LE MODÈLE ISLAMIQUE TURC
Par Jacques BENILLOUCHE
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Place Taksim à Istanbul |
Toutes
les nouvelles révolutions arabes ont brandi le modèle turc comme étendard d’un
islamisme rigoureux mais moderne. C’est un leurre dans lequel les occidentaux
se sont engouffrés benoitement car il n’y a qu’un seul islamisme pur et dur qui
s’infiltre sournoisement dans les rouages de la démocratie pour parvenir au
pouvoir. Une fois les outils de la démocratie verrouillés et l’armée
neutralisée, les dirigeants islamistes procèdent alors au changement de société,
pas à pas, pour ne pas provoquer les laïcs ni les démocraties occidentales. De
ce point de vue, la Turquie est un concentré de ce qui se fait de pire dans la
sournoiserie et le culot.
Atatürk et Erbakan
Mustafa Kemal Atatürk
Le fondateur de
la République, Mustafa Kemal Atatürk doit se retourner dans sa tombe alors qu’il
avait transformé son pays en démocratie moderne et laïque. Il avait donné le droit
de vote aux femmes, restreint le port des vêtements islamiques et remplacé les
lettres arabes par l’alphabet romain. Mais Tayyip Erdogan avait compris que l’armée
restait la garante de la voie tracée par le grand leader turc et il n’a eu de
cesse de la briser en écartant ou en emprisonnant ses principaux généraux, sous
le motif fallacieux de complot contre l’État. L’armée a été décapitée et désorganisée ce qui lui
pose d’ailleurs un problème d’efficacité face aux rebelles kurdes du PKK qui
lui infligent de sérieuses pertes.
Necmettin Erbakan
En fait Erdogan
a appris la leçon de son prédécesseur Necmettin
Erbakan, premier ministre islamiste de juin 1996 à juin 1997, partisan d’un grand marché commun islamique du
Maroc à l’Indonésie et opposé à la politique kémaliste favorable à l’Europe et
à l’Occident : «Nous ne sommes pas occidentaux, nous ne sommes pas européens
parce que l’Union européenne est un club chrétien sous influence maçonnique».
Les européens, qui devraient se remémorer ces vérités, pourraient réfléchir à deux fois
avant d’intégrer la Turquie dans l’Union européenne.
Manifestation à Akara en 2007
Mais Erbakan avait
été poussé à la démission sous la pression des militaires, avec interdiction d’activité
politique. Aujourd’hui les tensions entre les musulmans pratiquants et les
défenseurs de la laïcité sont canalisées par un pouvoir islamiste qui fait
taire les opposants. Il est loin le temps où 700.000 personnes manifestaient en
2007 à Istanbul contre la candidature à la magistrature suprême du ministre des
Affaires étrangères, Abdullah Gul. La foule s’était alors réunie sur la place
Tandogan à Ankara, au pied du mausolée dédié à Kemal Atatürk, avec des
banderoles : «Demain, il sera trop tard» ou «Respect pour la
religion mais NON à l’islamisme».
Édification
de mosquées
Mosquée bleue
Les
manifestants de 2007 avaient vu juste car il est effectivement trop tard à présent puisque
tout est verrouillé. L’armée ne bouge plus alors que le 18 juillet 1997 elle
avait envoyé ses chars dans la rue pour pousser Erbakan à la démission. Cependant,
malgré la crise économique mondiale, le gouvernement actuel d’Erdogan a maitrisé
l’inflation et a engagé de sérieuses réformes soutenues par l’Union européenne
ce qui pourrait expliquer la passivité actuelle des militaires qui attendent
que la situation pourrisse pour intervenir en sauveurs de la nation.
Le premier
ministre Recep Tayyip Erdogan surfe sur la neutralisation de l’armée pour
islamiser son pays, à petits pas. Il vient de confirmer qu'une mosquée sera
édifiée sur la place Taksim, une des principales esplanades d’Istanbul qui a
toujours été l’enjeu des luttes entre islamistes et partisans laïcs. Il a
également prévu l'édification prochaine d'une gigantesque mosquée de 30.000
places, sur la plus haute colline d'Istanbul, Camlica, qui surplombe le détroit
du Bosphore. Il envisage de la construire à l’égale de La Mosquée Bleue bâtie par l’architecte Sedefhar Mehmet Aga,
élève du célèbre architecte Sinan, entre 1609 et 1616 sous le règne du sultan
Ahmet I.
Colline de Camlinca
Le gouvernement
turc vient de mettre fin au port de l’uniforme dans l’enseignement primaire et secondaire
et a autorisé les jeunes filles à porter le voile en cours de religion en
attendant de l’autoriser dans les universités pour le généraliser enfin dans l’espace
public. Le débat est aussi ouvert sur la levée de l'interdiction des confréries
religieuses. Les mesures sont progressives mais l’objectif final sera sans
doute l’islamisation à outrance de la société turque.
C’est ce modèle, dit "modéré",
qui est pris en référence par les révolutions arabes et il n’est pas certain qu’il
favorisera à court terme une démocratie moderne et laïque alors que la Turquie a choisi d’entrer progressivement
dans l’obscurantisme islamique.
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