Meute ! Le monde est meute !! Shalom,
l’habituel provocateur, s’était levé, au milieu du groupe de nouveau assemblé,
pastichant de sa voix sonore la chanson culte de Starmania. Il avait prévenu
Jonathan, le thème dont il souhaitait faire débattre ce groupe, était celui-là,
la meute. Sa préscience, chez lui, s’était imposée conscience sous
l’effet des affrontements stéréotypés, répétitifs, caricaturaux de cette nième
élection israélienne. Aucune chance que la comédie se renouvelle ! Car,
répéta-t-il, Le monde est meute. Les espèces animales, végétales mêmes,
et, bien sûr, humaines, ne vivent qu’en meutes. Lévi-Strauss, toujours lui,
nous a prévenus. Les Bororos ne se mélangent pas aux Araras.
Manif politique |
Mais, reprit-il d’un ton soudainement modéré et faussement dubitatif, Houellebecq
nous dit autre chose. Il lut lentement un papier qu’il sortit magiquement
de sa poche arrière. «On pourrait exister en tant que membre d’une
communauté mais l’injonction contemporaine est de s’en extraire.
L’individualisme conduit à l’isolement et force les individus à devenir
singuliers, à se distinguer pour exister». Alors, lança-t-il, redevenu
grandiloquent, qu’est-ce que vous me dites de cette quadrature du cercle ?
Le premier temps fut celui du silence pesant, des yeux écarquillés
ou des échanges de regards, des caresses de mentons. Et la première réaction
provint de la sévère prof de Lettres. Probablement sous le sentiment qu’on
chassait sur ses propres terres. Car il s’agissait là, de LA question dont la
littérature, le théâtre, traitaient fondamentalement. To be or not to be.
Être soi-même ou rester l’élément d’un tout. Rastignac veut sortir de son
groupe social. Gide vomit sa famille. «Famille, je vous hais».
Houellebecq/Shakespeare, même combat : l’individu doit se distinguer pour
exister.
La réaction à la réaction ne se fit pas attendre. Car, opposa un
jeune participant en se levant pour renforcer sa position, la vie en meute est
la loi de la vie. C’est vrai qu’en Israël, comme ailleurs, la droite, la
gauche, le centre, ici les religieux et les laïcs, se renvoient à la figure des
discours immuablement standards. Mais, heureusement. Le citoyen peut choisir. Sinon
il serait face à un tohubohu d’opinions., un capharnaüm impénétrable. La
famille reste l’unité collective la plus attachante. Dans le monde entier. Le
jeune homme reçut le renfort immédiat du gendarme, en short, et sandales, débraillé
comme tout le monde. La vie en meute est une vie de nature. Il y a la meute
professionnelle. Celle des gendarmes. Qui affronte celle des bandits. La
meute des Français du mois d’août dit-il en clin d’œil. Une nouvelle
voix s’éleva pour surenchérir. La meute, c’est la solidarité, la sécurité, la
spontanéité. L’individu, c’est l’isolement, les sept péchés capitaux, le chacun
pour soi !!
Shalom, sentant affleurer le sang de la polémique, lança sa flèche :
Meute 1, Individu 0. Avec un succès immédiat. Meute veut dire
solidarité. Tout-à-fait exact. Mais à l’exemple de la solidarité qui règne dans
la population arabe. Une solidarité clanique. Soudant la famille agrandie. Mais
exclusive. Ne s’étendant pas à la communauté tout entière. Conduisant à
l’immobilisme municipal. C’était là, la chercheuse en science sociale qui
s’exprimait. La meute, c’est aussi le rejet. Qui fait qu’aussi en politique, la
règle devient l’anathème. Bête et méchant. Qui, de fait, prive le citoyen d’une
confrontation dépassionnée, rationnelle. Le vieux libraire, participa à
l’halali. Sans compter, le boulevard qu’ouvre à la logorrhée de meute les trop
tentants réseaux sociaux. Tombereaux d’insanités, théories partagées de
complots, fausses nouvelles se succèdent en tirs groupés. Avec aussi, ce que
cela entraîne de discours obligés, d’adhésion automatisée à une autorité, de
favoritisme, de flagorneries.
Trop plein d’arguments à charge de la meute pour que le retour de bâton
ne se manifeste pas. La liberté de penser, elle est bien du côté de l’individu.
Le plus souvent contre la pensée obligée de la communauté, s’indigna la toute
blonde coiffeuse. D’où provient le flux permanent de progrès qui envahit tous
les domaines d’activité, interrogea à son tour, l’informaticien de choc,
habitué du groupe ? De l’initiative et l’imagination personnelles,
augmentée par l’effacement des frontières entre meutes justement. La famille
constitue le socle d’épanouissement de la vie collective, mais elle ne s’épanouit
que dans la réussite de chacune des vies individuelles qu’elle recouvre, finit
par dire le libraire.
Tout heureux d’avoir, à la fois soulevé le lièvre de la
confrontation entre meute et individu, et d’avoir soulevé les
braises d’un débat enflammé, Shalom, resté debout pendant la durée de la
discussion, se rassit, large sourire aux lèvres. Jonathan eut beau jeu à faire
valoir combien ce moment de joute au sein de leur groupe illustrait de parfaite
façon la vie en meute sous stimulation de l’irrévérence personnelle. Et, un peu
contaminé par le goût de la provocation, il ne put s’empêcher d’ajouter au
climat d’interrogation que Shalom avait joyeusement initié, en reprenant une
des maximes favorites de Mark Twain, «Les deux jours les plus importants de
votre vie, sont le jour où vous êtes né, et le jour où vous découvrez pourquoi».
1 commentaire:
« Mais, heureusement. Le citoyen peut choisir. » est-il dit dans le texte.
Choisir entre qui et quoi? Entre l’illusion de beaux discours qui promettent des lendemains qui chantent alors que le pays s’enfonce dans un libéralisme forcené?
« Qu’un chien aboie et la meute suit. »
Comme partout. Comme toujours.
Enregistrer un commentaire