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vendredi 29 janvier 2021

Israël, le Qatar caméléon et la normalisation par Francis MORITZ

 


ISRAËL, LE QATAR-CAMÉLÉON ET LA NORMALISATION

 Par Francis MORITZ

 



          Tout va bien dans le meilleur des mondes, écrivait Voltaire. On ne peut pas en dire autant au Moyen-Orient. Le front dont l’unique dénominateur commun était la lutte contre Israël a vécu. Ce qui a mis en lumière les conflits, différends entre pays arabes. Jérusalem ne doit pas nécessairement rechercher une «normalisation» avec le Qatar. Qu’entend-t-on par normaliser ? Au Moyen Orient c’est l’absence de normes qui prévaut. Le cas du Qatar est exemplaire.


Forces armées du Qatar

Son boycott de 2017 à 2021 est le quatrième conflit et le plus sérieux, qui implique ce très petit pays, quatrième producteur mondial de gaz. Depuis la fin des années 1980, ce pays a rompu le statu quo parmi les monarchies, contrairement à Oman qui était déjà une exception.  Le pays isolé par le boycott y a survécu, il a renforcé son identité nationale en ignorant le leadership saoudien. Dès 1992 des escarmouches sur la frontière controversée entre les deux pays faisait des victimes.  En 1994, Ryad bloquera la construction d’un gazoduc qatari vers le Koweït, puis s’opposera au projet qatari d’un oléoduc vers les EAU. Al Jazzera est créé en 1996. Depuis cette même date Doha est la seule capitale à avoir établi des relations connues avec Israël, qui y disposait d’une représentation, fermée en 2000.

En 2013, le Qatar a aidé Israël à évacuer 60 Juifs yéménites. En décembre 2018, Israël a permis au Qatar d’effectuer un paiement de 15/18 millions de dollars aux ouvriers de Gaza. En 2007, Doha et Ryad ont repris des relations diplomatiques, à l’arrivée au pouvoir du prince Thamin bin Hamad al-Thani ; nouvelle rupture en 2014. Les printemps arabes faisaient rage. Doha s’est singularisé en soutenant plusieurs groupes de l’arc islamiste qui cherchent à renverser les monarchies voisines. Les Saoudiens, Bahreïnis, Émiratis ont rappelé leurs ambassadeurs. Les relations s’amélioreront lors d’un accord signé au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) pour apaiser et stabiliser les relations.

Las ! La rupture la plus dramatique se produit en 2017. Ryad, les Émirats, Bahreïn, l’Égypte hostiles aux politiques menées par le Qatar forment un boycott contre Doha, alors que dans le passé, cet État était un quasi vassal des Saoudiens. Face aux cités-États des monarchies du Golfe, Doha a initié une politique à contre-courant afin d’acquérir une place reconnue, régionalement et internationalement. Il y a parfaitement réussi. Les bénéfices considérables issus du gaz naturel ont permis la constitution d’un trésor de guerre énorme, excédant très largement ses besoins. De plus le pays profite d’être devenu une base stratégique des États Unis dans la région. Le boycott a été levé lors du sommet du 5 janvier. Le nationalisme qatari a amplifié la conviction des dirigeants qui n’ont pas obtempéré aux 13 conditions posées.  Le différend a été mis sous le tapis du CCG.  On a apaisé les différends, sans les régler. Ce pays agit depuis des années, coincé entre un grand frère, l’Arabie Saoudite, les Émirats plus que suspicieux et un autre grand voisin, l’Iran avec lequel les deux pays partagent un gisement de gaz qui génère des revenus substantiels au Qatar.

l'Emir du Qatar

Cet accord est le résultat des pressions de Donald Trump, l’arrivée d’un nouveau président, l’aide du Koweït, la montée de la tension avec l’Iran et l’adaptation du pays au boycott. En raison du blocus aérien, la compagnie Qatar Airways devait transiter par l’espace aérien iranien pour un coût annuel de 100 millions de dollars. Ce ne sera plus nécessaire.  Chaque partie a voulu s’approprier l’accord.

