Tout va bien dans le meilleur des mondes, écrivait Voltaire. On ne peut pas en dire autant au Moyen-Orient. Le front dont l’unique dénominateur commun était la lutte contre Israël a vécu. Ce qui a mis en lumière les conflits, différends entre pays arabes. Jérusalem ne doit pas nécessairement rechercher une «normalisation» avec le Qatar. Qu’entend-t-on par normaliser ? Au Moyen Orient c’est l’absence de normes qui prévaut. Le cas du Qatar est exemplaire.
Forces armées du Qatar |
Son boycott de 2017 à 2021 est le quatrième conflit et le plus
sérieux, qui implique ce très petit pays, quatrième producteur mondial de gaz.
Depuis la fin des années 1980, ce pays a rompu le statu quo parmi les
monarchies, contrairement à Oman qui était déjà une exception. Le pays isolé par le boycott y a survécu, il
a renforcé son identité nationale en ignorant le leadership saoudien. Dès 1992
des escarmouches sur la frontière controversée entre les deux pays faisait des
victimes. En 1994, Ryad bloquera la
construction d’un gazoduc qatari vers le Koweït, puis s’opposera au projet
qatari d’un oléoduc vers les EAU. Al Jazzera est créé en 1996. Depuis cette
même date Doha est la seule capitale à avoir établi des relations connues avec
Israël, qui y disposait d’une représentation, fermée en 2000.
En 2013, le Qatar a aidé Israël à évacuer 60 Juifs yéménites. En
décembre 2018, Israël a permis au Qatar d’effectuer un paiement de 15/18
millions de dollars aux ouvriers de Gaza. En 2007, Doha et Ryad ont repris des
relations diplomatiques, à l’arrivée au pouvoir du prince Thamin bin Hamad
al-Thani ; nouvelle rupture en 2014. Les printemps arabes faisaient rage.
Doha s’est singularisé en soutenant plusieurs groupes de l’arc islamiste qui
cherchent à renverser les monarchies voisines. Les Saoudiens, Bahreïnis,
Émiratis ont rappelé leurs ambassadeurs. Les relations s’amélioreront lors d’un
accord signé au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) pour apaiser et
stabiliser les relations.
Las ! La rupture la plus dramatique se produit en 2017. Ryad, les
Émirats, Bahreïn, l’Égypte hostiles aux politiques menées par le Qatar forment
un boycott contre Doha, alors que dans le passé, cet État était un quasi vassal
des Saoudiens. Face aux cités-États des monarchies du Golfe, Doha a initié une
politique à contre-courant afin d’acquérir une place reconnue, régionalement et
internationalement. Il y a parfaitement réussi. Les bénéfices considérables
issus du gaz naturel ont permis la constitution d’un trésor de guerre énorme,
excédant très largement ses besoins. De plus le pays profite d’être devenu une
base stratégique des États Unis dans la région. Le boycott a été levé lors du
sommet du 5 janvier. Le nationalisme qatari a amplifié la conviction des
dirigeants qui n’ont pas obtempéré aux 13 conditions posées. Le différend a été mis sous le tapis du
CCG. On a apaisé les différends, sans
les régler. Ce pays agit depuis des années, coincé entre un grand frère,
l’Arabie Saoudite, les Émirats plus que suspicieux et un autre grand voisin,
l’Iran avec lequel les deux pays partagent un gisement de gaz qui génère des
revenus substantiels au Qatar.
l'Emir du Qatar |
Cet accord est le résultat des pressions de Donald Trump, l’arrivée
d’un nouveau président, l’aide du Koweït, la montée de la tension avec l’Iran
et l’adaptation du pays au boycott. En raison du blocus aérien, la compagnie
Qatar Airways devait transiter par l’espace aérien iranien pour un coût annuel
de 100 millions de dollars. Ce ne sera plus nécessaire. Chaque partie a voulu s’approprier l’accord.
