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mardi 5 mai 2015

UNE ENFANCE JUIVE À CONSTANTINE


UNE ENFANCE JUIVE À CONSTANTINE

Benjamin STORA interrogé par 
Jean CORCOS Judaïques FM


L’émission du 3 mai, a fait un retour à une histoire contemporaine qui a durablement traumatisé notre pays. Cette histoire, la Guerre d'Algérie, nous a été contée par un des meilleurs spécialistes du sujet, Benjamin Stora. Historien et professeur d'Université, il est à la tête de la Cité Nationale d'Histoire de l'immigration depuis quelques mois. Sa bibliographie sur la guerre d'Algérie compte quelques 24 livres déjà publiés, et cela sans compter les innombrables articles, documentaires, réalisés seul ou en collaboration, et les autres livres consacrés au Maghreb.



Sa démarche récente soulève un point qui a dû certainement parler au cœur de beaucoup de mes auditeurs : la dimension juive n’apparaissait pas dans ses jeunes années ni pendant les premières décennies de son travail. En 2006 il avait publié «Les trois exils. Juifs d'Algérie». Il vient de publier aux éditions Stock, un livre court de 137 pages, mais extrêmement dense : «Les clés retrouvées», avec sous-titre «Une enfance juive à Constantine». Il est lui-même le héros de l'histoire ; une histoire qui rassemble les éléments dispersés d'une mémoire enfantine, une mémoire qui se confond à la fois avec la guerre, mais aussi avec les dernières années de la communauté juive qui sera amenée à quitter la ville en même temps que sa famille, quand il avait tout juste 11 ans et demi.
Pour planter le décor historique de son récit, Benjamin Stora nous raconte deux journées particulières où sa mémoire s'est imprimée sur des événements historiques. La première journée du 20 août 1955, des soldats français entrent dans le petit appartement familial à Constantine. Comme devait le rappeler mon invité, Constantine est une ville bâtie sur un rocher, un peu «nid d'aigles», dont l’accès s’effectuait par l’un des ponts, ou en escaladant les gorges du Rummel qui faisaient face à leur immeuble. Ce chemin avait été  emprunté ce jour-là par des maquisards du FLN, repérés par les soldats qui leur ont tiré dessus à la  mitrailleuse. Effrayé par l'odeur de la poudre et par le bruit, le petit Benjamin âgé de cinq ans et demi, a vécu en direct l'entrée dans la guerre, en se demandant souvent s’il ne vivait pas le souvenir d'une scène de film.
Le 12 juin 1962, il quitte définitivement cet appartement avec ses parents et sa sœur aînée. Sa mère nettoie longuement les lieux alors que clairement ils ne reviendront pas. Puis ils partent, avec chacun deux valises et des manteaux, malgré la chaleur, pour amener le maximum de vêtements.
Dans le chapitre intitulé «Une si longue histoire», il évoque le riche passé de cette antique capitale berbère, en citant les mots d'admiration de Guy de Maupassant qui écrivit «Salut aux juives. Elles sont ici d'une beauté superbe». Où vivaient les Juifs, où vivaient les Musulmans, où vivaient les Européens, comment se répartissaient les quelques 100.000 habitants de la ville à l'époque ?
Quartier de  l'ex Bardo

