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mercredi 20 octobre 2021

La guerre d'Algérie a toujours lieu par Albert NACCACHE

 


LA GUERRE D'ALGÉRIE A TOUJOURS LIEU 


Chronique d’un papy flingueur Albert NACCACHE





2022 sera l’année de la présidentielle française «où les thèmes de l’immigration et de l’identité se sont imposés», et celle du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Deux événements aux enjeux mémoriels et migratoires intimement liés pour Paris comme pour Alger.

        Aujourd’hui, «le torchon brûle entre Alger et Paris», la «boîte à chagrins» reste grand ouverte, «la fracture se creuse entre Paris et Alger» ... Pourtant le candidat à la présidence Emmanuel Macron avait déclaré le 15 février 2017 : «La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes». Il doit bien regretter aujourd’hui cette déclaration.


Benjamin Stora remet son rapport à Emmanuel Macron
 

Le rapport Stora

Une fois élu, Emmanuel Macron commanda à Bernard Stora un rapport sur l’état des conflits mémoriels entre la France et L’Algérie avec comme objectif de «réconcilier le peuple algérien et le peuple français». Vaste programme. Benjamin Stora a remis le 20 janvier 2021 à Emmanuel Macron son rapport où il préconise une commission «Mémoire et vérité» pour impulser des initiatives mémorielles de part et d'autre de la Méditerranée tout en déconseillant au président Macron des excuses officielles.  

Abdelmadjid Chikhi, directeur des Archives nationales et de la mémoire auprès de la présidence algérienne, a été désigné par le Président Tebboune comme l’alter ego de Stora «pour une écriture commune d’une histoire entre l’Algérie et la France». Mais Chikhi estima que «cette écriture mémorielle» n’est ni souhaitable, ni possible ».

Abdelmadjid Chikhi


Pour le ministre de la Communication Ammar Belhimer, le travail de l’historien français «occulte les revendications légitimes de l’Algérie, en particulier la reconnaissance officielle par la France des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, perpétrés durant les 130 années de l’occupation de l’Algérie». Le ministre du Travail algérien, Hachemi Djaâboub, a qualifié publiquement, jeudi 8 avril 2021, la France comme «un ennemi traditionnel et éternel» de l’Algérie.

L’annonce de la réduction des visas

L’annonce par Paris de la réduction des visas (50%) octroyés aux Algériens a mis le feu aux poudres. C’est une mesure de rétorsion face au refus d’Alger de délivrer les laissez-passer consulaires permettant d’expulser les clandestins et autres radicalisés sous le coup d’une obligation à quitter le territoire (OQTF) vers l’Algérie.  D’après les chiffres du gouvernement français, Alger n’a délivré, entre janvier et juillet 2021, que 31 laisser-passer consulaires – dont seulement 22 ont été exécutés – sur un total de 7.731 obligations de quitter le territoire.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a accusé dimanche 10 octobre le ministre de l’Intérieur français d’avoir proféré un «gros mensonge» quant au nombre d’immigrés clandestins algériens à refouler depuis la France. «Moussa Darmanin a bâti un gros mensonge». Moussa est le deuxième prénom donné en hommage à son grand-père, un tirailleur algérien ayant combattu lors de la Seconde Guerre mondiale. Gérald Darmanin campe sur ses positions et confirme ses chiffres : 7.731 obligations de quitter le territoire français (OQTF) ont bien été prononcées depuis janvier contre des ressortissants algériens. Si de nombreuses associations maghrébines s’opposent évidemment à cette mesure, on trouve aussi côté français : CEDETIM, LDH, MRAP ainsi que EELV, NPA, PCF.

Macron rencontre 18 jeunes

Les choses auraient probablement pu en rester là, mais Emmanuel Macron a enfoncé le clou par ses déclarations du 30 septembre lors d’une rencontre avec 18 jeunes franco-algériens et français ayant un lien avec la guerre d’Algérie. Le président français estime qu'après son indépendance en 1962, l'Algérie s'est construite sur «une rente mémorielle», entretenue par «le système politico-militaire». Il a également affirmé que «la construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question». Il traite le régime algérien de «régime fatigué» et dénonce le discours des autorités algériennes qui «repose sur la haine de la France».