Le président Joe Biden avait fait savoir, notamment à l’Arabie
Saoudite qu’il souhaitait «vivement» voir le boycott résolu à son
arrivée. Ryad a manifesté sa bonne volonté en vue d’améliorer les relations
assez tendues dernièrement avec Trump. Ce qui a incité les trois autres
participants à se joindre à l’accord.
Les EAU se sont fait violence car ils sont fermement opposés à la
politique qatarie en faveur des organisations islamistes sunnites notamment des
Frères Musulmans. Ils reprouvent l’alliance avec la Turquie considérée comme un
élément perturbateur. Ces deux derniers sujets représentent un désaccord majeur
non résolu, entre ces pays. Il y va d’un conflit idéologique au sein du monde
arabe, auquel s’ajoutent des relations confiantes avec l’Iran et donc la plus
grande méfiance des monarchies qui y voient une menace de plus. Le soutien
qatari à divers opposants aux monarchies, demeure un problème entier pour ces
régimes qui craignent d’être déstabilisés. On peut mettre la poussière sous le
tapis, mais un jour prochain, il faudra faire le ménage.
Turki al-Sheikh conseiller de MBS |
Les tensions ont été croissantes à l’approche du premier
anniversaire des éliminations ciblées en Iran et en Irak, auxquels s’ajoutent
les dernières sanctions (l’Iran soutien Al-Qaeda organisation terroriste).
L’accord du 5 janvier ne mentionne que six points contre les treize exigés. De
fait le Qatar a deux grands alliés extérieurs, la Turquie avec qui il est en
étroite relation alors que les monarchies ont les plus grandes préventions
contre elle et qu’Ankara membre de l’Otan a des relations tendues avec
Washington le second allié, qui a son commandement régional sur place.
Si Doha poursuit sa politique tous azimuts cela conduira à de
nouvelles tensions car les derniers différends ont laissé des traces
indélébiles. Alors au milieu de ce panier de crabes, quelle est la position
d’Israël, autre acteur majeur, diront les experts. Jérusalem est très réservé concernant la
vente d’armes sophistiquées aux pays arabes. On est amis, mais pas forcément
sur tout. Évoquer en permanence la
normalisation, demande à marquer un temps d’arrêt. Le président Biden avait
promis que son arrivée à la Maison Blanche marquerait «le retour à la
normale» en particulier concernant les ventes d’armes. Il se montrera
circonspect avant de relancer une politique sans doute plus sélective. Ce sont
les ventes d’armes hors des modalités américaines habituelles et le parapluie
américain face à l’Iran qui ont permis les normalisations. Le président Biden
devra tenir compte de sa double majorité très mince. Les pays arabes
diversifieront leurs achats, c’est déjà le cas.
Anwar Gargash ministre émirati des A.E. |
Israël n’a pas véritablement intérêt à une normalisation, pour ce
que cela signifie, avec un pays qui soutient les islamistes sunnites, les Frères
musulmans, alors que les deux pays sont en accord lorsque ce pays finance Gaza.
Certains sont même en droit de se demander quel sens donner à ce type
d’opération avec un partenaire qui soutient le terrorisme islamique.
Probablement Washington reprendra–t-il des négociations avec l’Iran
qui refusera catégoriquement d’y inclure les missiles, pendant qu’Israël semble
faire officiellement partie du dispositif américain. Ce qui ne peut que
déplaire aux Iraniens. Enfin, un exemple : L’Allemagne amie indéfectible
d’Israël et membre du Conseil de sécurité pendant deux ans a voté 13
résolutions anti-israéliennes, sans condamner les atteintes aux Droits de
l’homme les pays en tête de liste. Est-ce normal ? Le mot-clé restera la
Réalpolitique. On parlera plus aisément de multilatéralisme, voire de multi
cynisme et on cessera d’agiter la norme comme réponse fourre-tout. En politique, la main droite ne sait pas
toujours ce que fait la main gauche et réciproquement.
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