «Le Liban risque de devenir un État failli». Mais ce qu’elle a dit ensuite était vraiment étonnant et surtout jamais énoncé clairement et en public par des diplomates français : «Si le Liban s’effondre, cela ne peut que profiter au Hezbollah» qui est par ailleurs devenu «un des grands acteurs du trafic de drogue». «Notre meilleur allié est la classe moyenne libanaise éduquée», dit autrement : le «Hezb» est notre adversaire là-bas. Autre pays qui inquiète beaucoup la France, la Tunisie : la crise s’est accentuée en 2022, «fragilités économiques et sociales», «affaiblissement de l’édifice démocratique», «pas d’accord avec le FMI» : une barque bien chargée pour le pays du jasmin, tant vanté il y a peu.

Même absence de langue de bois, enfin, concernant cette fois l’Iran. Elle a clairement posé les limites d’une intervention française en disant «nous avons sept otages là-bas», chose qu’on n’entend jamais dans nos J.T de 20 heures. Ne pronostiquant pas un effondrement du régime à court terme, elle a dit son inquiétude au-delà du dossier nucléaire : la République islamique est maintenant à la fois ouvertement alliée à la Russie, acteur principal de la déstabilisation régionale, et un régime redoutable pouvant utiliser la «violence d’Etat» : dit entre les lignes, faire des attentats chez nous. Cela étant, elle juge condamné le régime iranien sur le long terme, car le divorce avec la jeunesse et avec les femmes est consommé.

Clément Therme



Par contraste, j’ai trouvé moins intéressant l’exposé de ce chercheur associé à l’Institut universitaire européen de Florence et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il a pourtant parlé uniquement de l’Iran, sujet passionnant, mais sans donner un pronostic personnel sur la révolte en cours depuis le mois de septembre. Il reconnait que le mouvement s’élargit, et que la population ne tolère plus certaines choses comme une inflation entre 30 et 50% et des coupures de gaz dans un pays producteur en hydrocarbures. Le régime consacre 18% de son budget aux dépenses de sécurité, en baissant les investissements et les projets de développement. Il essaie aussi de cibler les minorités (Kurdes, Baloutches), mais malgré les sanctions, il arrive malgré tout à exporter un million de barils par jour. Le rapprochement net avec la Russie risque de créer «une coalition des sanctionnés», le régime ayant maintenant une bonne expertise des contournements d’embargos.

Il a enfin dit que l’Occident craignait un chaos à la chute du régime, car on n’appréhende pas d’alternative ; mais en rappelant aussi qu’on n’identifiait pas non plus d’alternative au Shah au moment de sa chute en 1979 : il faut donc rester modestes sur les prédictions.

Jean-Marc Four



         Éditorialiste international à Radio France, ancien directeur de l'information internationale de Radio France, il a tout de suite dit qu’il n’était pas un expert mais un simple observateur. Il a cependant apporté plusieurs informations inédites. Dressant la liste des pays où l’actualité peut vraiment bouger en 2023, il a placé en premier l’Iran, disant qu’il était extrêmement difficile de travailler sur place, les journalistes faisant l’objet d’une filature policière et les visas étant délivrés au compte-gouttes. Pour lui, c’est le problème numéro un, ce pays étant près du seuil nucléaire ce qui serait un désastre : ce sont des propos qu’on commence à entendre, mais qui étaient peu courants dans les médias français. Il a placé curieusement la Turquie en numéro deux. Radio France a un correspondant à temps plein à Istanbul. Pour lui, une alternance est possible avec l’élection de ce printemps.

       Sur Israël, ce qu’il a dit ne m’a pas du tout choqué – même si cela ne plaira pas à certains de mes lecteurs : le nouveau gouvernement suscite des inquiétudes ; l’État de droit est remis en question, et la «révolution juridique» serait un très mauvais signal envoyé à la région, le pays étant «la seule démocratie du Proche Orient» ; on peut librement travailler sur place, mais la difficulté vient des pressions psychologiques exercées par les deux parties en conflit, Israéliens et Palestiniens reprochant à sa radio de ne pas leur être assez favorables, avec une évolution plus revendicative pour les premiers.

       Sur le Golfe, j’ai été étonné d’apprendre qu’il était difficile d’y travailler sur place, «car cela coûte très cher». La Coupe du monde de football a été une très bonne affaire pour le Qatar, où le public a fortement marqué sa sympathie envers les Palestiniens. Enfin, deux informations bien désolantes : Radio France n’a pas de correspondant en Algérie, alors que depuis le dernier voyage d’Emmanuel Macron, on imaginait une nouvelle lune de miel. Enfin, au Yémen où se déroule actuellement la pire des guerres, il n’y a quasiment aucun journaliste pour la couvrir.

Philippe Bourdeaux


        Je finis rapidement avec l’exposé du directeur Afrique Moyen-Orient de Véolia. Son propos m’a paru vraiment décalé par rapport à ceux des trois autres. Ex-Compagnie Générale des Eaux puis Vivendi, cette multinationale vend des services, usines et équipements dans les domaines de l’eau, de la gestion des déchets et de l’énergie. Des domaines vitaux au Moyen-Orient, où par exemple à Amman, capitale de la Jordanie, la distribution de l’eau ne fonctionne qu’un jour par semaine. Partout, quand les finances le permettent, le dessalement de l’eau de mer apparait comme la seule solution : mais les pertes en eau sont énormes, plus de 50% par exemple en Arabie Saoudite où des centaines de kilomètres de canalisations conduisent l’eau traité de la côte à Ryad, en plein milieu du désert ! On a beaucoup parlé au moment de la Coupe du monde au Qatar des surconsommations phénoménales d’énergie avec l’air conditionné utilisé très largement dans tous les pays du Golfe : ils commencent maintenant à acheter des services pour baisser cette consommation, et être un peu plus «vertueux» pour répondre à la crise du climat.

          Enfin, j’ai été surpris qu’il n’évoque pas du tout Israël, pays pionnier dans le domaine de l’arrosage des zones arides, du dessalement et du recyclage de eaux usés. Pour en comprendre la raison après coup : Véolia, associé à des grands projets là-bas, a liquidé tous ces actifs dans le pays en 2022.




2 commentaires:

Georges Kabi a dit…

M.Corcos, tres interessant compte-rendu. Si je comprend bien la France commence a rectifier le tir. Il etait temps depuis De Gaulle.

Marc a dit…

Non Georges,
en off ils savent que l'AP est corrompue, qu'ils ne veulent pas la paix...
Mais tant que pour la paix intérieure que pour les relations internationales, ils continueront officiellement à vouer aux gémonies Israël, à la condamner à l'ONU...