Benjamin Stora a d'abord insisté sur le fait que la ville même de Constantine est comme un personnage de son livre. Les trois communautés vivaient séparées, chacune dans son quartier, les Juifs vivant à proximité du quartier musulman du Bardo. La communauté juive de cette ville, forte de 15 à 20.000 membres, vivait la religion de manière traditionnelle et pratiquait la langue arabe contrairement aux Juifs d'Alger et d'Oran. Elle avait une triple caractéristique ; elle avait conservé une proximité avec les Musulmans, grâce à la langue et au mode de vie, a été fidèle à sa religion, et était attachée à la République française qui l’avait émancipée.
Ses proches sont évoqués longuement dans le livre. En bon historien, mon invité avait  rassemblé le maximum d'informations sur sa famille, sur celle de son père, les Stora, et celle de sa mère, les Zaoui. Il insiste dans son livre sur les différences entre les deux familles, qui me semblent un peu emblématiques des transformations, à la fois sociales et culturelles, des Juifs d'Algérie pendant les décennies qui ont suivi le Décret Crémieux. Sur l'origine de son patronyme, il était convaincu pendant longtemps qu'il était d'ascendance séfarade alors qu’il s’agissait d’un nom d'origine berbère. On trouve ainsi un lieu nommé Stora, une plage où ils passaient leurs vacances les mois d'été. La famille Zaoui descendait aussi d'une grande famille d'origine berbère, des artistes renommés en bijouterie, des bijoux berbères souvent portés par des Musulmans. Faute de temps, Benjamin Stora n'a pas eu le temps d'évoquer la figure de son père,  qui s'est marié tardivement après avoir vécu en France avant la Guerre. Il a eu comme lui-même un engagement trotskiste durant ses jeunes années, et je me suis demandé si ce père, par ses valeurs, par sa vision du monde n'avait pas été inconsciemment un modèle pour lui.
Les relations avec les Musulmans sont décrites dans les pages 33 à 39 de son livre. Il évoque une ville et une vie très orientales, le voisinage direct des Algériens à qui on achetait la nourriture, qui étaient au courant des fêtes juives comme les Juifs étaient au courant des leurs, et avec lesquels ils avaient beaucoup de points communs comme la musique ou les séances de Hammam. En même temps, les Juifs maintenaient une distance assez méprisante face à leur misère. Fait appréciable, il a cité un historien algérien, Mohamed Harbi. Les Musulmans avaient des préjugés purement antisémites remontant à plusieurs siècles.  J’ai donc demandé à Benjamin Stora : «vous qui avez établi des relations confiantes avec beaucoup d'intellectuels musulmans, est-ce que vous pensez que cette réalité-là peut aussi leur être racontée ?». En réponse, mon invité a rappelé que la convivialité dans l'espace public existait bien, en particulier dans les orchestres ; en même temps, existaient de part et d'autre des préjugés, d'ordre religieux ou social, avec côté musulman un vieux mépris porté sur les dhimmis, et également une séparation sur un plan juridique. Mais nous n'avons pas pu, faute de temps aussi, revenir sur le regard porté aujourd'hui par les Algériens sur leurs anciens voisins juifs.
On peut reconstituer les souvenirs de la guerre d'Algérie à la lecture de son livre. Au début, on a l'impression que la vie continue. Les cafés sont pleins, les gens sortent, il y a de la gaieté et puis, après les illusions du début, la guerre s'installe, se durcit. Dans les deux dernières années, il ne sort plus de son appartement face aux plasticages de l'OAS ; il ne va plus à l'école. Il énumère dans son livre, en arrière plan historique, tous les attentats qui ont visé spécifiquement la communauté juive, ses synagogues, ses lieux de rassemblement, ses personnalités. Il a ainsi été tout près de l'endroit où a été assassiné le grand musicien Raymond Leyris, le 22 juin 1961.
Raymond Leyris

Mais parallèlement il y a eu des appels du pied du FLN pour que les Juifs restent ; il y a même le souvenir des deux amis musulmans qui rencontrent son père pour lui dire de rester. Pourtant, sur 130.000 Juifs d'Algérie, seuls quelques milliers restent, et ceux-là finiront même par partir. Ses parents quittent Constantine juste avant l'Indépendance ; pourquoi ces hésitations ? Selon Benjamin Stora, ils n'avaient jamais eu le sentiment qu'un jour ils devraient quitter le pays ; l'assassinat de Raymond Leyris a précipité leur décision, mais ils hésiteront encore un an. Les amis musulmans de son père n'étant pas parvenus à le rassurer sur ce que serait le statut des Juifs dans une Algérie indépendante, seule la fuite du pays leur apparut comme une solution.
Juifs d'Algérie


Enfin nous avons évoqué la relation avec Israël. La communauté d'Algérie a été l’une des moins sionistes du bassin méditerranéen ; seuls 4.000 personnes sont allées y vivre. Benjamin Stora souligne cependant, dans les deux dernières pages de son livre, l'importance croissante d'Israël pour les enfants et petits-enfants des rapatriés de 1962. Deux raisons à cela ; l’une négative concerne pour certains le ressentiment ; l'autre positive décrit Israël comme un nouvel «Orient rêvé» qui permet de renouer avec ses racines. Mon invité pense que les deux aspects peuvent s’appliquer et qu'Israël peut être cet Orient rêvé, très proche de l'Occident mais en même temps reliant les Juifs avec leurs origines. Israël fait revivre un peu l'identité de leurs parents; cette histoire des Juifs d'Algérie a bien existé et elle permet de construire des passerelles. 

Cliquer sur le lien pour écouter l'émission sur Judaïques FM

http://www.judaiquesfm.com/animateurs/3/corcos-jean.html

2 commentaires:

Véronique ALLOUCHE a dit…

Article intéressant sur Benjamin Stora.
La n'était pas le sujet bien sur mais j'aurais aimé que vous l' interrogiez sur ses prises de positions quant à l'enseignement scolaire du Maghreb et de l'islam.
Paradoxal pour un homme de gauche.....
Cordialement
Véronique Allouche

Avraham NATAF a dit…

Pourquoi nier l'appartenance au peuple juif en trouvant une ascendance berbère ou khazar, les tueurs antisémites n'y voient que des victimes potentielles.
N'y voient que des juifs