Le président Joe Biden avait fait savoir, notamment à l’Arabie Saoudite qu’il souhaitait «vivement» voir le boycott résolu à son arrivée. Ryad a manifesté sa bonne volonté en vue d’améliorer les relations assez tendues dernièrement avec Trump. Ce qui a incité les trois autres participants à se joindre à l’accord.  Les EAU se sont fait violence car ils sont fermement opposés à la politique qatarie en faveur des organisations islamistes sunnites notamment des Frères Musulmans. Ils reprouvent l’alliance avec la Turquie considérée comme un élément perturbateur. Ces deux derniers sujets représentent un désaccord majeur non résolu, entre ces pays. Il y va d’un conflit idéologique au sein du monde arabe, auquel s’ajoutent des relations confiantes avec l’Iran et donc la plus grande méfiance des monarchies qui y voient une menace de plus. Le soutien qatari à divers opposants aux monarchies, demeure un problème entier pour ces régimes qui craignent d’être déstabilisés. On peut mettre la poussière sous le tapis, mais un jour prochain, il faudra faire le ménage.

Turki al-Sheikh conseiller de MBS

Les tensions ont été croissantes à l’approche du premier anniversaire des éliminations ciblées en Iran et en Irak, auxquels s’ajoutent les dernières sanctions (l’Iran soutien Al-Qaeda organisation terroriste). L’accord du 5 janvier ne mentionne que six points contre les treize exigés. De fait le Qatar a deux grands alliés extérieurs, la Turquie avec qui il est en étroite relation alors que les monarchies ont les plus grandes préventions contre elle et qu’Ankara membre de l’Otan a des relations tendues avec Washington le second allié, qui a son commandement régional sur place.

Si Doha poursuit sa politique tous azimuts cela conduira à de nouvelles tensions car les derniers différends ont laissé des traces indélébiles. Alors au milieu de ce panier de crabes, quelle est la position d’Israël, autre acteur majeur, diront les experts.  Jérusalem est très réservé concernant la vente d’armes sophistiquées aux pays arabes. On est amis, mais pas forcément sur tout.  Évoquer en permanence la normalisation, demande à marquer un temps d’arrêt. Le président Biden avait promis que son arrivée à la Maison Blanche marquerait «le retour à la normale» en particulier concernant les ventes d’armes. Il se montrera circonspect avant de relancer une politique sans doute plus sélective. Ce sont les ventes d’armes hors des modalités américaines habituelles et le parapluie américain face à l’Iran qui ont permis les normalisations. Le président Biden devra tenir compte de sa double majorité très mince. Les pays arabes diversifieront leurs achats, c’est déjà le cas.

Anwar Gargash ministre émirati des A.E.

Israël n’a pas véritablement intérêt à une normalisation, pour ce que cela signifie, avec un pays qui soutient les islamistes sunnites, les Frères musulmans, alors que les deux pays sont en accord lorsque ce pays finance Gaza. Certains sont même en droit de se demander quel sens donner à ce type d’opération avec un partenaire qui soutient le terrorisme islamique.

Probablement Washington reprendra–t-il des négociations avec l’Iran qui refusera catégoriquement d’y inclure les missiles, pendant qu’Israël semble faire officiellement partie du dispositif américain. Ce qui ne peut que déplaire aux Iraniens. Enfin, un exemple : L’Allemagne amie indéfectible d’Israël et membre du Conseil de sécurité pendant deux ans a voté 13 résolutions anti-israéliennes, sans condamner les atteintes aux Droits de l’homme les pays en tête de liste. Est-ce normal ? Le mot-clé restera la Réalpolitique. On parlera plus aisément de multilatéralisme, voire de multi cynisme et on cessera d’agiter la norme comme réponse fourre-tout.  En politique, la main droite ne sait pas toujours ce que fait la main gauche et réciproquement.

 

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