TERREUR ISLAMISTE PRÉVISIBLE À MANHATTAN
Par Jacques BENILLOUCHE
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Pour
certains, la promenade ensoleillée le long de la rivière Hudson s’est terminée
à 15h15. Une camionnette a utilisé la voie piétonne et cyclable le long de la
West Side Highway en heurtant plusieurs piétons et cyclistes puis en percutant un
autobus scolaire, blessant des enfants et des adultes. Huit personnes, dont des touristes d'Argentine
et de Belgique, ont été tuées. Parmi les morts on dénombre un homme
d’affaires juif argentin, Ariel Ehrlich, venu à New-York, pour célébrer le
trentième anniversaire de la fin de ses études.
Le
terroriste qui brandissait deux pistolets factices a été blessé par un policier
en patrouille. Il est certain que le lieu de l’attentat n’a pas été choisi au
hasard puisque plusieurs écoles s’y trouvent et qu’il s’agit d’un lieu
touristique réputé. Dans cette zone devait se dérouler le plus grand défilé
annuel du centre-ville de Manhattan. Des témoins rapportent que le
conducteur avait crié Allah Akbar (Dieu est grand). La police a par
ailleurs trouvé une note dans le camion où le conducteur prêtait allégeance à
l'État islamique, bien qu'il n'y ait eu aucune revendication immédiate de
responsabilité de la part de Daesh lui-même. L'enquête conjointe du FBI (Federal
Bureau of Investigation) et du NYPD (département de police de New York
déterminera avec précision les commanditaires de l’attentat.
Le
terroriste du nom de Sayfullo Saipov, originaire d'Ouzbékistan et âgé de 29
ans, s’était installé au New Jersey en 2010, en provenance de Floride et était
détenteur d’une carte verte de résident permanent. Il occupait un
emploi de chauffeur chez Uber après avoir passé toutes ses vérifications
d'antécédents.
Attentat de Nice |
Cet
attentat rappelle les attaques terroristes à Nice en 2016 où 86 personnes avaient
été tuées, à Berlin avec 12 morts en décembre 2016 ainsi qu’à Londres et
Barcelone. Les autorités de New-York avaient pris des mesures en plaçant des barrières
autour des cibles stratégiques, y compris Times Square. La police avait
sensibilisé les loueurs de camions pour signaler d’éventuels suspects. Mais le
conducteur est passé entre les mailles du filet en louant un camion dans un
magasin Home Depot de l'autre côté de la rivière, dans le New
Jersey.
Mais
sans aucune explication, la patrie de Saïpov ne figurait pas sur la liste de Donald
Trump des pays qui imposent un examen plus approfondi de leurs ressortissants.
Il s’agit bien d’une lacune puisqu’un autre Ouzbek avait déjà été responsable,
en janvier, d'un massacre dans une boîte de nuit d’Istanbul. Selon le gouverneur de l'État de New York,
l'auteur de l'attentat est un «loup solitaire», radicalisé aux
États-Unis et possédant des connexions avec l'État islamique.
En
réplique aux attentats du 11 septembre 2001, George W. Bush avait décrété la «guerre contre le terrorisme» (War on Terror), consistant en plusieurs
actions policières, politiques et militaires du gouvernement des États-Unis,
appuyé par différents alliés, dont l’OTAN, contre différentes organisations
liées au terrorisme islamiste, en premier lieu desquelles Al-Qaeda. Ces
opérations antiterroristes étaient appuyées par des comités créés par le
Conseil de sécurité des Nations unies qui, par la résolution 1373 du 28
septembre 2001, oblige tous les États membres de l'ONU à prendre des mesures
législatives contre le terrorisme.
Cette
campagne s’était démarquée de la lutte antiterroriste traditionnelle par des
actions militaires de grande ampleur à l’étranger, par le fait qu'elle s'oppose,
non pas à un État mais à des groupes non étatiques comme Al Qaeda, la guerre asymétrique.
Certains commentateurs avaient alors parlé d’un «état d'exception permanent» et condamné en parallèle les «guerres préventives» menées par Israël contre
les États accusés d’abriter des groupes terroristes ou susceptibles de leur
fournir des «armes de destruction massive». Israël avait organisé sa
propre lutte à travers le démantèlement des cellules terroristes, la
destruction des camps d’entraînement. Mais cela lui avait valu des
condamnations «unanimes», même de la part ses alliés.
Il avait réclamé la fin des aides financières aux pays qui ne participaient pas
à la lutte contre le terrorisme et la rupture des relations avec les États
voyous. Certains auteurs comme Noam Chomsky avaient même critiqué les Américains
en les accusant de pratiquer eux-mêmes le terrorisme à l’échelle internationale.
L’historien Jean-Michel Lacroix avait lui-aussi écrit : «On ne saurait
oublier que si les États-Unis condamnent le terrorisme d’État, c’est après
l’avoir appuyé en Indonésie, au Cambodge, en Iran ou en Afrique du Sud».
En
fait, la lutte contre le terrorisme est l’échec personnel d’Obama. On est certes
loin des 180.000 soldats américains déployés en Irak et
Afghanistan en 2009 lors de sa prise de fonction. Aujourd’hui les États-Unis restent
encore impliqués militairement dans plus de pays qu’en 2009. Si Ben Laden est
mort, Al-Qaeda existe encore et Daesh profite des crises locales pour
poursuivre son entreprise de déstabilisation mondiale. Obama n’a pas mis fin
aux guerres comme il l’avait prédit pendant sa campagne électorale.