Sur le fond, Emmanuel Macron n’a pas tort dans les reproches qu’il adresse à l’Algérie, mais est-ce le rôle du président de la République de se lancer dans des interrogations historiques ? Ces déclarations ont provoqué le courroux de la présidence algérienne : «L’Algérie exprime son rejet catégorique de l’ingérence inadmissible dans ses affaires intérieures». L’organisation des Moudjahidines, représentant les anciens combattants de la guerre d'indépendance en Algérie, a appelé le 4 octobre à «revoir» les relations avec la France et à «réfléchir sérieusement à une évaluation de tous les aspects». Pour Abderrezak Makri, président du MSP, (proche des Frères musulmans et allié au pouvoir) les propos du président français sont une «déclaration de guerre contre l’Algérie, peuple et État».

En réaction :

L’ambassadeur de France à Alger, François Gouyette, a été convoqué ; Alger a rappelé Mohamed Antar Daoud, son ambassadeur à Paris. Et l’Algérie a interdit le survol de son territoire aux avions militaires français, qui empruntent son espace aérien pour rejoindre ou quitter la bande sahélo-saharienne où sont déployées les troupes de l’opération Barkhane. Cette interdiction n’a même pas été signifiée préalablement à l’armée française ; ce n’est qu’en vol que les pilotes de l’armée de l’air ont découvert la situation. Au moins quatre avions ont dû rebrousser chemin le 2 octobre.

L’Algérie a interdit le survol de son territoire aux avions militaires français

 Emmanuel Macron a exprimé mardi sur France Inter, son «souhait de voir un apaisement» dans la relation entre Paris et Alger, mais «la position de l’Algérie reste la même». «Les propos du chef de l’État français ne changent rien. Nous sommes toujours dans le même état d’esprit». Le ton est sans appel. «L’Histoire ne doit pas être falsifiée», a déclaré ce dimanche le président Tebboune. «L’État est debout avec tous ses piliers, avec sa puissance, la puissance de son armée et son vaillant peuple . Le retour à la normale sera conditionné à «un respect total de l’État algérien».
le président Tebboune

Lamamra et Chengriha pompiers ou pyromanes ?  

Le président Tebboune est fortement soutenu dans sa démarche par son ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra et par le chef d’État-major de l’armée algérienne Saïd Chengriha.

Ramtane Lamamra,  ministre algérien des Affaires étrangères


Ramtane Lamamra met en place tambours battants la nouvelle politique étrangère algérienne. Depuis le Mali, il a le 5 octobre, fustigé une «faillite mémorielle» de la France. «Nos partenaires étrangers ont besoin de décoloniser leur propre histoire …Ils ont besoin de se libérer de certaines attitudes, de certains comportements, de certaines visions qui sont intrinsèquement liées à la logique incohérente portée par la prétendue mission civilisatrice de l’Occident, qui a été la couverture idéologique utilisée pour essayer de faire passer le crime contre l’humanité qu’a été la colonisation de l’Algérie, la colonisation du Mali et la colonisation de tant de peuples africains».

Le ministre algérien a décrit cette décolonisation comme une «priorité» pour que la «faillite mémorielle», manifestée, selon lui, par les récents propos français envers l’Algérie et le Mali, puisse «s’assainir par un respect mutuel inconditionnel, respect de notre souveraineté, respect de notre indépendance de décision». Il n’a toutefois pas cité nommément M. Macron mais a parlé d’une «faillite mémorielle, qui est malheureusement intergénérationnelle chez un certain nombre d’acteurs de la vie politique française, parfois aux niveaux les plus élevés et qui pousse les relations de la France officielle avec certains de nos pays dans des situations de crise malencontreuse».

Saïd-Chengriha

          Selon Jeune Afrique du 15 juin 2021, le patron de l’armée algérienne s’est discrètement rendu dans la capitale française en «mission secrète» pour discuter de la nouvelle donne sécuritaire au Sahel, après l’annonce de la fin de l’opération Barkhane. Mais le chef d’État-major algérien Saïd Chengriha est aussi à la manœuvre pour diriger les représailles contre Paris. Considéré comme un faucon en matière de politique étrangère, il dénonçait en août les complots visant l’Algérie «que l’armée saura contrecarrer». Il s’est imposé comme le nouvel homme fort du pays. Cette diminution de l’engagement de ces deux acteurs majeurs (la France et le Tchad) en matière de sécurité régionale pourrait amener l’Algérie à jouer un rôle plus actif dans la crise sahélienne, alors qu’elle conserve une forte influence dans le nord malien.

