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lundi 5 avril 2021

L'islamiste Mansour Abbas, maître des élections

 


L’ISLAMISTE MANSOUR ABBAS, MAÎTRE DES ÉLECTIONS


Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps

 

Mansour Abbas, à droite, avec Ayman Odeh, le chef de la Liste arabe unie

            

        Tout au long de son mandat, Netanyahou n’a eu de cesse de fustiger les partis arabes au point même de faire voter un texte législatif, l’État-nation, adopté le 19 juillet 2018 par la Knesset, comme l’une des Lois Fondamentales d'Israël. Cette loi fait double emploi avec la déclaration d’indépendance de 1948 parce qu’elle reprend les mêmes symboles ajoutant certes la définition de Jérusalem comme la capitale «complète et unifiée» d’Israël, le déclassement de la langue arabe qui était jusqu'alors deuxième langue de l'État en faisant de l'hébreu la seule langue d’État et l'encouragement au titre de «valeur nationale» au développement de communautés juives. Cette nouvelle loi entraîne de fait la marginalisation des Arabes d’Israël alors que la déclaration d'indépendance établissait déjà l'égalité sans distinction de religion, de race ou de sexe.



Netanyahou et ses extrêmes


            Netanyahou avait appuyé le vote de cette nouvelle loi afin de satisfaire les exigences de la frange nationaliste de son parti et d’attirer à lui les extrémistes d’extrême-droite indispensables pour gonfler sa coalition. Mais par opportunisme électoral pour le scrutin du 23 mars 2021, il a opéré un virage politique en dialoguant avec Mansour Abbas pour le convaincre de créer une entité indépendante, Raam, capable de se lier avec les partis «sionistes» pour leur servir d’appoint. Ainsi les partis arabes ne sont plus la peste et l’un de leur leader est intégré dans le paysage politique comme un personnage respecté et respectable. Au terme de ces dernières élections, Mansour Abbas est propulsé au rang de faiseur de premier ministre ce qui constitue une claque aux pourfendeurs des Arabes.

            Le parti Raam (acronyme hébreu de Reshima Aravit Me'uchedet : liste arabe unie) a été fondé en 1996 par l'union du Parti démocratique arabe créé en 1988 par Abdel Wahab Darawshe (ancien député du Parti travailliste israélien) et par des d'éléments en provenance de la branche Sud du Mouvement islamique et du Front d'unité nationale. Son électorat est principalement composé d'Arabes israéliens religieux ou nationalistes, et il jouit d'un soutien tout particulier parmi les Bédouins. Le Mouvement islamique est également actif pour la mobilisation des électeurs dans les villes et villages arabes pauvres, ainsi que dans les campements bédouins. Il soutient l'option des deux États avec Jérusalem-Est comme capitale de la Palestine et exige, sur le plan intérieur, une totale égalité sociale, économique et politique entre les différentes composantes de la population israélienne. Plus surprenant encore, Raam a des racines dans le mouvement religieux inspiré des Frères musulmans en place à Gaza.

Abbas en prière dans une mosquée


            Mais rien ne peut arrêter Netanyahou lorsqu’il doit sauver ses élections et créer une majorité de bric et de broc. En revanche on ne peut critiquer Abbas de chercher à améliorer le sort de la minorité arabe à la recherche de fonds pour développer l’infrastructure des villages arabes, souvent à l’abandon. Pour lui, tout est possible : «J'espère devenir un homme clé. Dans le passé, les grands partis nous excluaient et nous nous excluions nous-mêmes. Le parti n'est dans la poche de personne. Je n'exclus personne, mais si quelqu'un nous exclut, nous l'excluons bien sûr».

            Mais la participation de Raam aux côtés de l’un ou l’autre des clans reste ambiguë. D’un côté Avigdor Lieberman avait décrit certains citoyens arabes comme des traîtres et les avait appelés à quitter le pays. On le voit mal adouber Abbas. De l’autre côté, le chef du parti sioniste religieux Bezalel Smotrich a déclaré «qu'il n'y aura pas de gouvernement de droite avec le soutien de Mansour Abbas, point. Les partisans du terrorisme qui nient l'existence de l'État d'Israël en tant qu'État juif ne sont des partenaires légitimes dans aucun gouvernement ». Sans compter que lors du précédent scrutin Netanyahou avait défini «le taux élevé de participation arabe comme une menace». Les temps changent et à présent il sollicite leur soutien.

