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mercredi 20 octobre 2021

Les femmes, seules à pouvoir sauver la Tunisie

 


LES FEMMES, SEULES À POUVOIR SAUVER LA TUNISIE


Par Jacques BENILLOUCHE

Copyright © Temps et Contretemps


          Après 11 semaines sans gouvernement, la Tunisie a nommé, fait unique dans l’histoire du pays, une femme Premier ministre Najla Bouden Romdane, née le 29 juin 1958 à Kairouan, universitaire docteur en géologie. Le gouvernement compte également neuf autres femmes ministres, soit plus d'un tiers du cabinet. Mais sa nomination en tant qu’illustre inconnue en politique, pose question parce que le président Saïed s'est arrogé les pleins pouvoirs après le coup de force du 25 juillet. D’ailleurs on sait seulement de son parcours qu’elle fut directrice générale au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Elle dispose cependant d’une solide réputation dans le domaine de l’enseignement. On ignore cependant si elle va jouer le rôle d’alibi pour un président jouissant d’une réputation de conservateur sur la question des mœurs. 





Le fondateur de la Tunisie indépendante, Habib Bourguiba, avait fait le pari de la libération de la femme pour moderniser la société tunisienne ; mais son héritage n’a jamais cessé d’être menacé. La mainmise islamiste en Tunisie avait tout fait pour que la femme tunisienne perde son statut de rempart contre l’islamisme. Elles avaient obtenu du président Bourguiba la modernisation de l’État tunisien aussitôt après son arrivée au pouvoir.

Il avait ainsi promulgué le code du statut personnel (CSP) le 13 août 1956, quelques mois après l’indépendance du pays, proclamée le 20 mars. Le Combattant Suprême s’était appuyé sur l'émancipation féminine pour revitaliser toute la société tunisienne. Sa démarche fut unique dans le monde arabe, frileux quand il s’agissait de s’attaquer aux dogmes de la religion. Il avait imposé ainsi sa propre révolution grâce à une réforme audacieuse qu’aucun autre dirigeant musulman n’avait osé mettre en œuvre. La nouvelle loi entra en vigueur dès le 1er janvier 1957 dans le cadre d’un vaste programme de modernisation de la société, à savoir l'interdiction du port du voile dans les écoles, la reconnaissance du droit de vote aux femmes, le démantèlement de l'université de la Zitouna, citadelle du conservatisme, la dispense de jeûne durant le mois de ramadan, la mise en place du planning familial, le droit à l'avortement libre et la gratuité de la pilule, l’interdiction de la polygamie et de la répudiation et enfin, l’obligation d’obtenir le divorce devant le tribunal. Il s’agissait de décisions osées dans un pays arabe mais il n’a pas beaucoup été suivi. 


   

Les femmes se sont émancipées à l’occidentale et n’ont pas hésité à porter des jeans et des mini-jupes. Elles choisirent, en masse, le chemin des études pour s’insérer dans tous les pans de la société en occupant des postes économiques et politiques de haut niveau. Concurrentes des hommes, elles avaient prouvé qu’elles étaient devenues leurs égales ; un véritable défi pour un pays musulman.

L’arrivée des islamistes au pouvoir avait mis fin à cette évolution des femmes sans pour autant les décourager. Les femmes tunisiennes n’avaient pas accepté que le parti Ennahda rabiote leurs droits acquis sous Bourguiba. À sa prise de pouvoir en 1987, le président Ben Ali n’avait pas envisagé un «retour en arrière car il ne peut y avoir de développement si la moitié de la société, les femmes, en sont exclues». Il avait d’ailleurs mis ses actes en conformité avec ses paroles en associant sept femmes au gouvernement, en nommant une présidente au sein de la Cour des Comptes et une femme gouverneur (préfet). Ainsi Faïza Kéfi, qui avait occupé les fonctions d’Ambassadeur en France fut nommée, en 2004, première présidente de la Cour des Comptes tunisienne (CDC). En mai 2004, Salwa Mohsni Labiadh avait été nommée, pour la première fois de l’histoire de la Tunisie, au poste de Gouverneur de la région de Zaghouan.

