Les
chancelleries occidentales semblent avoir été prises au dépourvu par le
comportement de la Russie au Moyen-Orient alors que les évènements de Syrie ne
font que confirmer la nouvelle stratégie russe qui se profilait depuis
plusieurs années. Les dirigeants israéliens n’ont pas été surpris par la
tournure de ces liens.
Ils avaient déjà pressenti cette évolution lors des
discussions "franches" faisant suite au réchauffement de leurs
relations par la Russie de Poutine. Israël avait été préparé depuis la visite
en Israël du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov en 2004, suivie
immédiatement par la première visite historique d’un chef d’État russe,
Vladimir Poutine, le 27 avril 2005, dans le cadre de relations qui redevenaient
normales.
En effet, à l’époque, les deux pays se sentaient en
communauté de destin et de malheur après les attentats et les prises d’otages
organisés par les tchéchènes. La lutte commune contre le terrorisme islamiste
faisait écho au sein des deux capitales. «Le terrorisme qui a frappé en
Russie est exactement du même type que le terrorisme qui nous affecte»,
avait affirmé à Jérusalem le premier ministre Ariel Sharon en présence du
ministre russe des Affaires étrangères. Malgré l’oreille attentive des russes,
empêtrés dans les problèmes liés au terrorisme, les israéliens étaient
suffisamment réalistes pour comprendre que leur soutien opportuniste pouvait
fluctuer avec les intérêts stratégiques du moment.
Trémolos opportunistes
Le retour en force des russes au Proche-Orient avait
été planifié et passait par la normalisation des relations avec Israël pour
neutraliser tout conflit avec l'acteur majeur de la région. Les anciens
pionniers, invités aux réceptions officielles des hauts dirigeants russes à
Jérusalem, s'étaient remis à rêver. Ils se rappelaient, qu’à la création de
l’État juif, l’URSS symbolisait, avec les pays de l’Est, l'allié
principal.
Ils avaient encore en mémoire les paroles prononcées
par Andreï Gromyko à la tribune de l’ONU en 1947, avec des trémolos dans la
voix : «Pour ce qui concerne l’État juif, son existence est un fait, que
cela plaise ou non. La délégation soviétique ne peut s’empêcher d’exprimer son
étonnement devant la mise en avant par les États arabes de la question
palestinienne. Nous sommes particulièrement surpris de voir que ces États, ou
tout au moins certains d’entre eux, ont décidé de prendre des mesures
d’intervention armée dans le but d’anéantir le mouvement de libération juif.
Nous ne pouvons pas considérer que les intérêts vitaux du Proche-Orient
se confondent avec les explications de certains politiciens arabes et de
gouvernements arabes auxquelles nous assistons aujourd’hui». Les dirigeants
israéliens considèrent ce discours du temps de la Guerre froide comme très
actuel.
Mais après avoir été éjectée de la région et avoir subi une éclipse de plus de
quinze ans, la Russie voulait reprendre pied au Moyen-Orient. Elle avait
regretté d’avoir laissé le champ libre aux américains en Irak et en Afghanistan
et permis aux États-Unis et Israël de piétiner les plates-bandes de ses anciens
satellites soviétiques.
Davit Kezerashvili |
En effet, Avigdor Lieberman, ministre des affaires étrangères, constatant
l’isolement diplomatique d’Israël en Europe, s’était tourné vers les anciens
pays de l’URSS dont il est originaire, pour compenser la frilosité des
occidentaux. Des entreprises israéliennes avaient ainsi équipé la Géorgie en
armement sophistiqué utilisé d’ailleurs lors de son conflit avec la Russie en
2008. Grâce aux relations personnelles avec le ministre de la défense géorgien,
Davit Kezerashvili, ancien immigré israélien, l’entrainement des troupes de
fantassins avait été confié à des cadres de Tsahal. La Russie n’avait pas
beaucoup apprécié cette ingérence israélienne.
Plates-bandes russes
Par ailleurs, la signature depuis septembre 2008 de
contrats d’armement de plusieurs centaines de millions de dollars avec la
république d’Azerbaïdjan, à majorité musulmane, mettait
cet ancien satellite sous influence occidentale. L’Azerbaïdjan avait même
décidé d’abriter depuis janvier 1999 des bases de l’OTAN. L’utilisation du
Caucase dans la nouvelle stratégie de défense israélienne n’était pas vue d’un
bon œil par les russes qui constataient qu’ils se faisaient doubler dans leur
propre zone d’influence.
Les pays arabes, qui lui achetaient auparavant des
armes, lui ont tourné le dos car, inquiets de l’équipement nucléaire de l’Iran,
ils préféraient s’abriter sous le parapluie nucléaire américain contre les
risques d’un voisin turbulent. Barack Obama avait bien manœuvré pour consolider
ses alliances après la présentation de sa doctrine du haut de la tribune
égyptienne.
