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lundi 5 avril 2021

Israël l'hybride, sur le fil du rasoir par Francis MORITZ

 

ISRAËL L’HYBRIDE, SUR LE FIL DU RASOIR


Par Francis MORITZ

 

 


La période faste du trumpisme est terminée. L’administration américaine démocrate est de retour sur la scène internationale. Joe Biden l’a rappelé durant la récente conférence sur la sécurité à Munich. On peut être sûr que ce retour durera au moins quatre ans peut être même huit. On est déjà sûr que Angela Merkel ne sera plus aux commandes. On n’est pas sûr qui sera le président en France en 2022. On ne sait pas encore quel sera le premier ministre israélien dans les prochaines semaines. Mais on est certain qu’Israël devra très rapidement prendre la mesure des changements que Washington veut mettre en œuvre tant avec l’Otan qu’au Moyen- Orient et les implications à court et moyen terme pour Israël.



Conférence sur la sécurité de Munich


Le présidant américain a exposé sa doctrine au cours de deux discours prononcés début février à Washington et le 19 février à Munich qu’on peut résumer comme suit. Une diplomatie multilatérale ; réactivation d’une politique des droits de l’homme qui doit se traduire par une participation plus active au sein de la Commission des droits de l’homme de l’ONU dont on connaît la position traditionnelle envers Israël ; réintégration de l’OMS, de la conférence de Paris sur le climat ; reprise des financements et de la participation américaine aux activités de l’UNWRA, autant d’organisations que Donald Trump avait abandonnées ; relance du dialogue transatlantique entre les membres de l’Otan et l’Amérique, afin de faire face aux défis communs. Parmi ces défis, outre la participation à des sanctions contre Pékin et Moscou, dans lesquelles les Américains veulent entrainer leurs partenaires, ce qui posera un problème à Israël comme à Berlin, car aucun ne veut être la quille au milieu du jeu de boules.

Le premier des défis concerne toutes les chancelleries, le programme nucléaire de l’Iran et ses activités au Moyen-Orient, la situation géopolitique de la région qui évolue très rapidement et implique l’ensemble des acteurs que ce soit en Afghanistan, en Irak, au Yémen, en Arabie Saoudite, pour ne citer que ceux-là.

Premier ministre espagnol Pedro Sanchez au sommet virtuel du 25 mars


Le processus israélo-palestinien à propos duquel on connaît la position américaine en faveur d’un État palestinien, alors que les États arabes insistent pour que Mahmoud Abbas reporte les élections devant la crainte de voir le Hamas triompher. Ce qui serait également un problème de plus pour Jérusalem, mais qui pourrait tout aussi bien devenir un argument pour Jérusalem contre la solution des deux États.  La question de l’interventionnisme forcené de la Turquie dans tous les conflits en cours est un abcès de fixation pour les États-Unis, pour l’OTAN, pour Israël. Le pays doit absolument anticiper ces multiples défis qui s’entremêlent.

À propos de l’Iran le président américain fait pression sur les trois pays France, Allemagne, Angleterre pour créer «les conditions d’une reprise d’un dialogue au sein de l’accord de 2015». Israël est opposé à ce projet, quel que soit le premier ministre qui sera aux commandes. C’est un premier point de friction majeur y compris avec l’Europe qui y voit une opportunité de reprendre une place dans la région d’où elle est absente, dont les arrières pensées marchandes ne sont évidemment pas absentes.

Cette position prend les alliés arabes de l’Amérique par surprise et affaiblit leur position. Certes, c’est un facteur de rapprochement avec Israël, mais qui ne règle rien. On pense à Paris qu’on fera plier les Ayatollahs alors que ce sont les plus radicaux qui seront probablement les grands gagnants de la prochaine élection de juin. Ce qui renforcerait la stratégie de Jérusalem.  Le règlement du processus avec les Palestiniens reste un sujet central dans tout ce qui peut encore se passer entre Israël et ses nouveaux partenaires. On a vu ce que signifie la paix froide avec l’Égypte et la Jordanie. Il ne faut pas se tromper, ces reconnaissances obtenues sous le trumpisme ne préjugent pas du futur. Les Européens et Joe Biden veulent absolument participer à un règlement, Israël doit donc s’attendre à des pressions très fortes de tous côtés.

Alors que Netanyahou tente de former un gouvernement qui serait sans doute encore plus opposé que jamais à la création d’un État palestinien et désireux de poursuivre les constructions contestées. Certains États arabes manifestent déjà leur déception de les voir se poursuivre. Force est de constater un rapprochement substantiel de la vision commune entre Européens et Américains après l’abandon du deal du siècle. On voit déjà le Quartet du Moyen-Orient, le format de Munich avec la France, l’Allemagne, la Jordanie et l’Égypte reprendre vie ; il ne faut néanmoins pas sous-estimer les pressions de Washington sur ses deux derniers pays qu’il soutient très largement.

Devant cette convergence de forces opposées à la poursuite des constructions, Israël doit marquer une pause, sauf à radicaliser ces différentes oppositions avec toutes les conséquences probables. On ne peut plus exclure que les membres permanents du Conseil de sécurité adoptent une position commune, contrairement à ce qui s’y passait depuis des années avec le véto américain quasi automatique.

Israël doit anticiper la possible constitution d’un axe transatlantique qui voudra imposer une solution à deux États. Ce qui serait un nouveau défi. Avec la présence de députés arabes israéliens, l’État hébreu pourra-t-il les ignorer ? Alors qu’il pourrait utiliser cette réalité pour prendre une initiative : proposer un mécanisme sur la sécurité de la région, qui emporterait l’adhésion des pays arabes partenaires et ferait pièce au futur plan américain d’une zone de non-prolifération nucléaire, que ni l’Iran, ni Israël ne veulent.

Tant pour ses citoyens qu’en matière de politique étrangère, Israël qui se considérait dans le camp occidental depuis toujours, car rejeté par tous ses voisins arabes, est devenu un État hybride mi occidental, mi oriental, qui doit s’intégrer dans la région. On ne peut pas signer des accords avec les pays voisins et poursuivre une politique qui risque de défaire demain ce qui a pris tant d’années à construire. L’heure n’est plus à la valse des égos et à qui deviendra calife à la place du calife, mais à des choix responsables d’hommes d’États, seulement motivés par l’intérêt national. Paraphrasons Diogène à Athènes, équipé d’une lanterne en plein jour, qui déclarait à qui voulait l’entendre «je cherche un homme»

 

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