Faïza Kefi


À la suite de la Révolution du Jasmin, les Islamistes, qui étaient restés en retrait durant la révolution, ont cueilli le pouvoir comme un fruit mûr tombé de l’arbre afin d’imposer leurs lois anachroniques. Devant l’opposition des femmes, ils ont dû renoncer momentanément à appliquer la charia dans le pays. Mais ils ont réussi à persuader certaines femmes politiques de qualité à les rejoindre. Ce fut le cas de la candidate du parti islamique Ennahda, Souad Abderrahim, qui a été élue le 3 juillet 2018 à la tête de la capitale tunisienne, un symbole fort pour les premières élections municipales démocratiques depuis la révolution de 2011. Née le 16 décembre 1964 à Sfax, gérante d'une entreprise pharmaceutique, elle était devenue ainsi la première femme à remporter la fonction de «Cheikh El Médina», titre masculin traditionnel donné au maire de Tunis : «J'offre cette victoire à toutes les femmes de mon pays, à toute la jeunesse et à la Tunisie». Paradoxalement cette femme moderne, controversée politiquement, avait revendiqué des idées libérales bien qu'elle ait toujours appartenu à la mouvance islamiste. En 2017, elle avait intégré le bureau politique d'Ennahda, même si elle ne se considère pas comme islamiste mais comme indépendante. Elle n’était pas nouvelle en politique puisque le 23 octobre 2011, elle avait été élue à l'Assemblée nationale constituante. Elle fut présidente de la commission parlementaire sur les Droits de l'homme et les libertés pendant son mandat.

Souad Abderrahim


Après son bac obtenu en 1983 au lycée Khaznadar, Souad Abderrahim avait porté le voile, par provocation plutôt que par conviction, pendant ses années d'études à la faculté de médecine de Monastir. Elle devint par ailleurs membre du bureau exécutif de l'Union générale tunisienne des étudiants (UGTE). Son activisme au sein de l’union lui vaudra non seulement des déboires au niveau de son cursus universitaire mais aussi une arrestation et un emprisonnement en tant qu'opposante du régime en 1991. C’est à cette époque qu’elle abandonna le hijab et parvint à obtenir son diplôme de pharmacie en 1992 pour devenir ensuite dirigeante d'une entreprise de produits pharmaceutiques à Tunis.

Le paradoxe reste que cette militante moderne en tous points, était active dans un courant islamiste alors que les Tunisiennes se considèrent comme un rempart contre les courants extrémistes, fanatiques et anachroniques. Elles sont les seules capables de s’opposer aux Islamistes car elles ont payé chèrement leur liberté et elles considèrent toute atteinte à leurs droits de femme comme un casus belli. La question restait de savoir si son poste de Maire lui permettrait de refuser l’obscurantisme de ceux qui voudraient cantonner les femmes à l’écart de la vie politique. Utilisée comme alibi, il lui a été difficile d’être la représentante libérale du tout puissant parti islamiste dirigé de main de fer par Rached Ghannouchi. Elle tenait l’avenir de la Tunisie entre ses mains et était réservée face à un pouvoir qui grignotait progressivement des parcelles de liberté.

Seules les femmes défendent bec et ongles les acquis bourguibiens. Le salut de la Tunisie viendra uniquement d’elles et d’elles seules car elles ne se résigneront pas à revenir un demi-siècle en arrière, face aux puissantes convictions religieuses du pouvoir alors qu’elles veulent être des modèles du modernisme.  

La Tunisie, dans son passé moderne et glorieux du temps du bourguibisme, a été imitée. Mais elle a beaucoup dévié depuis, en montrant un visage sectaire et surtout anti israélien, à la limite de l’antisémitisme. On attend de Najla Bouden qu’elle renoue avec l’ouverture de la Tunisie au monde occidental dans un pays en pleine crise économique et sociale. Les attentes des Tunisiens sont très fortes.



La crise tunisienne est caractérisée par une croissance en berne depuis dix ans (+0,6% par an en moyenne) et une forte inflation (6% par an). La pandémie du Covid a aggravé cette situation car le pays a été privé des cruciales recettes touristiques (jusqu'à 14% du PIB et environ 400.000 emplois en jeu). Le chômage est passé de 15% avant la pandémie à près de 18 %, avec une forte proportion de femmes et de jeunes. Un cinquième des 12 millions d'habitants du pays sont considérés vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Les autorités ont dû creuser la dette, qui approche déjà les 80% du PIB, pour multiplier les fonctionnaires (14% de la population active), faisant enfler encore le déficit budgétaire (plus de 10 %).

La Tunisie va devoir rapidement faire face à des échéances : elle doit rembourser 4,5 milliards d'euros sur l'année en cours et a besoin d'une rallonge de 5,7 milliards d'euros pour boucler le budget de cette année. C’est dire si l’on attend beaucoup de cette femme tunisienne qui pourra être soit un perroquet de Saïed soit une réformatrice.

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