Le Caire 2009 message aux musulmans |
Il n’a pas
pris de mesures radicales contre le terrorisme, en s’inspirant des méthodes
israéliennes. Il s’est borné à installer son pays dans une ère de guerre
permanente, avec des outils perfectionnés comme les drones armés et l’emploi
des forces spéciales, sans compter le recours croissant aux sociétés militaires
privées. Il n’a pas voulu prendre des mesures contre les États qui finançaient
et armaient les terroristes car il ne pouvait pas se mettre en porte-à-faux par
rapport à son discours de 2009, à la tribune du Caire, où il caressait les pays
musulmans dans le sens du poil. Alors il a laissé faire les uns qui soutenaient
les Frères musulmans et les autres qui appuyaient les djihadistes.
Il faut savoir
gré que le volet militaire est quand même resté dominant dans la stratégie
américaine contre le terrorisme. Obama avait redéfini les modalités du recours
au hard
power, avec la généralisation des assassinats de «cibles
de grande valeur» ou assassinats ciblés. Les Etats-Unis étaient
passés de la contre-insurrection au contre-terrorisme. Mais l’avènement des Printemps
arabes avait constitué une rupture, et le choix de ne pas intervenir en
Syrie avait pesé lourdement sur le bilan du président en politique étrangère.
Ces crises ont cependant
prouvé qu’il était difficile pour les États-Unis de se détourner du
Moyen-Orient, comme ils le souhaitaient, pour pivoter vers l’Asie. L’année 2014
a constitué un tournant pour Obama avec l’irruption de Daesh en Irak et en
Syrie qui a marqué le début d’un réinvestissement américain en Irak. Depuis
2014, on ne peut que constater l’augmentation continue de la présence de
soldats américains sur le terrain. Les Américains assurent toujours l’écrasante
majorité des frappes, à plus de 80% tandis que le retrait d’Afghanistan
est également ralenti, par peur d’un scénario identique. Mais le terrorisme
perdure.
La lutte par
procuration, qui repose sur l’assistance militaire américaine et le recours aux
forces armées des pays les plus immédiatement concernés, était au cœur de la
stratégie de contre-terrorisme de Barack Obama. Or cette focalisation sur des
partenariats sécuritaires a des conséquences négatives quand les pays ne veulent pas s’engager vraiment parce qu’ils ont d’autres objectifs. L’efficacité
américaine a été remise en question par les développements des deux dernières
années en Irak et Afghanistan, mais aussi en Somalie et ailleurs sur le
continent africain, dernier front de la lutte contre le terrorisme. Elle pose
également des dilemmes stratégiques, lorsque des alliés locaux des Etats-Unis
sont ennemis sur le terrain, à l’instar des forces kurdes et turques en Syrie.
Enfin, en ce
qui concerne la lutte contre le terrorisme sur le long terme, il est nécessaire
de lutter contre les causes du terrorisme et contre l’idéologie. Ce recours
au soft
power, centré sur le bla-bla politique et la contre-propagande, a
constitué une rupture majeure introduite par Obama qui aurait dû insister sur la
lutte contre les causes du terrorisme sur le plan économico-social, et la lutte
sur le plan des idées. Mais ce qui devait constituer la priorité du président américain
restera peut-être son plus grand échec : la lutte sur le plan idéologique
et la prévention de la radicalisation. Sa réorganisation des diverses
agences du département d’État fut un échec. Or les nouvelles pistes
devaient être axées, comme en Israël, sur la supériorité technologique.
Renseignement israélien |
Obama a eu tort
de ne pas s’associer à Israël pour faire du terrorisme la seule et unique priorité
de sa politique étrangère puisqu’il s’agissait d’une menace existentielle. En
fin de mandat il avait reconnu que la constance de la menace, même de faible
intensité, pouvait «faire de réels dégâts, affaiblir nos sociétés, et
créer le type de peur qui provoque divisions et les surréactions
politiques».
En
lui succédant, Donald Trump n’a encore rien fait de concret. Il se cherche
encore. Il vient simplement d’ordonner un renforcement du contrôle des
étrangers et la peine de mort pour les terroristes. Certes les contrôles aux
frontières ont été multipliés mais les terroristes radicalisés qui vivent déjà
aux Etats-Unis sont exempts de surveillance ou de
détention administrative à la manière israélienne si décriée par les Occidentaux, toujours prompts à
condamner l'arrestation et la détention de personnes sans jugement, même si
c’est pour des raisons de sécurité. Pourtant c’est le seul moyen de lutter
contre le terrorisme, de contrôler l'immigration clandestine ou de protéger le
régime en place. Bientôt, les méthodes israéliennes ne seront plus l’exception
dans les pays occidentaux. Le combat contre l’islamisme radical ne nécessite
pas de prendre des gants, surtout avec des tueurs.
1 commentaire:
Très bonne analyse Mr Benillouche, je suis un "élève" très attentif, j'apprends beaucoup des aléas de notre Monde, alors merci pour votre éclairage...
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