Tirso de Molina |
L’œuvre à l’origine du mythe de Don Juan est une
pièce intitulée «Le Trompeur de Séville», écrite par un moine et
dramaturge espagnol nommé Tirso de Molina. Mais alors que le personnage de
Tirso de Molina blasphème et court les jupons tout au long de sa vie, il finit
malgré tout par se repentir et demande même l’absolution avant de mourir. Le
thème de Tirso de Molina est donc une condamnation radicale de la débauche et
de la mécréance, et pose que le Ciel finit toujours par châtier les hommes qui
croient pouvoir défier le Divin sans en payer le prix en fin de compte.
Mais le personnage de Don Juan de Molière et de
Mozart est plus nuancé et aussi plus complexe. Il s’agit d’un homme cultivé et
libertin dans l’acception du 17ème siècle, c’est-à-dire un libre penseur
affranchi de la religion et des interdits sexuels. Il n’a ni foi ni loi, entend
aller au bout de ses appétences et satisfaire sa sensualité sans se préoccuper
de la question morale. C’est un personnage transgressif qui casse les codes et
qui se moque des conventions sociales. Sa quête du plaisir est insatiable, ce
qui l’emmène à séduire les femmes les unes après les autres sans penser aux
conséquences, et à les oublier aussitôt conquises.
Pour arriver à ses fins Don Juan se sert de l’appât
du mariage comme mécanisme de séduction, et démontre qu’aucune femme n’y
résiste. Alors que l’on voit bien que Don Juan est sensible aux femmes en tant
que telles, celles-ci n’entendent que ce qu’elles veulent bien entendre, et
l’idée de convoler en justes noces prend le pas sur toute autre considération.
Même quand elles sont déjà fiancées, promises ou mariées, elles se font piéger
par Don Juan non pas parce qu’elles pensent qu’il est une meilleure personne,
mais parce qu’il incarne un meilleur mariage. C’est une arme absolue dans ses
mains, qu’il s’agisse de dames de haut rang ou de jeunes filles crédules et
modestes, toutes succombent au mirage du mariage que Don Juan manie avec
virtuosité. En d’autres mots, et pour l’exprimer de manière triviale, Don Juan
se marie pour baiser alors que ses victimes baisent pour se marier.
Don Juan et Elvire à la Comédie Française |
Le personnage de la pieuse Elvire est emblématique
de ce point de vue. En échange d’une
promesse de mariage, Don Juan fait sortir cette jeune aristocrate du couvent où
elle vit recluse en attendant le parti que sa famille lui destine. Don Juan
l’enlève du couvent et l’épouse, mais comme pour toutes les autres, l’abandonne
dès consommation. Les frères d’Elvire le recherchent pour lui régler son compte,
mais Don Juan leur échappe et continue sa course effrénée au plaisir malgré les
risques qu’il encourt et l’étau qui se resserre autour de lui.
Don Juan raille jusqu’à son dernier souffle ceux qui
le conjurent de se repentir. Aussi bien son valet que son père s’emploient à
essayer de le convaincre de retourner dans le droit chemin, mais rien n’y fait
parce qu’il n’a aucune intention, ni aucune raison de son point de vue, de
changer de vie. C’est un héros tragique, un personnage nietzschéen qui se veut surhomme
qui assume son destin jusqu’au bout, et qui finit – littéralement – par mourir
de plaisir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire