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mardi 17 décembre 2013

LA RÉVOLTE DES BÉDOUINS D’ISRAËL




LA RÉVOLTE DES BÉDOUINS D’ISRAËL

Par Jacques BENILLOUCHE
copyright © Temps et Contretemps


        La révolte des Bédouins du Néguev a surpris parce qu’il s’agit de tribus arabes nomades pastorales, d’une part pacifiques et d’autre part très impliquées dans la vie israélienne et dans l’histoire du pays. Depuis la fin de l'empire ottoman, les Bédouins, partiellement sédentarisés vivent de l'élevage du bétail dans les zones désertiques du Néguev qui fait partie d'Israël depuis 1948.



Des tribus nomades


Les tribus bédouines du Néguev se subdivisent en trois catégories : les descendants des nomades arabes originaires principalement de l'Arabie saoudite, les descendants des tribus bédouines du Sinaï et les paysans palestiniens venus des zones cultivées. Depuis la création de l’État d’Israël en 1948, une partie s’est installée dans les pays voisins tandis qu’un processus de sédentarisation a été imposé à ceux qui étaient restés en Israël. 
Village d'Umm Al-Hiran non reconnu

La population bédouine du Néguev est évaluée à 210.000 personnes. Entre 1968 et 1989 Israël a construit sept villages pour la population bédouine  mais plus de la moitié des Bédouins s’y est installée. Les autres, évalués à 90.000, sont restés dans 46 villages, dont le village d’Umm Al-Hiran, non reconnus par le gouvernement sous le prétexte qu’ils ont été construits sans planification avec aucun raccord à l’électricité ni à l’eau courante. Israël a donc été contraint de prendre des mesures pour les Bédouins du Néguev de façon à ce qu’ils puissent bénéficier de services publics, de services de santé, de transports publics, d’accès à l’eau et à l’électricité et de services éducatifs. Il menace de détruire ces villages illégaux pour installer les habitants dans des cités nouvelles dotées d'une solide infrastructure.
Ville bédouine de Rahat

Cette évolution dans le nomadisme pastoral a poussé les Bédouins à se qualifier «d’Arabes du Néguev» puisqu’ils sont en majorité sédentarisés dans une région qui représente 60% de la surface de l’État d’Israël mais qui n’abrite que 8% de la population. Les Bédouins, du Néguev, qui disposent de la nationalité israélienne, sont actuellement en situation conflictuelle avec le gouvernement car une grande partie d’entre eux refuse de se sédentariser et d’abandonner leur structure en tribus disposant chacune de son propre territoire dans le désert.

Proches des Israéliens



Quoique Arabes, les Bédouins forment une société distincte du monde arabe et ont toujours été très proches des Israéliens au point d’ailleurs de les avoir aidés lors des combats de la guerre d’indépendance de 1947. En 1946, le chef de la tribu Abu Yusuf al-Heib a envoyé plus de 60 de ses hommes pour combattre aux côtés des forces israéliennes contre leurs voisins arabes en Galilée. 
Libération du Sheikh  de la tribu d’El Abu Agheila

Les troupes égyptiennes avaient poussés les Bédouins dans les bras des Israéliens après avoir commis l’erreur en 1947 de mener une politique répressive contre ceux qui campaient près de Beersheba  parce qu’ils les soupçonnaient de fournir un soutien militaire aux Israéliens. Ils les avaient enfermés dans des camps qui n’ont été libérés par Tsahal qu’en octobre 1948. Ce fut ainsi le cas du Sheikh  de la tribu d’El Abu Agheila. Par reconnaissance des jeunes bédouins s’étaient alors engagés dans les forces de défense israélienne dès 1949.  Depuis, ils ont participé à toutes les fêtes de l’indépendance israélienne juchés sur leurs chameaux. 
Soldats bédouins

Bien que le service militaire ne soit pas obligatoire pour les Arabes israéliens, de nombreux Bédouins ont fait le choix de servir en tant que volontaires dans l’armée régulière ou dans le service civil. Certains ont d’ailleurs reçu la plus haute médaille de Tsahal, l’Ordre de la Distinction,  à l’instar du  lieutenant-colonel  bédouin Abd El-Amin Hajer (connu sous le pseudonyme Amos Yarkoni). De nombreux soldats ont également reçu des distinctions pour leur participation à l’opération «Plomb durci» à Gaza.
Bédouin pisteur
 

Les Bédouins servent dans l’armée en tant que traqueurs le long des frontières ou au sein d’une unité spéciale, la Brigade de Reconnaissance du Désert. Au moins 180 Bédouins sont tombés au champ d’honneur dans les différentes guerres israéliennes. Par leur connaissance de l’arabe, les Bédouins participent à des missions spéciales et en tant que pisteurs, à la fois dans le sud du pays mais aussi en Cisjordanie. Le capitaine bédouin Said a affirmé récemment : «Je me suis porté volontaire car je veux protéger mon pays».  C’est dire la volonté des Bédouins de marquer leur appartenance à la nation israélienne. 
Leur motivation de servir dans l’armée est certes nationaliste mais aussi sociale car l’accomplissement du service militaire leur donne accès à tous les emplois en Israël, en particulier dans les industries liées à la sécurité du pays pour lesquelles le service militaire est un préalable. Pour cet officier, l'intégration des Bédouins dans l'armée et la société israélienne est la preuve de la possibilité d'une coexistence judéo- musulmane, qui «pourrait servir d'exemple de la façon de résoudre l'ensemble du conflit judéo-arabe».



