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mercredi 30 mars 2022

Quand ? par Claude MEILLET

 

QUAND ?


Par Claude MEILLET

 

Guerre d'Ukraine

Y sont nuls. Le verdict était définitif. Sans appel. Jonathan écoutait, mine de rien, la conversation entre sa petite nièce, douze ans, et un de ses copains, vieux lui, treize ans. Assis en tailleur devant la télé, ils regardaient les images des décombres, éventrements d’immeubles, carcasses de véhicules. Au milieu desquels, circulaient hagards, claudicants, maculés, blessés, quelques femmes, enfants, vieillards hébétés. Nuls, disaient-ils, tous ces grands du monde, ces organismes fastueux et inutiles dont ils ne connaissaient pas le nom, ces pays, ces États, ces hommes politiques, ces bavards de télévision. Les adultes, quoi. Y sont nuls. Comment laissaient-ils, tous, cette barbarie continuer ? Personne pour couper en morceaux ce fou de Putin ? Non, Poutine, rectifia-t-il. Quand vont-ils se décider à arrêter tout ça. Quand ? Se sentant nul parmi les nuls, Jonathan se demanda, lui aussi. Quand ?




L’accélération du temps, vers le futur, vers le progrès, scientifique, économique, social, se retournait soudain, à une vitesse vertigineuse, vers le passé. Le pire. Celui de 40/45. De Poutine à Hitler. Répétant au passage, Grozny, Alep. L’anéantissement, en toute impunité, d’une ville entière. Et d’un pays. Comme si l’enseignement, l’ensaignement se dit-il, par trente millions de morts, par les ruines de tout un continent, n’était pas parvenu à transformer les hommes en adultes. Véritables adultes. C’est-à-dire défenseurs absolus de la paix. Quand ?

Quand les hommes vont-ils se doter des moyens et des instruments d’interdiction de toute guerre ? D’une ONU qui ne soit plus nue, impuissante chambre d’enregistrement ou de protestation vide. Mais détentrice d’un droit délégué par tous les pays du monde, d’interdiction de toute guerre. Porteuse des sanctions immédiates, non plus seulement économiques mais militaires Via une force armée, universelle, importante, équipée, engagée dans l’imposition de la paix. Un organisme mondial qui contrôle la production et la distribution d’armes. Qui, oriente la recherche et la technologie non plus vers l’industrie de mort, comme cela reste encore le cas dans un monde d’adultes, essentiellement masculin, dépourvus de conscience. Mais vers les industries de la vie, santé, éducation, préservation climatique, écologique. Quand les hommes de toute nation interdiront à l’un d’entre eux, plus ambitieux et plus fou, de décider, seul pour tous, d’entrainer tout un pays dans sa folie ? Et voilà, se dit-il, comment un pseudo adulte, comme moi, se laisse entraîner par un rêve d’enfants.

Sauf que. Sauf que sa petite nièce, boucles blondes frissonnantes et son copain, cheveux roux en bataille, avaient sans doute raison de poser la question «quand» plutôt que l’habituelle «qui». La question immédiate, lancinante, était bien celle de combien de temps le monde allait-il, assister, comme un spectateur devant un écran, au drame ukrainien. Dans les yeux ébahis de ces enfants, il pouvait lire l’effarement que des règles absurdes, incompréhensibles, du monde des grandes personnes, puissent empêcher toute intervention. Il se sentait impuissant à leur expliquer l’inexplicable.

Que rien n’est linéaire et logique dans l’évolution des civilisations. Qu’il faut une pandémie pour accélérer le progrès médical. Que le poids économique de l’industrie de l’armement amplifie les affrontements de frontières, de religions, de systèmes socio-politiques. Que la magie de la communication universelle nourrit l’extrémisme et la perversion. Que l’hyperconsommation cohabite avec la perpétuation de la faim dans le monde., Que ce monde digital dans lequel ils sont nés s’entrecroise encore avec la persistance de mondes moyenâgeux. Et que, à quelques encablures de son domicile, ici, dans ce pays, s’affronte sans rémission depuis bientôt cent ans, deux populations pourtant frères historiquement et génétiquement. 

       Incapable d’apporter une contradiction quelconque à ce Y sont nuls, Jonathan se sorti comme il put de la situation en les emmenant dans la meilleure boulangerie à côté de chez lui, choisir chacun le gâteau qu’il préférait. En son for intérieur, il se souvint de l’aphorisme de Woody Allen, «Si Dieu existe, j’espère qu’il a une bonne excuse», en imaginant son dérivé, «Si de vrais adultes existent, j’espère qu’ils se ne se chercheront aucune excuse».

 

3 commentaires:

Georges Kabi a dit…

J'aime bien votre idealisme, desuet, et completement incomprehensible chez un homme de votre age. Si un marchand de ringues veut reussir, il doit proposer des marchanfises soit de meilleure qualite, soit de meilleur prix, soit des deux. Son concurrent, situe au bas de la rue a 100 metres en fera autant, plus peut-etre, et voila une guerre qui se declenche.
La, a l'Est, ce ne sont pas deux epiceries mais deux voyous: un siegeant a Washington, DC, le vieux Joe, l'autre a Moscou, le vieux Poutine. Et ceux qui sont au milieu trinquent ou trinqueront.

Véronique Allouche a dit…



@georges Kabi
Le cynisme n’est pas forcément l’apanage de l’ homme dans sa maturité:
« J’ai juré de ne jamais me taire quand des êtres humains endurent la souffrance et l’humiliation, où que ce soit. Nous devons toujours prendre parti. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le persécuteur, jamais la victime. » Elie Wiesel lors de son discours de remise du prix Nobel de la Paix en 1986.

Jonathan a dit…

Jonathan a envie de répondre:
. Merci Véronique d'amener Elie Wiesel en renfort.
. @Kabi, ma petite nièce, du haut de son grand âge, (qu'est-ce qu'il a mon âge !...), vous a déjà répondu