Alliés de Bibi


            Mais Mansour Abbas a sauté le pas par intérêt pour la minorité arabe qui subit la violence des gangs, la pauvreté et les restrictions à leur accès au logement par absence de permis foncier. Il est prêt à avoir un «véritable rôle dans la politique israélienne». Il avait compris que le rôle des partis arabes à la Knesset était marginal, sans aucun effet sur l’obtention de gains matériels pour les citoyens arabes. Grâce à son nouveau positionnement, il pourrait obtenir que la démolition dans le désert du Néguev de dizaines de villages arabes construits sans autorisation soit suspendue, voire annulée.

            La situation politique devient surréaliste. Ce qui avait été refusé à Benny Gantz en mars 2020 lorsqu’il avait voulu créer un gouvernement minoritaire avec le soutien passif des Arabes est devenu une probabilité naturelle aujourd’hui. Les dirigeants de droite sont montés au créneau pour justifier l’injustifiable d’hier. Le ministre Likoud Tzachi Hanegbi a estimé que «si un gouvernement de droite des partis sionistes était impossible à assembler, son parti envisagerait des options qui sont actuellement indésirables mais peut-être meilleures qu’une cinquième élection» à savoir la coopération avec le parti Raam. Le député likoud et druze Ayoub Kara a déclaré que contrairement à la Liste arabe unie, Raam "ne nie pas l'existence d'Israël"

            Mais au sein du Likoud rien n’est acquis et la grogne devient publique. L’un des dirigeants refuse de travailler avec un «groupe idéologiquement opposé qui refuserait les opérations militaires dans les territoires». Danny Danon, président du Likoud mondial, estime que «le gouvernement ne devrait pas être dépendant d'un parti musulman radical».

Abbas, assis, pourrait se retrouver au centre des négociations pour former un gouvernement


            La politique est ainsi faite qu’un islamiste inconnu il y a quelques semaines devient celui qui peut choisir le futur premier ministre et que les Arabes israéliens émergent en tant que force politique avec laquelle il faut compter dorénavant. Et cela tout simplement parce qu'un Arabe est prêt à coopérer avec n'importe quel gouvernement, celui de Netanyahou ou celui de ses rivaux, pour servir les intérêts de sa minorité.

Mais Mansour Abbas est un homme ambitieux qui a compris que sa réussite dépend du pont qu’il peut jeter avec les partis juifs. Né à Maghar, une ville à majorité druze du nord d'Israël, où vivent depuis l'Antiquité des communautés juives et chrétiennes, puis musulmanes, Mansour Abbas a été exposé très jeune à la coexistence multiculturelle. Pour devenir dentiste, il s’était inscrit à l'Université hébraïque de Jérusalem où il a rencontré le fondateur du Mouvement islamique en Israël. Qui aurait cru que l’université hébraïque était un nid d’islamistes ? Après avoir obtenu son diplôme, Mansour Abbas a gravi les échelons du parti jusqu'à son élection à la Knesset en avril 2019 dans une coalition conjointe avec le parti de l'Alliance démocratique nationale (Balad), un parti progressiste. Mais très vite, les divisions au sein de cette alliance commencèrent à se manifester. Mansour Abbas était partisan d'une nouvelle approche de la politique arabe en Israël en soulevant les problèmes de la société arabe et en demandant au gouvernement de prendre en charge leurs demandes.

Netanyahou chez les Bédouins


Alors pendant la campagne, Netanyahou avait pris la balle au bond pour courtiser le vote arabe en visitant les centres de vaccination dans les villes arabes. Il s’est engagé dans une campagne de lutte contre la criminalité dans les zones arabes en approuvant tardivement un budget contre la criminalité de 45 millions de dollars. Mais les autres partis arabes contestent cette manœuvre tardive à l’instar du député Ahmed Tibi : «Il peut porter une jalabiya (tunique). Ceux qui le croient, le méritent». Ce député avait été à l’origine du slogan anti arabe de Netanyahou qui explicitait le choix des électeurs juifs : «Bibi ou Tibi».



Le seul risque pour Mansour Abbas est qu'il ait la grosse tête et qu'il fasse monter les enchères par des demandes exagérées non acceptables. Face aux différents blocages, il n’est pas sûr que les portes du pouvoir lui soient ouvertes. Les politiques pourraient seulement l’utiliser dans le cadre d’un soutien passif sans participation au gouvernement car ils ne sont pas encore prêts s'associer à un parti arabe à tendance islamiste. Quoiqu’il en soit, il est devenu un acteur essentiel de la scène politique israélienne et il a préparé son tremplin pour l’avenir.

1 commentaire:

Karine DANA ADDY a dit…

je suis entièrement d’accord avec votre conclusion, rien ne pourra être réparé et rien ne pourra être constructif dans un pays divisé.
Et je pense qu’agir pour rassembler et atténuer les divisons devrait être notre priorité.