Les russes ont donc décidé de changer de stratégie par une entrée en force au
Moyen-Orient en réarmant la Syrie et en aidant l’Iran dans sa quête du
nucléaire. Ils avaient d’ailleurs systématiquement contrebalancé leurs visites
en Israël, de 2004 et 2005, par la reprise de liens avec l’Arabie Saoudite, le Yémen
ou les Emirats. L'échec de la normalisation des relations syro-américaines leur
avait ouvert une nouvelle opportunité lorsque Barack Obama a renouvelé les
sanctions contre la Syrie accusée d'armer le Hezbollah et d’entretenir
des liens avec l'Iran et avec le Hamas.
Alors, s’inspirant de la technique de surenchère
datant de la Guerre Froide, Damas a utilisé l'influence de Moscou pour
contrebalancer celle de Washington. Les trois visites en Russie du président
Bassar al-Assad, depuis son arrivée au pouvoir en 2000, ont fini par payer.
Réarmement régional
Israël
ne s’était pas inquiété des conséquences de la visite en Syrie, le 10 mai 2010,
du président Medvedev, la première d’un chef d’Etat russe, car il s’agissait
d’abord de renouer les liens économiques. Il était accompagné d’une délégation
civile d’hommes d’affaires sous la conduite du ministre de l’énergie Sergei
Shmatko. L’État juif avait été conforté dans sa vision puisque les discussions
couvraient le programme économique et en particulier, le projet de gazoduc qui
devait approvisionner l’Europe en gaz pour contourner l’Ukraine qui donnait des
signes de rébellion.
Mais Israël a mesuré le changement de donne lorsque la Russie a décidé de
moderniser les équipements militaires de la Syrie, complètement obsolètes et en
mauvais état. La Russie était contrainte à des contreparties militaires pour
son exploitation du gaz et du pétrole en Syrie tout en cherchant à équilibrer
les forces en présence.
Les diplomates avaient d’ailleurs préparé leur justification de la nouvelle
attitude russe : «cette visite exprime l'estime de la Russie envers le
rôle joué par la Syrie pour préserver la stabilité dans la région, et son
soutien à la politique de la Syrie et à son droit à récupérer le Golan». En
soulevant le problème du plateau syrien annexé par Israël, les discussions ne
concernaient plus alors la coopération économique et commerciale mais, plus
précisément, le conflit au Proche-Orient dans lequel voulaient s’insérer les
russes.
La
décision de Moscou de vendre des avions de combat, des armes antichars et des
systèmes de défense antiaériens alimentait l'inquiétude des israéliens parce
qu'une partie de cet armement pouvait être transférée au Hezbollah libanais. Le
soutien affiché au chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, a «déplu»
à Israël après la déclaration du porte-parole russe : «Le Hamas
n'est pas une structure artificielle, c'est un mouvement qui s'appuie sur la
confiance et la sympathie d'une grande partie des Palestiniens. Nous sommes
convaincus qu'on peut garantir la mise en œuvre des exigences de la communauté
internationale seulement sur la voie de l'unité de tous les Palestiniens et pas
sur celle de l'isolement de certaines mouvances ».
Courbettes
au Hamas
Cette attitude n’était pas inédite puisque
les dirigeants russes avaient toujours considéré le chef du Hamas comme un
interlocuteur acceptable après l’avoir reçu en grandes pompes à Moscou. Le revirement politique avait été
suffisamment significatif pour entrainer une riposte d’Avigdor Lieberman : «Le
Hamas est une organisation terroriste à tous les points de vue. Elle a comme
unique objectif de détruire l’État d’Israël. Israël ne fait aucune différence
entre la terreur du Hamas qui s’attaque à Israël et la terreur des Tchétchènes
qui s’attaquent à la Russie. Il n’y a aucune différence entre Khaled Mechaal et
Salmanovitch Bassaïev. Israël a toujours soutenu la Russie dans son combat
contre la terreur tchétchène. Nous nous serions attendus à une réaction
semblable de votre part quand il est question du terrorisme du Hamas contre Israël».
Mais
l’inquiétude d’Israël avait alors atteint son paroxysme lorsque Dimitri
Medvedev et Bassar El-Assad ont envisagé l'éventuelle construction en Syrie
d'une centrale nucléaire russe : «Si la Syrie prend la décision de
développer son énergie nucléaire, notre coopération sera tout à fait
possible, une fois que la décision est prise, le déroulement ultérieur des
choses est évident. L'essentiel est de respecter toutes les normes et les
exigences de l'AIEA ». Cette décision avait été interprétée par Israël
comme un casus belli car la doctrine du premier ministre Menahem Begin, dictée
en 1981, reste en vigueur et stipule «qu'Israël bloquerait toute tentative
de ses adversaires d'acquérir des armes nucléaires» à fortiori, lorsque le
nucléaire est détenu par un pays frontalier.
Si la Russie
avait décidé d’enflammer la région, elle ne se serait pas prise autrement. Le
revirement russe, planifié de longue date, a poussé les syriens vers une fuite
en avant dont les conséquences destructrices étaient prévisibles. La doctrine
russe s’était mise en place dans le scepticisme occidental qui feint
aujourd’hui de n’avoir rien vu venir. Bassar Al-Assad surfe sur la volonté des
russes de ne pas perdre pied au Moyen-Orient.
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