Le nouveau premier ministre marocain Aziz Akhannouch |
Le paradoxe de ce qui vient de se
passer au Maroc, où le parti islamique PJD vient de subir une lourde défaite,
constitue un évènement très important au Maghreb d’abord et on le verra,
au-delà des frontières du royaume. On se souviendra qu’au moment de la
signature des accords d’Abraham, la majorité des experts avait souligné
l’opposition du peuple en soutien du parti islamiste de la Justice et du Droit
au pouvoir. La mise hors-jeu du PJD aux dernières élections, sans coup d’État
militaire ou civil, sans moyens coercitifs, à la différence de ses voisins tunisiens
ou algériens, donne un signal contraire sans appel.
Saâd Dine El Otmani, chef du gouvernement battu et secrétaire général du PJD |
Ce parti a perdu 90% de ses sièges
passant de 126 sièges à 13 ! Le premier ministre Saad Eddine Othmani et
ses ministres n’ont obtenu aucun siège au parlement. C’est une grande victoire
pour le Palais et riche de promesses pour Israël. La participation a été
nettement plus élevée qu’en 2016, où elle était de 43% des inscrits contre 50%
cette année, malgré la situation difficile crée par la pandémie. Le roi Mohamed
VI et son entourage s’en trouvent confortés d’autant que les partis qui ont
gagné les élections soutiennent la monarchie. Le Palais n’a soutenu aucun parti
en particulier, contrairement aux années précédentes.
La débâcle du PJD aurait pu être
pire encore, s’il n’avait pas lui-même profité du changement de loi permettant
aux petits partis d’être représentés. Fort de ce succès, la stabilité du régime
s’en trouve renforcée. Le PJD, qui faisait office de tampon en cas de tensions
sociales, bascule dans l’opposition. Le nouveau gouvernement se trouvera donc
désormais en première ligne. La mauvaise gestion du PJD est largement à
l’origine de la perte de confiance des électeurs au même titre que sa docilité envers
le Palais, ce qui a largement contribué à son discrédit. Pour mémoire, le PJD a
signé les accords d’Abraham malgré son hostilité idéologique proclamée. Finalement,
par ses décisions et sa gestion opportuniste, il s’est aliéné les laïcs et les
religieux.
Akhannouch président du parti RNI vainqueur des élections |
Israël peut désormais voir l’avenir
de ses relations avec ce pays sous un éclairage beaucoup plus favorable. Le
rassemblement national des Indépendants (RNI) est en tête avec 97 sièges, le
deuxième parti Authenticité & Modernité (PAM) avec 82 sièges, tandis que le
vieux parti Istiqlal obtient 78 sièges. Tous les éléments actuels sont réunis
pour optimiser cette relation, au-delà du changement magistral intervenu au point
de vue de la politique intérieure. En dépit des vicissitudes de l’histoire
entre les deux pays, des relations historiques existent depuis très longtemps.
Pratiquement tous les dirigeants israéliens ont fait un jour le voyage de
Rabat. On considère qu’il y a près d’un million d’Israéliens d’origine
marocaine, qui se féliciteront du rapprochement en cours. Les vols directs
entre Tel Aviv et Marrakech ont commencé. En 2020, 70.000 israéliens ont visité
le Maroc. Ce chiffre va croitre lorsque les difficultés liées à la pandémie
seront réglées.
En juillet dernier un accord sur la
coopération et l’échange d’informations en matière de cyber sécurité et de
cyber guerre a été formellement signé. En août, Yaïr Lapid s’est rendu sur
place pour marquer toute l’importance qu’Israël attache aux relations entre les
deux pays. Sans doute très en confiance, l’ambiance aidant, le ministre a même déclaré
que le Maroc avait «aidé» à la signature de certains accords, sans
toutefois plus de précisions.
Lapid et Bourita |
L’Algérie renforce son alignement
sur la Chine et la Russie, comme une réponse aux accords israélo-marocains. Dans
le même temps, le Maroc aura la lourde tâche d’expliquer aux Palestiniens la
poursuite de son soutien. Israël et le royaume chérifien poursuivent des
objectifs communs. La lutte contre le terrorisme est un motif puissant de
coopération au sens le plus large et a déjà fait ses preuves.
Le Maroc est le seul régime de la
région qui peut se prévaloir d’élections démocratiques dans un régime monarchique,
ce qui est un gage de stabilité. Ni l’Algérie, ni la Tunisie, ni la Libye ne peuvent
en dire autant. Il bénéficie du soutien de la plupart des pays occidentaux, ce
qui lui permettra un développement serein dans l’avenir. Pour Israël le nouveau
gouvernement, dont le premier ministre Aziz Akhannouch est un homme d’affaire
multimillionnaire qui arrive aux manettes pour donner un coup d’accélérateur à
l’économie et l’industrialisation du pays, sera un partenaire idéal qui saura
trouver un langage commun avec le premier ministre israélien. Il s’est entouré
d’une équipe composée de responsables chevronnés et de cadres plus jeunes. Le
ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita est maintenu à son poste. En août
les deux pays ont annoncé l’ouverture prochaine d’ambassades.
En revanche on peut craindre la
formation d’un front anti Marocain constitué par l’Algérie, la Tunisie dont
l’hostilité envers Israël est bien connue, l’Égypte qui soutient le front
Polisario et le maréchal Haftar en Libye. Israël devra gérer ses relations avec
le Caire qui essaye de renforcer son rôle d’intermédiaire entre Jérusalem et le
Hamas. Au-delà, ce succès aux élections démontre qu’un pays arabe ou musulman,
une monarchie, peut organiser des élections démocratiques qui peuvent déboucher
sur la mise à l’écart d’un parti islamique, malgré des relations étroites avec
Israël. Cette configuration peut être un déclencheur pour d’autres régimes
arabes ou musulmans non arabes susceptibles de reconnaître Israël.
Ce qui semblait totalement utopique
encore récemment devient réalité. Le chemin est sans doute encore long pour obtenir
des relations ouvertes et fluides mais d’évidence, Israël grâce à ses atouts
technologiques et sécuritaires a ouvert la voie, certes avec l’aide américaine,
mais doit poursuivre sa route seul désormais.
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