Nouvelle stratégie gouvernementale


Ben Gourion à Sdé-Boker


Mais ce conflit qui vient d’exploser  tient à la nouvelle volonté du gouvernement de peupler le Néguev. C’était le rêve du fondateur de l’État, Ben Gourion, qui avait d’ailleurs décidé de s’installer au Kibboutz  Sde Boker pour donner l’exemple. Certains y voient aussi les prémisses d’une éventuelle réinstallation d’habitants de certaines implantations évacuées de Cisjordanie, si un accord négocié intervenait avec les Palestiniens. 

Tsahal a décidé de bouleverser le Néguev en construisant une ligne de chemin de fer, en créant une nouvelle ville, Ir Habahadim,  avec l’arrivée de milliers de soldats. La ville sera  verte, conçue dans un environnement exploitant uniquement l’énergie solaire avec tri des ordures, mise en valeur des toitures, protection des nappes phréatiques et recyclage sans oublier les supermarchés, les centres commerciaux, une gare de train et d’autobus, un centre culturel et même une piste cyclable depuis Beersheba. 
Nouveau complexe au Néguev

Un nouveau campus académique accueillera toutes les écoles militaires du pays. À partir de 2014, les principales bases et centres névralgiques de l’armée, actuellement dans la région de Tel-Aviv, s’installeront sur les dunes. Cela libèrera ainsi 4 millions de m2 de terrains au centre d’Israël qui seront ainsi dédiés à des logements pour compenser la pénurie et faire baisser les prix de l’immobilier qui explosent.

Ce projet presque pharaonique entraine une nouvelle perception du Néguev jusqu’alors abandonné aux Bédouins et aux nomades. C’est ainsi que le Plan Prawer, discuté à la Knesset en janvier 2013, a mis le feu aux poudres. Il a été conçu pour résoudre le problème de villages bédouins non reconnus dans le Néguev et pour mettre fin aux revendications territoriales, en échange d'une compensation. L’occupant de la propriété devait accepter le compromis offert, faute de quoi la terre serait enregistrée comme appartenant à l’État d’Israël.  Dans les circonstances actuelles, le gouvernement argue en effet qu’il ne peut pas fournir de services gouvernementaux, depuis les infrastructures jusqu’à l’éducation nationale.

Manifestations violentes


Mais cette petite minorité silencieuse a décidé de faire parler d’elle. Des milliers de manifestants bédouins se sont alors élevés contre la nouvelle règlementation qui devait leur être appliquée et limiter leurs revendications territoriales dans le Néguev. Des Bédouins ont été arrêtés, des policiers ont été blessés après des heurts violents. Pour le nationaliste Avigdor Lieberman : «Nous ne parlons ni d’un problème de société, ni de pénurie de logements. Il s'agit d'une lutte pour la terre. Nous nous battons sur les terres nationales du peuple juif et il y a ceux qui tentent délibérément de voler et de s'en emparer par la force. Nous ne pouvons pas fermer les yeux ni fuir cette réalité».

Les hommes politiques arabes ont pris le train en marche et en particulier les députés du parti Hadash et l’ancien député arabe Taleb El-Sana, leader des Bédouins du Néguev qui a adressé des menaces violentes contre le gouvernement : «les manifestations sont un avertissement à un gouvernement qui continue avec une politique de déracinement et de nettoyage ethnique. Je tiens à mettre en garde contre une troisième intifada si le gouvernement ne se ressaisit pas et n’entretient pas le dialogue plutôt que d'utiliser la menace de la force.» 
Bédouins avec drapeau palestinien

Mais les autorités israéliennes s’inquiètent car durant les manifestations, dans les villes mixtes arabo-juives de Haïfa et de Jaffa, et dans les villes arabes d’Israël Taybé, Tira et Qalansawe, de nombreux jeunes bédouins, jusqu’alors fidèles à Israël, ont brandi des drapeaux palestiniens. Le risque de voir les Bédouins rejoindre les Palestiniens est donc grand.  

Face à ces manifestions d’une ampleur imprévue, relayées par les Arabes palestiniens,  le gouvernement israélien a décidé de calmer le jeu et de geler le plan controversé de réinstaller 30.000 Bédouins. Ce n’était pas le moment de se mettre à dos une communauté jusqu’alors silencieuse qui collabore avec l’État d’Israël et qui risque de faire jonction avec les Bédouins du Sinaï entièrement aux ordres d’Al-Qaeda. Mais il n’a pas précisé s’il s’agissait d’une décision temporaire ou définitive. Certains l’accusent déjà de vouloir calmer la situation et de présenter le projet sous une autre forme juridique, après lui avoir fait subir de grands changements.

3 commentaires:

Jean AYMAR a dit…

Et si on les laissait vivre comme ils l'entendent ?

Spira a dit…

Réponse à Jean Aymar:
Ils n'ont aucun titre de propriété sur ces terres. Soit ils sont nomades et ils bougent, soit ils sont sédentaires et ne doivent pas être autorisés à rester sur des terres qui ne leur appartiennent pas.

Vince a dit…

Bonsoir Jacques,

Connaissez vous la part de Bédouins dans les manifestants ? Il me semble que ce litige a été instrumentalisé par la gauche israélienne et les partis arabes.
De plus, je pense que vous êtes très (trop)optimistes quant à la loyauté des Bédouins d'Israël au début de votre article. Certes il existe une minorité patriote qui occupe de très bonnes place dans l'armée, mais elle n'a toujours été qu'une simple minorité.