 Le redéploiement stratégique de l’Algérie sur l’échiquier régional

La révision constitutionnelle de novembre 2020 établit les conditions d’une intervention extérieure de l’Armée Nationale Populaire. L’armée est autorisée à intervenir hors des frontières du pays rompant avec une tradition de non-ingérence. Un changement qui traduit la volonté de l’Algérie de revenir au premier plan diplomatique. Ainsi le 24 août 2021, le ministre des Affaires étrangères algérien, Ramtane Lamamra, annonçait la rupture des relations diplomatiques et les prémices d’un conflit ouvert avec le royaume du Maroc.

Pour le président Tebboune la solution malienne était «à 90 % algérienne» et que son pays se tenait prêt à «aider Bamako». L’Algérie s’apprête vraisemblablement à jouer un rôle accru au Mali au moment où la France amorce un retrait. L’Algérie considère qu’elle a une carte à jouer et qu’elle pourrait faire d’une pierre deux coups en remisant le Hirak aux oubliettes. Forte de ses relations économiques avec la Chine, de son partenariat militaire avec la Russie, elle considère qu’elle est bien placée pour devenir un élément central, «voire le pivot» de l’ensemble régional qui se dessine. 

Drapeaux algériens sur les Champs-Élysées

L’Algérie rêve-t-elle d’une France aux couleurs algériennes ?

1 commentaire:

Marianne ARNAUD a dit…


Monsieur Naccache,

Lorsque vous écrivez : « La guerre d’Algérie a toujours lieu », vous ne croyez pas si bien dire, et l’écrivain algérien Boualem Sansal offre un contrepoint intéressant à ce que vous écrivez.

Dans l’entretien qu’il accorde à V.A. à la suite de la publication de son dernier livre : « Lettres d’amitié, de respect et de mise en garde aux peuples et aux nations de la terre » chez Gallimard, il note :

« Le même jour de l’indépendance, l’armée du FLN dirigée par le colonel Boumedienne, dont Bouteflika était le lieutenant, a pris le pouvoir et a aussitôt mis le pays sous tutelle idéologique de l’Égypte nassérienne, chef de file du panarabisme, sous celle militaire de l’URSS et celle religieuse de l'Arabie saoudite.. En peu de temps l’Algérie s’est mise à ressembler à ces trois pays, ravagés par la folie du pouvoir absolu. La politique d’arabisation menée au pas de charge contre un peuple majoritairement berbère et la politique de réislamisation ont fini de détourner l’Algérie de son identité, de son histoire et de son ancrage méditerranéen, et de l’articuler au Moyen-Orient, dont les Algériens ne savaient rien. C’est bien une colonisation. On comprend mieux l’évolution dramatique qu’a connue ce pays, dont le point culminant a été la guerre civile des années 1990. »

A la question de savoir si le décès du président Bouteflika va changer les choses, il répond :
« …Le nouveau président Tebboune, sera sans doute pire parce que le pays est ruiné, il n’a plus la manne pétrolière qui avait permis aux dictateurs précédents d’acheter la paix sociale… D’où viendrait le changement dont les Algériens rêvent ? Le mouvement populaire appelé Hirak… a été un immense espoir, mais le pouvoir est arrivé à le briser. Va-t-il reprendre ? Je ne crois pas, les gens sont fatigués… ils savent qu’une nouvelle guerre civile est possible, probable. Les jeunes ont fait leur choix : l’émigration à n’importe quel prix. »

A une question sur Macron et le pardon qu’il a demandé aux harkis, voici ce qu’il dit :

« Il faudrait d’abord m’expliquer ce qui arrive à ce pays qui passe son temps à pleurnicher à genoux et à se couvrir la tête de cendres… Il faudrait dire à Macron le repentant, que les victimes de la France coloniale se fichent comme d’un guigne de son spleen et de ses excuses éplorées, ce qu’elles veulent, c’est la paix et des réparations concrètes, de l’argent, des bourses, des visas, des investissements, des partenariats, des projets d’avenir et surtout, en tout premier, qu’il cesse de soutenir leurs dictateurs. »

Cordialement.